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L'universalité des droits humains, par Noam Chomsky
by fab Sunday, Apr. 10, 2005 at 3:04 PM

Noam Chomsky est professeur de linguistique à l'Institut de Technologie du Massachusetts, à Cambridge, et auteur du livre récemment publié "Hegemony or survival: America's quest for global dominance"

Lors des récentes années, la philosophie morale et les sciences cognitives ont exploré ce qui semblent être de profondes intuitions morales : peut être les bases primordiales des jugements éthiques.

Ces investigations se concentrent sur des exemples fictifs qui fréquement révèlent de suprenantes coincidences de jugement, autant au niveau des enfants que des adultes. Pour illustrer, j'ai pris en retour un exemple de la vie réelle qui nous conduit au thème de l'universalité des droits humains.

En 1991, Lawrence Summers, qui sera postérieurement secrétaire du Trésor du président Bill Clinton et qui est maintenant président de l'Université d'Harvard, s'est illustré comme principal économiste de la Banque Mondiale. Dans un mémorandum interne, Summers a démontré que la banque devait encourager les industries polluantes à se déplacer dans les pays les plus pauvres de la planète.

La raison en était que "la mesure des coûts de la pollution à l'origine de maladies dépend des revenus prévus d'une augmentation de la morbidité et de la mortalité", a écrit Summers. "Depuis ce point de vue, une certaine quantité de pollution à l'origine de maladies doit se faire dans le pays avec le coût le plus faible, qui sera la nation avec les plus petits salaires.

"Je crois que la logique économique de décharger des ordures toxiques dans le pays où existe les salaires les plus bas est impécable, et que nous devons la mettre en oeuvre".

Summers a indiqué que "n'importe quelle raison morale" ou "préoccupation sociale" autour d'une telle action "peuvent être retournées et utilisées plus ou moins efficacement contre n'importe quelle proposition de la banque en faveur de sa libéralisation".

Le mémorandum a filtré et a causé de furieuses réactions. Un exemple a été celle de fue José Lutzenburger, secrétaire de l'Environnement du Brésil, qui a écrit à Summers: "votre raisonnement est perfectement logique et totalement malsain".

Le standart moderne pour de telles questions est la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, approuvée par l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1948.

L'article 25 déclare : "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté".

Quasiment avec les mêmes mots, ces provisions ont été réaffirmées dans des conventions souscrites par l'Assemblée Générale, et dans des accords internationaux sur "le droit au dévelloppement".

Il semble raisonablement clair que cette formulation des droits humains universaux rejette l'implacable logique du chef des économistes de la Banque Mondiale en la considérant profondément immorale, possiblement malsaine -qui fut, certainement, un jugement universel.

Je souligne le mot "virtuellement". Des cultures occidentales condamnent quelques pays comme "relativistes", interprètent la déclaration de manière sélective. Mais un des principaux relativistes est l'Etat le plus puissant du monde, leader des autodésignées "des nations cultivées".

Il y a un mois, le Département d'Etat des Etas-Unis a diffusé son rapport annuel sur les droits humains.

"La promotion des droits humains n'est pas seulement un élément de notre politique extérieur, c'est la base de notre politique et notre préoccupation principale", a dit Paula Dobriansky, sous-secrétaire d'Etat pour les affaires mondiales.

Dobriansky a été sous-secrétaire d'Etat pour les droits humains durant les gouvernements de Ronald Reagan et de George Bush père. Et tandis qu'elle occupait cette fonction, elle a tenté de dissiper "le mythe" que "les droits économiques et sociaux" constituent des droits humains.

Cette position a été réitérée fréquement, et Cette position a été fréquemment réitérée, et souligne le veto de Washington au "droit au dévelloppement" et son rejet constant à accepter les conventions sur les droits humains.

Peut-être le gouvernement refuse les provisions de la Déclaration Universelle des Droits humains. Mais la population étasuniène est en désaccord. Un exemple est la réaction publique à la proposition de budget fédéral récemment présentée, comme l'a indiqué une enquête du Programme d'Attitudes Politiques Internationales de l'Université du Maryland.

Les personnes interrogées réclament des coupures drastiques dans les frais militaires avec de fortes augmentations des frais pour l'éducation, la recherche médicale, le travail, la conservation de l'énergie, l'usage de sources renouvelables, ainsi qu' une aide économique et humanitaire pour les Nations Unies, avec l'annulation des découpages fiscaux aux riches, approuvés par le gouvernement de George W. Bush.

Il y a actuellement beaucoup de préoccupation internationale, et avec de bonnes raisons, à propos de la rapide expansion du déficit commercial et budgétaire des États-Unis. Et, de manière étroitement liée, figure le croissant déficit démocratique, non seulement aux États-Unis, mais en général, dans tout l'Occident.

La richesse et le pouvoir ont beaucoup de raisons pour désirer que le public ne participe pas à la détermination et à la mise en oeuvre d'une politique. Ceci est un autre sujet de grande préoccupation, assez éloigné de sa relation avec l'universalité des droits humains.

Il vient de s'accomplir le 25ème anniversaire de l'assassinat de l'archevêque Oscar Romero, du Salvador, connu comme "la voix des sans voix", et le 15ème anniversaire du meurtre de six importants intellectuels latino-américains qui étaient prêtres jésuites, aussi au Salvador.
Los eventos enmarcaron la horrenda década de los 80 en Centroamérica.

Romero et les intellectuels jésuites ont été assassinés par des forces de sécurité armées et dressées par Washington, les mentors immédiats des actuels fonctionnaires en exercice.

L'archevêque a été assassiné peu de temps après avoir écrit au président Jimmy Carter en lui priant de ne pas envoyer d'aide à la junte militaire du Salvador, qui "aiguisera la répression qui a été déployée contre les organisations populaires qui luttent pour défendre les droits humains les plus fondamentaux".

Le terrorisme d'État a enregistré une escaladée, toujours avec le soutien des États-Unis et avec aide de la complicité et le silence de l'Occident.

Des atrocités similaires sont en train de se dérouler actuellement, aux mains de forces armées approvisionnées et dressées par Washington, avec le soutien d'alliés occidentaux : par exemple, en Colombie, principal violeur des droits humains de l'hémisphère, et principal destinataire de l'aide militaire étasuniène.

Il semble que l'année dernière, la Colombie a conservé le record d'assassiner plus d'activistes syndicaux que tout le reste du monde. En février, dans une population qui s'était déclarée "communauté de paix" dans la guerre civile de Colombie, on a informé que les militaires avaient assassiné huit personnes, y compris le leader de la population, et trois enfants.

Je mentionne ces exemples pour rappeler aux lecteurs que nous ne sommes pas simplement engagés dans des séminaires ou dans des principes abstraits, ou en discutant des cultures lointaines que nous ne comprenons pas. Nous parlons de nous mêmes, et des valeurs morales et intellectuelles des communautés privilégiées dans lesquelles nous vivons. S'il ne nous plaît pas ce que nous voyons quand nous observons le miroir avec honnêteté, nous avons toute opportunité de faire quelque chose autour de cela.

Noam Chomsky est professeur de linguistique à l'Institut de Technologie du Massachusetts, à Cambridge, et auteur du livre récemment publié "Hegemony or survival: America's quest for global dominance"

Traduit par Fab (santelmo@no-log.org) à partir de la version en espagnol publiée dans La Jornada (Méxique) du 10 avril 2005 (http://www.jornada.unam.mx/2005/abr05/050410/018a1pol.php)