arch/ive/ief (2000 - 2005)

La Bolivie divisée au bord de l'affrontement
by fab Monday, May. 23, 2005 at 5:24 AM

D'un côté, il y a les demandes d'autonomie de la part de la "Bolivie riche", de l'autre, les grèves d'avertissement de la pauvre et, comme inquiétante toile de fonds, des rumeurs de coup d'Etat et de convergence militaro-syndicale.

La radicalité de la demande autonome de Santa Cruz menace de jeter plus de bois au feu dans le climat politique bolivien échauffé. Le conseil pré-autonomie se dispose à convoquer de fait aujourd'hui à une consultation, alors que les habitants de El Alto préparent des forces pour la grève civique illimitée de lundi prochain.
L'articulation de la consigne en faveur de la nacionalisation avec le refus des autonomies régionales a commencé à réunir un ensemble de secteurs sociaux plus ou moins dispersés jusqu'à maintenant. Les postures pro-autonomie et pro-nationalisation/anti-autonomie semblent de plus en plus antagoniques : les mouvements sociaux de l'occident du pays opposent l' "unité nationale" à l' "oligarchie étrangère" qui "veut s'approprier les ressources naturelles" -pétrole, gaz et terres-, alors que cette dernière voit dans l'Assemblée Constituante un terrain hostile à ses revendications régionalistes.

"Ce n'est pas seulement la crise d'un gouvernement, la Bolivie vit une crise d'appartenance à une communauté politique", a indiqué l'analyste Jorge Lazarte, qui considère que l'actuel conflit peut être potentiellement plus grave que la question du gaz. "Il s'agit d'un conflit régional avec de fortes connotations ethniques - culturelles dans un contexte de fragmentation élevée et avec des autorités publiques fortement affaiblies", a-t-il ajouté.
Hier une grève partielle s'est développée dans la ville de El Alto, impulsée la Centrale Ouvrière Régionale de cette ville, comme un "préchauffage" pour la grève civique illimitée convoquée pour lundi par les assemblées de quartiers et d'autres organisations de El Alto. Les manifestants ont pris le péage de l'autoroute et ont coupé le trafic entre cette cité indigène et La Paz, tandis que d'autres marches paralysaient le centre de La Paz avec des barrages sporadiques dans des points névralgiques de la capitale. Ce fut le deuxième jour de grève avec mobilisations à Potosi et à Cochabamba quelques secteurs ont marché et ont pacifiquement pris la raffinerie Gualberto Villarroel pour la nationalisation, contre les autonomies et contre le manque de diesel. Tous les secteurs menacent de "radicaliser les mesures à partir de lundi". Ce jour, arrivera au siège du gouvernement la marche encadrée par Evo Morales et à El Alto sont annoncé des barrages de routes.
Dans un climat raréfié par des versions de convergences possibles entre des secteurs nationalistes des Forces Armées et des groupes radicaux du mouvement social -Jaime Solaires, de la Centrale Ouvrières Bolivienne (COB) a dit que "si un militaire nationaliste surgit en Bolivie comme Chávez au Vénézuéla, il l'appuierait"-, Evo Morales a souligné que son parti s'opposera à n'importe quelle tentative de coup d'Etat "d'où qu'il vienne" et que "les changements doivent se réaliser en démocratie, sur la base de la conscience du peuple". Le leader cocalero a jeté des doutes sur le président du Congrès, Hormando Vaca Díez, "qui a disparu" de la scène après avoir promulgué la loi des hydrocarbures".Dans le cas de Solares, une tradition trotskiste semble être présente -enracinée parmi les mineurs et historiquement incarnée par le leader du POR, Guillermo Lora- qui soutenait que la "base populaire" de l'armée bolivienne permettait une confluence de type bolchevique entre ouvriers et secteurs moyens et bas des Forces Armées.

Ces derniers jours, des versions ont circulé à propos de l'existence d'un groupe militaire -autodénommé Fous Noirs (Alfiles Negros)- qui promouverait un gouvernement nationaliste à l'image de celui de Juan José Torres dans les premières années 70. Ces versions semblent amplifiées par le contexte d'incertitude extrême que vit le pays, que certains ont nommé "match nul (statut quo) catastrophique" parmi les forces sociales affrontées : ni l'orient (Santa Cruz) "moderne" peut imposer sa sortie "néolibérale" à la crise, ni l'occident "plébéien" (La Paz) peut incliner la direction politique en faveur d'une politique plus nationaliste. "Il est probable que des secteurs civils -de gauche et de droite, pour des raisons différentes- attendent une sortie de ce type, mais je ne vois pas de secteurs militaires intéressés" a évalué Lazarte.
Selon divers sources, le Conseil pré-autonomie de Santa Cruz défierait la légalité et (auto) convoquerait aujourd'hui à une consultation sur l'autonomie pour lñe 12 août prochain. "Nous espérons qu'il y ait une volonté des partis d'approuver une loi en ce sens", a dit le président du comité civique, Germán Antelo, qui a refusé "être en train de promouvoir le séparatisme". Il a écarté une réunion avec Evo Morales, qui la veille s'est déclaré disposé à articuler les deux agendas (Assemblée Constituante et référendum sur les autonomies). Des représentants de Santa Cruz se sont rendus à Trinidad (département du Beni) pour incorporer cette région bolivienne isolée au bloc Santa Cruz-Tarija à la bataille régionaliste. Pour Lazarte, "Mesa lui-même, avec le Parlement, sont responsables de cette situation, pour avoir cédé aux pressions du comité civique de Santa Cruz en violant la loi (en acceptant l'élection de préfets départementaux)", ce qui a contribué à déclencher l'avalanche actuelle que personne ne sait comment arrêter.

Pablo Stefanoni
Pagina/12 (Argentine), samedi 22 mai 2005
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)