Accès aux soins de santé: des médecins se rebellent by Leen Vermeulen et Chris Deprédomme Tuesday November 18, 2003 at 09:18 PM |
[traduction du néerlandais] |
Leen Vermeulen et Chris Deprédomme de Médecine pour le Peuple ont comparu aujourd'hui devant le juge. Ils ont été assignés parce qu'ils ne veulent pas payer leur cotisation à l'Ordre des médecins. Voici leurs plaidoyers devant le juge.
Leen Vermeulen
Monsieur le juge,
Je voudrais prendre 3 minutes pour
réaffirmer mon opinion et ma véritable conviction au
sujet des raisons pour lesquelles je ne veux pas payer de cotisation
à l'Ordre des médecins.
Avec Médecine pour le Peuple, je
veux défendre un système de soins de santé
accessible à tout le monde. L'organisation des soins de
santé en Belgique est actuellement basée sur un
système d'économie de marché à
l'intérieur duquel il est laissé libre cours à la
concurrence entre les hôpitaux, entre les centres
médicaux, entre les multinationales pharmaceutiques et entre les
médecins
individuels. Dans ce contexte, les soins médicaux sont
considérés comme un produit de marché qui doit
rapporter un bénéfice. Par conséquent, les prix
s'envolent. Les examens techniques et les médicaments n'ont
jamais été aussi chers.
Si, dans un tel contexte, il existe une organisation
comme «l'Ordre des médecins», une organisation qui
prétend contrôler et préserver les valeurs
éthiques et morales de la médecine, j'estime que son
premier devoir est de garantir le droit le plus
élémentaire du patient, à savoir l'accès
aux soins de santé.
Et, à mon grand regret, je dois constater,
Monsieur le juge, que l'Ordre des médecins ne remplit pas ce
devoir.
En tant que médecin généraliste, je fais tous les
jours le constat que de plus en plus de gens se voient refuser le droit
à des soins médicaux à cause de barrières
d'ordre financier. Les patients qui ont des factures d'hôpital
impayées n'osent plus se faire hospitaliser parce qu'ils
craignent une visite d'huissier. De plus en plus de gens ne peuvent
plus se procurer les médicaments nécessaires, parce que
le prix de ceux-ci est trop élevé. Pour les sans-papiers,
des examens techniques sont très souvent refusés parce
qu'ils ne sont pas assez malades.
En tant que médecin pour le peuple, je
plaide pour une
santé publique accessible à tous, sans exception. Ceci
n'est possible que si les pouvoirs publics, en concertation avec
l'Ordre des médecins, manifestent la volonté
politique d'organiser
les soins de santé pour qu'ils soient au service du peuple, au
prix le plus abordable et de
la meilleure qualité.
Et c'est parfaitement possible dans les limites du budget de la
sécurité sociale en Belgique. Il suffit de regarder le
modèle néo-zélandais où, grâce
à une intervention active des pouvoirs publics, tous les
médicaments sont en moyenne 70% moins chers qu'en Belgique.
Le jour où l'Ordre des médecins me
prouvera qu'il prend véritablement à coeur la
santé du patient et qu'il veut mener activement le débat
sur les moyens qu'il a de contrôler l'économie de
marché au sein du secteur des soins de santé en vue d'une
meilleure accessibilité, sans barrière financière,
pour tous ceux qui sont malades dans notre pays, ce jour-là,
j'envisagerai à nouveau de payer ma cotisation à cette
organisation.
C'est ma conviction personnelle et mon engagement en tant que
médecin pour le peuple d'assumer ma responsabilité de
médecin dans la lutte pour des soins médicaux de
qualité et gratuits pour tout le monde.
Je vous remercie,
-------------
Chris Deprédomme
Monsieur le juge,
Je vous remercie de me donner la parole, car je
trouve important de vous préciser ma vision. Quelle est la
raison pour laquelle je ne paie pas ma cotisation à l'Ordre des
médecins?
En tant que médecin de Médecine
pour le peuple, je pars du principe que le droit aux soins
médicaux est un droit social. La population paie en effet
déjà pour les soins
de santé via le salaire indirect, en
d'autres termes via les contributions sociales.
En outre, je me rends compte que dispenser
gratuitement des soins médicaux est une nécessité.
Ces dix dernières années, la pauvreté a
énormément augmenté à Bruxelles. Il y a la
progression des emplois mal payés et du travail
intérimaire, la progression aussi du chômage, du
marché noir sans aucune forme de protection sociale, il y a les
prix de plus en plus élevés des logements.
Beaucoup de gens sont donc obligés d'y
regarder à deux fois avant d'effectuer la moindre
dépense. Aller chez le médecin devient un luxe!
Déjà au niveau des soins de première ligne, je
constate que le ticket modérateur est une barrière
financière pour un grand nombre de personnes.
Et le même phénomène se
reproduit pour la deuxième
ligne. Les patients qui bénéficient d'une aide du CPAS ne
peuvent se faire soigner par des spécialistes que dans les
quelques hôpitaux publics que compte Bruxelles. À cause de
cela, les listes d'attente sont interminables, avec toutes les
conséquences qui en découlent. Si on veut être
soigné plus rapidement, c'est possible, mais dans un
hôpital privé, et avec un note plus élevée.
Durant ma consultation, je suis en outre de plus en
plus confronté au problème des médicaments trop
chers. Il n'est pas rare qu'un patient ne puisse pas payer les
médicaments qu'on lui prescrit parce que ceux-ci sont trop
chers, parce que
son salaire ou son allocation n'a pas encore été
versé, ou parce qu'il n'est pas en ordre avec son assurance
maladie.
Par conséquent, je dois constater que, pour
beaucoup, les soins de santé ne sont plus un droit fondamental
en Belgique, entre parenthèses le sixième pays le plus
riche du monde, mais bien un privilège réservé
à ceux qui ont assez d'argent.
Je constate aussi que ce n'est pas une
véritable préoccupation pour l'Ordre des médecins.
Pourtant, cette organisation a été créée,
selon ses propres dires, pour combattre les abus dans le secteur des
soins médicaux. Vu l'opposition que les médecins de Médecine
pour le peuple rencontrent de la part de l'Ordre des
médecins
depuis la création de l'organisation, je ne peux qu'aboutir
à la conclusion que les intentions véritables de l'Ordre
des médecins sont tout autres, à savoir défendre
les intérêts de l'industrie pharmaceutique et des
médecins qui, par une médecine du rendement,
veulent avant tout préserver leurs propres privileges.
C'est pourquoi je ne souhaite pas soutenir cette
organisation. Et d'où mon engagement pour une organisation comme
Médecine pour le peuple.
Article original en néerlandais:
Leen
Vermeulen & Chris Deprédomme, voor de rechter by Leen
Vermeulen & Chris Deprédomme
Ce matin, une petite centaine de personnes s'étaient rassemblées pour soutenir leur médecin et pour défendre une médecine gratuite et de qualité. Photos de la manifestation