arch/ive/ief (2000 - 2005)

Dire "non" à la Constitution pour dire "oui" à l'Europe et à la démocr
by Laurence Piraux, Catherine Meurisse et alter Friday, May. 20, 2005 at 8:31 PM

A l'heure du (non-)débat entourant, dans notre pays, la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe, notre démocratie semble bien mal en point.

Comme beaucoup nous nous préoccupions peu de l’Europe jusqu’à récemment. Les politiques et les enjeux qui y étaient liés nous passaient loin au-dessus de la tête. Nous faisions confiance, nous nous disions qu’il se trouverait toujours bien quelques eurocrates sensés qui garantiraient l’évolution vers une Europe politique et sociale.

Cela, jusqu’à ce que nous ayons la chance d’assister à une conférence sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe qui nous a profondément interpellées. A dater de ce jour, nous ne pouvions plus rester indifférentes. Nous n’étions pourtant pas habituellement portées au militantisme. Mais cette fois, c’en était trop. Nous avons alors ouvert grand nos yeux et nos oreilles, nous nous sommes informées et ce que nous avons vu nous a fait peur. Alors qu’en France le débat battait son plein, la Belgique était plongée dans un silence inquiétant. Il est vrai que la ratification ne reposant, dans notre pays, que sur les parlementaires, il aurait été bien inconfortable pour eux de voir naître une opposition claire parmi la population. Ils n’auraient pas pu faire comme si de rien n’était. Mais la démocratie n’est pas un système confortable. Elle trouve son fondement dans le débat contradictoire. Pourtant, au vu de ce que nous avons pu constater par nous-mêmes au Sénat le 28 avril, les assemblées parlementaires belges, communautaires et régionales semblent s’engager dans la voie du non-débat. Qu’est-ce qu’une démocratie où la seule voix d’opposition, dans les assemblées de nos représentants, est portée par les partis d’extrême droite? Qu’est ce qu’une démocratie où les parlementaires, liés par la discipline de parti, ne sont pas libres de voter selon leurs convictions ? Qu’est-ce qu’une démocratie où l’on confisque toute possibilité de débat en se lançant dans une course à la ratification ? Par qui sont encore représentés tous les citoyens démocrates qui ne veulent pas, pour des raisons démocratiques, d’un texte qui a la prétention et le pouvoir de remplacer notre Constitution belge, sans qu’aucun élu n’en ait reçu le mandat ni que la procédure de modification de la Constitution n’ait été respectée ? Nous pouvons toujours aller donner des leçons aux quatre coins du monde sur ce que doit être une démocratie, nous en bafouons nous-mêmes les principes essentiels.

Mais venons-en à la source principale de nos inquiétudes : le Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ayant écouté les motifs des partisans du oui et du non, nous sommes forcées de constater que ce texte, présenté par les politiques comme une avancée en terme de démocratie, de transparence et de développement (de l’Europe économique mais aussi politique et sociale) est en fait une entorse magistrale à la démocratie. Tout d’abord, une constitution est censée être un texte lisible, compréhensible et neutre déterminant, d’une part, les différents pouvoirs et leur relation de contrôle mutuel et, d’autre part, les droits et devoirs des citoyens. Elle ne constitue en aucun cas un programme politique. Or, le traité constitutionnel européen consacre une fois pour toutes le néolibéralisme comme choix politique pour l’Europe. Alors que la « concurrence libre et non faussée » revient comme un refrain tout au long du traité, « l’économie sociale de marché » n’est mentionnée qu’une seule fois. Mais ce qui nous inquiète particulièrement, ce sont les restrictions importantes apportées aux droits fondamentaux. Alors que la plupart des constitutions nationales (française, belge, allemande, danoise, espagnole, italienne, irlandaise, luxembourgeoise, portugaise, suédoise, finoise, néerlandaise) établissent le droit au travail, le droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, à la couverture des soins de santé et le droit à un logement, ces droits ne figurent pas dans la constitution européenne. Tout au plus, l’Union reconnaît-elle et respecte-t-elle les législations en matière de santé et de sécurité sociale, mais sans que cela ne constitue aucunement un engagement pour la création d’un véritable droit social européen. Que penser d’une Constitution qui transforme le droit au travail en droit de travailler, c’est-à-dire, finalement, en droit de chercher du travail ?

Si les tractations européennes peuvent nous paraître comme irréelles et déconnectées de notre quotidien, il s’agit ici d’un phénomène qui nous concerne tous intimement. Avec cette constitution, c’est l’avenir démocratique de l’Europe et de notre pays qui est en jeu. Il est important de comprendre que refuser cette constitution ne sonne pas le glas pour l’Europe mais constitue une opportunité de pouvoir la construire dans le respect des droits fondamentaux de ses citoyens. Nous ne nous reconnaissons pas dans l’Europe qu’on nous propose (qu’on nous impose ?). Dire non à cette constitution ne signifie pas dire non à l’Europe, c’est dire non à cette Europe-là. C’est laisser une chance à l’Europe de se construire dans la solidarité et d’être réellement démocratique.

Laurence Piraux, Catherine Meurisse, Céline Van Pottelbergh, Donatienne Hargot, Emilie Balteau, Natalia Résimont (étudiantes en sociologie et en travail social à l’Université Libre de Bruxelles)