arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les USA et l’Alliance Cuba-Vénézuéla
by James Petras Saturday, Apr. 23, 2005 at 11:52 PM

Une escalade militaire contre le Vénézuéla faisant partie d’une stratégie « en 2 étapes » contre Cuba pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les USA : l’expansion des luttes révolutionnaires en Colombie et dans le reste de l’Amérique Latine.

Source : Rebelion.org

Introduction

L’exemple vivant de résistance pleine de succès à l’agression militaire US et à son boycott économique qu’est Cuba est extrêmement dommageable pour l’objectif d’empire mondial que s’est fixé Washington, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le succès cubain réfute la théorie mise en avant par le « centre-gauche » qu’un « petit » pays, « non développé » ne puisse pas résister à la puissance impériale, ni même maintenir une révolution en pleine « globalisation ». Deuxièmement, la survie de la révolution Cubaine réfute l’idée selon laquelle les Caraïbes et les pays latino-américains proches des USA doivent se conformer au diktat de Washington. Troisièmement, Cuba démontre que l’empire Américain n’est pas invincible. Cuba a défait presque toutes les grandes agressions militaires, politiques et diplomatiques que l’île a dû affronter pendant 50 ans.

Diplomatiquement, Cuba est reconnu par presque tous les pays du monde, et reçoit aux Nations Unies le soutien de plus de 150 pays (contre 3 pour les USA) à l’opposition à l’embargo américain. Economiquement, Cuba a des relations commerciales avec les grands pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Nord (excepté les USA) et du Sud. Sur le plan militaire, les forces armées Cubaines et les services d’intelligence ont défait chaque attaque terroriste (soutenue par les USA) sur l’île durant ces 50 dernières années, et ont augmenté le coût politique de chaque invasion potentielle. En réponse à ce demi-siècle d’échecs, l’Administration Bush a intensifié son agression : pratiquement éliminer tous les voyages USA-Cuba, bloquer les virements familiaux, et augmenter les restrictions sur la nourriture et les médicaments. Bien que ces dures mesures ont eu quelques effets négatifs sur Cuba, elles ont aussi provoqué une opposition parmi les secteurs conservateurs de la population américaine. Beaucoup d’exilés cubains qui soutiennent normalement Bush se retrouvent dans une drôle de situation puisqu’ils ne peuvent plus aider financièrement leurs familles restées à Cuba. Les intérêts agricoles de 38 Etats qui soutenaient Bush sont furieux de ces nouvelles restrictions sur le commerce. Les ennemis libéraux et conservateurs de la révolution cubaine qui espéraient subvertir le régime par de la pénétration culturelle et idéologique en ont assez de ces restrictions culturelles et touristiques.

Autrement dit, au plus les mesures adoptées par l‘Administration Bush sont dures, au plus les USA sont isolés. Ceci est vrai tant sur le plan externe que sur le plan interne. Examinons quelques cas.

Les USA ont exploité l’emprisonnement de plus de 70 propagandistes à la solde de Washington, les cataloguant « dissidents politiques », et s’assurant en principe l’appuie de l’Union Européenne. Un an après, celle-ci rompa avec Washington et renouvela et intensifia ses relations culturelles et économiques avec Cuba.

Pendant que les USA renforcent leur embargo commercial, les liens commerciaux de Cuba avec la Chine et le reste de l’Asie, le Vénézuéla, le reste de l’Amérique Latine, le Canada et l’Europe se sont étendus et approfondis. Les restrictions américaines sur les transferts financiers familiaux ont été affaiblis par des membres de familles envoyant l’argent via des pays Tiers (Mexique, Canada, République Dominicaine, etc …). Le tourisme Canadien, Européen, Latino-Américain et Asiatique a dépassé les 2 millions de visiteurs annuels, et les nouveaux flux d’investissements ont compensé le déficit provenant des restrictions financières familiales.

Finalement, les tentatives de Washington pour limiter l’accès de Cuba aux ressources énergétiques après la chute de l’URSS a été défait par les accords commerciaux et la coopération avec le gouvernement Vénézuélien du président Chavez. Le régime Chavez fournit du pétrole à Cuba à des prix subsidiées en échange d’un vaste programme de santé et d’éducation pour les pauvres du Vénézuéla. Les relations politico-économiques entre Cuba et le Vénézuéla ont affaibli les efforts pour forcer les pays des Caraïbes et d’Amérique Latine à rompre avec Cuba. Etant donné ces échecs, l’Administration Bush s’est tournée vers une stratégie de destruction de l’alliance Cubano-Vénézuélienne.

La stratégie en 2 étapes

La stratégie US pour la destruction de la révolution cubaine suit de plus en plus une approche “à 2 étapes” : d’abord, renverser le gouvernement Chavez au Vénézuéla, supprimer l’approvisionnement en énergie et les relations commerciales, et ensuite procéder à un étranglement économique et une attaque militaire. Cette stratégie « en 2 étapes » implique l’élaboration d’une action calibrée pour renverser le gouvernement Chavez.

Les efforts de Washington pour renverser Chavez n’ont conduit jusqu’en 2005 qu’à de sévères défaites. Ceux-ci se sont principalement basés sur une « approche par l’intérieur », utilisant les classes possédantes Vénézuéliennes, des secteurs de l’armée et la bureaucratie syndicale corrompue. Non seulement ces outils de Washington ont été défait, mais ils ont été sévèrement affaiblis pour une utilisation future. Le soutien de Washington dans le coup d’Etat militaire échoué a donné comme résultat la perte de plusieurs centaines d’officiers contre-révolutionnaires qui durent démissionner. Le soutien de Bush au lock-out pétrolier a provoqué l’expulsion de milliers d’officiers pétroliers alliés avec Washington. La défaite du référendum pour révoquer Chavez a provoqué la mobilisation, la politicisation et la radicalisation de millions de Vénézuéliens pauvres et a démoralisé les classes possédantes supportant Washington. Le résultat de toutes ces défaites a obligé Washington à se tourner vers une stratégie « externe » : la clef est une intervention militaire croissante en association avec le régime terroriste de Uribe en Colombie.

La stratégie US contre Cuba implique une attaque du Vénézuéla par les forces US et colombiennes, soutenus par les terroristes locaux et les classes possédantes. Cette attaque indirecte de Cuba implique une préparation complexe et une coopération avec la Colombie. Premièrement, Washington et Uribe ont largement renforcé leurs bases militaires à la frontière Vénézuélienne. Deuxièmement, des incursions militaires régulières, impliquant des forces militaires et paramilitaires colombiennes, testent les défenses Vénézuéliennes. En 2004, 6 soldats Vénézuéliens ont été tués, des officiels Vénézuéliens furent obligés de kidnapper un résistant Colombien et de nombreux attaques contre des réfugiés Colombiens eurent lieu à la frontière. Troisièmement, les USA ont fourni 3 milliards de dollars d’aide militaire à la Colombie, triplant la taille des forces armées (plus de 275.000), augmentant aussi ses unités de combat aériennes (hélicoptères, bombardiers), mais encore de la haute technologie militaire et plusieurs milliers de conseillers militaires. Quatrièmement, Washington a recruté le régime de Gutierrez en Equateur (maintenant renversé), envahi Haïti, établi des bases militaires au Pérou et en République Dominicaine, et ont engagé des manœuvres navales près des côtés Vénézuéliennes en préparation à une attaque militaire. Cinquièmement, la Colombie (sous tutelle US) a signé une coopération militaire le 18 décembre 2004 avec le Ministre de la Défense Vénézuélien, fournissant ainsi des informations aux USA et pouvant servir ainsi à l’infiltration des Forces Armées Vénézuéliennes pour assassiner des officiers pro-Cubains.

La stratégie triangulaire

Les USA se basent sur leur “stratégie triangulaire” pour renverser Chavez : une invasion militaire depuis Colombie, une intervention US (Attaques aériennes et navales avec des forces spéciales pour assassiner les officiels) et un soulèvement interne avec des terroristes infiltrés et des militaires contre-révolutionnaires, supportés par les médias privés, les financiers et les élites pétrolières. La stratégie implique la prise du pouvoir, expulsant les missions d’aide Cubaines et rompre la coopération avec Cuba.

Avant cette opération militaire concertée, Washington a construit une campagne de propagande contre l’alliance Cubano-Vénézuélienne : dénoncer les tentatives du Vénézuéla pour rectifier l’énorme déficit militaire avec la Colombie en achetant des armes défensives, et faire monter le spectre d’une « subversion » Vénézuélienne en Amérique Latine. La clef pour la politique US est de prévenir une union du Vénézuéla et de Cuba en tant qu’alternative sociale au système néo-libéral latino-américain. L’agression US prend de l’ampleur pendant que la réforme agraire s’étend, le Vénézuéla prépare ses capacités de défense propre et Chavez diversifie ses liens commerciaux. Le grand soutien de Cuba aux programmes sociaux Vénézuéliens a consolidé le soutien populaire au régime Chavez et est la base principale de la défense du processus de radicalisation.

Alors que le Vénézuéla affronte les menaces Américaines, il consolide ses liens avec Cuba. Le destin des 2 projets sont en train de se rejoindre dans un unique projet anti-impérialiste, malgré les différences entre les systèmes sociaux et la composition politique.

Points forts de l’alliance cubano-vénézuélienne

La stratégie “externe” Américaine envers le Vénézuéla et son approche en “2 étapes” envers Cuba souffrent de grandes limites.

Premièrement, le régime Colombien doit faire face à une grande opposition interne : 20.000 guerilleros et des millions de Colombiens sympathisants des programmes de réforme agraire, de la politique souverainiste et des libertés civiles accordés par le régime Chavez. Il est très dangereux pour Uribe de commencer une « guerre à 2 fronts », qui pourrait ouvrir la voie à des attaques dans les grandes villes, y compris Bogota.

Deuxièmement, les USA s’embourbent en Irak et les Sionistes mettent en avant la priorité d’une guerre contre la Syrie et l’Iran. L’intervention militaire pourrait être limitée à des attaques aériennes et navales et des Forces Spéciales.

Troisièmement, la guerre mobilisera des millions de Vénézuéliens dans une guerre de libération nationale, défendant leur propre pays, maisons, voisins, familles et amis. De plus, des guerres de libération massives radicalisent la population et mènent fréquemment à la confiscation de la propriété bourgeoise contre-révolutionnaire. Une invasion manquée pourrait pousser le Vénézuéla vers une plus grande socialisation de l’économie et éliminer l’élite locale.

Quatrièmement, l’économie US et ses multinationales perdraient une quantité non négligeable de pétrole dans un marché chaque jour plus difficile, affaiblissant la position américaine dans le marché global énergétique.

Cinquièmement, une invasion mènerait probablement vers un pacte de défense mutuel entre Cuba et le Vénézuéla, ce qui affaiblirait la politique US dans les Caraïbes.

Sixièmement, une invasion pourrait provoquer beaucoup d’agitation à travers toute l’Amérique Latine, menaçant les Etats clients des USA, et minant le système néo-libéral.

Conclusion

Pour toutes ces raisons, les tentatives de Washington pour mettre en œuvre cette politique « en 2 étapes » envers Cuba et le Vénézuéla, bien que extrêmement dangereuse pour ces 2 pays, pourraient avoir un effet boomerang, provoquant une nouvelle vague de luttes anti-impérialistes dans toute la région.

Jusqu’à maintenant, l’escalade de l’agression économique et diplomatique US contre Cuba a provoqué une plus grande isolation des USA en Europe et dans tout le Tiers-Monde. Une escalade militaire contre le Vénézuéla faisant partie d’une stratégie « en 2 étapes » contre Cuba pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les USA : l’expansion des luttes révolutionnaires en Colombie et dans le reste de l’Amérique Latine.

15 mars 2005