arch/ive/ief (2000 - 2005)

L'Amérique latine contre les États-Unis.
by Fab Monday, Jun. 20, 2005 at 10:48 PM

Pour la première fois, les Etats Unis n’ont pas pu imposer leur candidat à la présidence de l’Organisation des Etats Américains (OEA), de même une réforme présentée par Condoleza Rice visant à permettre une intervention de l’OEA dans un pays menacé ou souffrant de déstabilisation, c’est à dire de remise en cause de ses institutions « démocratiques » (à l’image de ce qui s’est passé récemment en Equateur et en Bolivie), sans que les autorités de ce pays en fasse la demande a été rejettée. Ces évènements sont à l’image de ce qui se passe en Amérique Latine, où le leadership et l’ingérence des Etats Unis sont fortement remis en cause et où les peuples de cette région, la plus inégalitaire du monde, cherchent à mettre fin aux conséquences (misère, chômage, dépossession des ressources naturelles…) des politiques néolibérales imposées par le « Consensus de Washington ». Un article de Pagina/12 analyse le discours et la pratique des Etats Unis dans le sous continent. Fab

« Moniteur démocratique »

Le président nord-américain Georges Bush a échoué dans sa tentative de désigner le mexicain Luis Ernesto Derbez comme secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains (OEA) et a aussi échoué lundi quand lors de la réunion de cet organisme, à Fort Lauderdale (en Floride), il n’a pas réussi à inclure un mécanisme de monitoreo des démocraties de la région. Ce sont des situations peu communes dans l’histoire de l’OEA, historiquement plus enclins à accepter sans discussions les propositions de Washington. Dans les deux cas, ces deux échecs sont dus à la position active des gouvernements du Brésil, du Vénézuéla, de l’Argentine et de l’Uruguay. Lors de la discussion de Fort Lauderlale, se sont joints à ce groupe d’autres représentants, parmi lesquels ceux du Mexique et de la Bolivie.

En plus de l’existence de cet espèce de bloc dans la diplomatie régionale, le débat à l’OEA a mis en évidence le fait que le gouvernement de Bush approfondit une attitude plus interventionniste en Amérique Latine. Les arguments centraux du président nord-américain ont été l’impulsion de la démocratisation politique et de la libéralisation des marchés. Face aux affirmations de certains selon lesquels les Etats-unis sont très occupés avec l’Irak pour prêter attention à l’Amérique Latine, ce qui est certain c’est que les traités de libre commerce ont proliféré dans tout le continent. A part Cuba, le Vénézuéla et les pays qui intègrent le Mercosur, ceux qui n’ont pas de traité avec les Etats Unis ou ne sont pas en train d’en discuter ne sont pas nombreux.

Dans son discours à l’OEA, Bush a exprimé a satisfaction parce que tous les pays qui en font partie ont des systèmes démocratiques. Le président des Etats-unis a félicité les représentants des autres pays pour cette situation. Il s’est ainsi attribué le mérite qu’il n’y ait pas plus de dictatures quand le véritable mérite appartient aux peuples de ces pays et, au contraire, les dictatures ont été soutenues par les Etats-unis. Au lieu de répartir des félicitations, le gouvernement nord-américains devrait demander pardon pour avoir déstabilisé des gouvernements démocratiques à chaque fois qu’ils ne coïncidaient pas avec leurs intérêts.

Il s’agit de faits historiques sur lesquels il y a à chaque fois plus de preuves indiscutables grâce à la déclassification de documents secrets de l’administration nord-américaine. Et, cependant, Bush parle de la démocratie en Amérique Latine comme si c’était l’unique autorité morale pour le faire. Ce sont les peuples d’Amérique Latine qui ont récupéré la démocratie avec un coût de douleur et de sacrifice, avec des milliers de morts, de disparus et de torturés par des dictatures qui ont été soutenues par Washington et maintenant Bush veut leur donner des leçons de démocratie. Et propose des mécanismes de surveillance démocratique.

Les administrations nord-américaines ont appuyé les dictatures du Cône Sud avec l’excuse d’éviter le communisme. Pour elles, les dictatures ont été des moyens de permettre le retour des démocraties. C’est à dire que les mécanismes démocratiques nord-américains n’ont pas été très démocratiques pour les latino-américains. C’est certain que les pays latino-américains n’ont pas une grande tradition démocratique et qu’ils sont en train de la construire avec effort, mais les Etats Unis ne sont pas le meilleur professeur.

En plus, Bush a fait ce type de discours au moment même où son administration cherche une forme élégante pour protéger un terroriste illustre, le cubain Luis Posada Carriles, accusé d’innumérables violences sur ce continent. Beaucoup de cubains résidents à Miami, opposants à Fidel Castro, ont été engagés et entraînés dans les années 60 par la CIA, parmi eux Posada Carriles. Ils ont participé à la déstabilisation du gouvernement de Salvador Allende au Chili, au Plan Condor, à l’assassinat du général chilien Prats à Buenos Aires et à celui de Orlando Letelier à Washington et ont fait exploser en vol un avion de passagers cubain, un fait encore inédit dans l’histoire de violence de la région. Dans les années 70, ces personnages ont assisté les dictatures au niveau des pires thèmes. Bush père a été un des hauts directeurs de la CIA dans ces années et maintient des relations personnelles étroites avec quelques uns d’entre eux, comme Felix Rodriguez, l’agent de la CIA qui a donné l’ordre de tuer le Che en Bolivie et qui a dirigé les assesseurs cubano-étasuniens au Salvador et au Nicaragua quand il fut le chef direct de Posada Carriles pour cette mission.

Posada Carriles s’est échappé d’une prison vénézuélienne où il était jugé pour l’attentat contre l’avion cubain et maintenant le Vénézuéla réclame son extradition. Plusieurs parlementaires nord-américains et jusqu’au New York Times ont demandé qu’il soit extradé, mais Bush insiste pour le protéger. Cette double morale du président nord-américain est surprenante quand d’un côté il donne des leçons de démocratie sans faire preuve d’une attitude pluraliste et démocratique envers l’Amérique Latine et de l’autre il donne des leçons d’anti-terrorisme alors qu’il protège le responsable de l’explosion en vol d’un avion civil avec 74 passagers à bord. En réalité, ce qui étonne c’est que, malgré son ambiguïté tellement évidente, ce discours maintienne une crédibilité dans les médias et au niveau de la politique internationale.


Luis Bruschtein,
Pagina/12 (Argentine), 08 juin 2005.
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)