Bolivie : entre la constituante et la révolution by fab Sunday, Jun. 05, 2005 at 1:04 AM |
La gigantesque révolte bolivienne pour la nationalisation des hydrocarbures et contre le néolibéralisme et les transnationales se trouve dans un moment crucial, elle doit définir si elle avance par le difficile et accidenté sentier de la révolution ou si elle se maintient dans le démocratisme bourgeois.
Les secteurs les plus radicalisés des mineurs, des maîtres et des travailleurs des quartiers les plus pauvres de La Paz et de El Alto veulent fermer le discrédité Parlement, en finir avec le gouvernement néolibéral de Carlos Mesa et pousser les ouvriers et les paysans à la prise du pouvoir. A l'autre extrémité, les militants et les partisans du Mouvement au Socialisme (MAS), du député cocalero Evo Morales, luttent désespérément pour diriger la puissante ascension des masses que vit l'Altiplano vers la conformation d'une Assemblée Constituante, en oubliant la consigne de la nationalisation.
Les uns bataillent pour la révolution et la fin de la démocratie bourgeoise, les autres pour maintenir debout le Parlement et pour donner de l'oxygène à un système qui leur offre la possibilité de devenir gouvernement en 2007 à travers les élections. La lutte est intense entre les deux lignes idéologiques et politiques, et se livre autant dans les rues et les routes que dans les assemblées et les réunions d'ouvriers, paysans et habitants.
LA FORCE DE LA NATIONALISATION
Depuis l'insurrection populaire qui a renversé l'ex-président Gonzalo Sanchez de Lozada et qui a remis le pouvoir à Carlos Mesa, son vice-président, en octobre 2003, le niveau de conscience révolutionnaire des travailleurs boliviens est allé en
ascension et se sont déjà dissipées virtuellement toutes les espérances dans le nouveau président, qu'ils qualifient déjà comme un "gérant des compagnies pétrolières".
Dans les trois dernières semaines, sous l'influence d'une puissante mobilisation sociale qui vient de très bas, la consigne de la nationalisation a été très fortement adoptée, même parmi les adeptes du MAS, comme le sont les paysans des vallées et de l'orient, des cocaleros et des secteurs des maîtres ruraux, universitaires, quelques Centrales Ouvrières Départementales et Régionales et plusieurs fédérations de syndicalistes et d'Assemblées de quartiers. Au départ, tous exigeaient que la nouvelle loi des hydrocarbures soit modifiée pour que les compagnies pétrolières remettent à l'État la moitié de leurs recettes, garantissant la permanence de ces fonds dans le pays et la liberté pour exploiter les réserves de gaz et de pétrole, évaluées à au moins cent milliards de dollars. Maintenant tous réclament l'expulsion des compagnies pétrolières comme Repsol, Petrobras, Total, Enron, Shell, British Petroleum et autres qui amassent de grandes fortunes au détriment du pays qui a de grandes richesses naturelles mais la population la plus pauvre d'Amérique du Sud.
"La nationalisation est la demande centrale de tous ceux qui se sont mobilisés à La Paz et de tous les boliviens qui luttent sur les routes et dans les villes. Si nous récupérons les hydrocarbures, nous aurons résolu les problèmes de faim, les problèmes économiques qui affectent les boliviens. C'est l'unique opportunité que nous avons de sortir de la pauvreté", affirme, convaincu, le secrétaire de la Fédération Syndicale des Travailleurs Mineurs de Bolivie, le principal pilier de la
Centrale Ouvrière Bolivienne (COB).
LA VOIE REVOLUTIONNAIRE
Dans les rues de La Paz, une ville convulsionnée quotidiennement par de gigantesques manifestations et des barrages de rues, la nationalisation du gaz et du pétrole est pour beaucoup synonyme de pain, travail et dignité. Pour l'avant-garde syndicale et populaire, c'est synonyme de révolution sociale, vu qu'il est quasiment impossible que cette demande soit acceptée et mise en oeuvre par un gouvernement totalement soumis à l'ambassade des Etats-Unis, aux transnationales et aux organismes internationaux. Tâche impossible aussi pour un Congrès dominé dans ses 2/3 par les parlementaires qui ont co-gouverné avec Sanchez de Lozada et avec un autre tiers formé par des leaders paysans et intellectuels de la petite bourgeoisie qui veulent préserver par dessus tout la démocratie bourgeoise et la propriété privée des moyens de production.
Dans ce scénario, il est clair que l'appel de la COB et des secteurs les plus radicaux, à approfondir la mobilisation pour la nationalisation pourrait déboucher sur une lutte frontale pour le pouvoir politique. "Maintenant ou jamais, le peuple doit prendre le pouvoir avec les ouvriers, les paysans et une classe moyenne appauvrie et former un gouvernement du peuple, pour nationaliser les hydrocarbures et toutes les ressources naturelles en expulsant les transnationales", a proclamé la dernière assemblée élargie de la Centrale Ouvrière Régionale de El Alto.
La voie révolutionnaire se profile maintenant dans les secteurs les plus radicaux, suivant la tradition de la révolution de 1952 quand la mobilisation et la lutte des mineurs et du peuple ont vaincu l'Armée et renversé l'oligarchie minière féodale. "L'unique forme par laquelle nous expulserons les transnationales sera à travers de l'action directe des travailleurs, par la voie insurrectionnelle", affirme Vilma Plata, dirigeante des maîtres et qui n'hésite pas à qualifier Evo Morales de "vil traître".
Ce n'est pas par hasard que dans les manifestations populaires qui secouent La Paz et El Alto s'écoutent avec le plus d'insistance et de fréquence la consigne de "ouvriers au pouvoir", "paysans au pouvoir", "peuple au pouvoir".
LE POIDS DU REFORMISME
Cependant, cette consigne fait peur et beaucoup à ceux qui défendent la démocratie bourgeoise et qui ont fait du socialisme seulement un mot. Avec l'argument qu'il n'est pas possible de vaincre la bourgeoisie et l'impérialisme, les adeptes du MAS combattent l'idée de la révolution, de la fermeture du Parlement et essaient de diriger la mobilisation sociale vers l'Assemblée Constituante. Beaucoup de secteurs de paysans, de cocaleros, de syndicalistes et autres qui arborent la banderole de la nationalisation exigent aussi la convocation à une Assemblée Constituante, sous le prêche d'Evo Morales et des siens.
"Seule une dictature peut fermer le Parlement national. Le MAS comme mouvement démocratique n'accepte aucune dictature et il parie sur une démocratie. Il faut permettre que le Congrès approuve la convocation à l'Assemblée Constituante et la consultation au référendum sur les autonomies. Il faut joindre les deux programmes pour unir la Bolivie", dit Morales.
Dans ce cadre, Morales et le MAS travaillent au Congrès national pour la convocation à une future Assemblée Constituante, où ils essaieront de concilier les intérêts de l'oligarchie patronale de l'orient, qui défend les grandes propriétés rurales et les transnationales, avec les demandes populaires de nationalisation des ressources naturelles et de plus grande justice sociale. En échange de cette convocation, Morales et le MAS promettent de désactiver la révolte populaire et de sortir l'idée de la nationalisation de la tête des ouvriers, des paysans et des classes moyennes appauvries.
ETAPE CRUCIALE
La lutte entre les secteurs réformistes et révolutionnaires est intense, encore plus quand le Congrès essaie d'obtenir des accords pour en finir avec l'offensive révolutionnaire. "Nous luttons avec le peuple pour la nationalisation du gaz et du pétrole, qui ont été livrés aux transnationales par les gouvernements néolibéraux. Mais le Congrès veut seulement parler d'autonomies et de Constituante", se plaint Zubieta de la Fédération des Mineurs qui réclame, comme la COB, une loi de nationalisation des hydrocarbures.
"L'Assemblée Constituante est un sujet secondaire, ce n'est pas le prioritaire. Ce sujet nous pouvons le voir plus tard, mais le danger est qu'ils veulent nous faire croire qu'avec la Constituante tout va s'arranger, ils veulent que nous oublions la nationalisation. Ceux qui veulent la Constituante et oublient la nationalisation sont en train de trahir le peuple", ajoute le leader des mineurs.
Les hésitations du Congrès jouent en faveur des files révolutionnaires, l’influence, encore forte, des réformistes parmi les paysans, les cocaleros et les dirigeants des Fédérations et Centrales Ouvrières régionales en contre. Il manque aux révolutionnaires une unité, beaucoup plus d'organisation et une plus grande clarté dans ses idées sur un gouvernement ouvrier et paysan, plus de présence dans les assemblées de secteurs et de quartiers et une plus grande potentialité des germes de pouvoir qui émergent encore timidement dans les assemblées de quartiers et de zones.
La division qui existe dans l'Armée et dans la classe dominante joue aussi en faveur des révolutionnaires. Dans l'Armée, il y a des groupes de militaires qui sont d'accord avec la nationalisation des hydrocarbures et qui s'opposent aux autonomies régionales, des groupes fascistes d'extrème-droite et un courant centriste jusqu'à présent majoritaire de militaires institutionalistes. La clase dominante est divisée entre une aile radicale, concentrée à Santa Cruz et qui mise sur le séparatisme pour défendre les grandes propriétés rurales et les concessions pétrolières, et l'autre, plus modérée, repliée dans les régions de l'Altiplano et les vallées. Cependant, à l'intérieur de ce scénario, l'Ambassade des Etats-Unis travaille pour essayer d'éteindre les dissidences à l'intérieur de l'Armée et d'articuler l'oligarchie cruceña avec le reste de la classe dominante, en unissant la mitraille avec le capital transnational.
La Paz, 1 juin 2005.
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Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)