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Argentine : COMEDIE K : FIN DU PREMIER ACTE
by fab Friday, Apr. 08, 2005 at 11:45 PM

Comédie K, pour Kirchner, ou comment K a réussit à s'imposer après le soulèvement populaire de décembre 2001, grâce à une rhétorique "révolutionnaire" ou "progressiste", et en l'absence de réformes de fonds. Comment le système politique mafieu argentin opère en fonction des différentes crises pour préserver la "gouvernabilité". Jorge Beinstein, économiste argentin, nous éclaire à l'aide d'éléments historiques, économiques et politiques, en appelant de ses voeux la constitution d'une force révolutionnaire capable de mettre fin à cette "comédie" politique, qui le moins qu'on puisse dire, est dramatique pour la majorité des argentin(e)s.

Chronique d'un dégonflage annoncé.

COMEDIE K : FIN DU PREMIER ACTE


Depuis le début de l'année, le dégonflage du globe médiatique monté autour du système K (Kirchner) semblait imminent. La multiplication de gestes et des suragissemnets ne pouvait occulter indéfiniment le caractère conservateur du gouvernement dont la mission historique a été la préservation de la gouvernabilité del régime économique engendré en 1976 (dictature militaire) et ensuite reproduit et exacerbé par une série pénible de présidences civiles.
Le soulèvement de décembre 2001 et les mois agités qui l'ont suivi avaient placé la mafia politique, syndicale et judiciaire au bord du désastre et en conséquence les groupes d'affaire dominants sur le point de se retrouver sans réseau institutionnel protecteur. Mais cela ne s'est produit, l'impulsion populaire s'est ralentie et tandis que la tourmente s'éloignait, les connus de toujours, l'un après l'autre, ont
relevé la tête. Juges-serviette, entrepreneurs à succès, dirigeants politiques et syndicaux de la démocratie possible... peu à peu se sont réinstallés, d'abord timidement mais ensuite, en constatant "qu'ils étaient tous resté" (1), ont récupéré l'auto-estime et le chemin du pouvoir. De toutes manières, ils avaient appris quelques leçons, tout du moins leurs éléments les plus lucides ou les plus mis sous
pression par l'ambassade nord-américaine et le pouvoir économique.
En premier lieu, Eduardo Duhalde, qui après une grotesque et téméraire tentative répressive au milieu de 2002 (2) a décidé d'impulser un "changement" de gouvernement (au travers d'élections manipulées) mais qui offriraient des garanties suffisantes de stabilité. Des candidats ont alors été écartés et finalement s'imposa le gouverneur de Santa Cruz (une des provinces de la Patagonie), Nestor Kirchner,
accompagnateur discipliné de l'orgie néolibérale des années 90. Son éloignement du centre de la scène lui a permit de changer de vestuaire sans trop attirer l'attention et de modifier impunément son image aux nouveaux temps. Ce fut ainsi qu'un des membres les moins grillés de la mafia des gouverneurs justicialistes (péronistes) est devenu le candidat parfait pour le show de la gouvernabilité. Qui ne pouvait pas être retrouvée avec de la musique autoritaire, au risque de
provoquer une nouvelle pueblada (soulèvement populaire), ni avec la marche péroniste (3), Menem-Duhalde avaient pressé au maximun le citron, ni encore moins avec un remake de Carlitos (surnom de Carlos Menem).

La mise en scène

Face à la confusion générale, le rideau s'est levé , les prestidigitateurs avaient préparé une comédie surprenante, couverte de discours audacieux, de gestes insolites. Les rituels conventionnels (et avec peu de vieux comédiens) ont été lancés à la poubelle et le régime est entré en scène avec un nouveau déguissement progressiste. Il ne répétait pas les litanies de l'alfonsinismo, ni du Frepaso (4),
dont l'orgueil superstructurel a coincidé historiquement avec une longue période de décomposition moral du peuple, qui de plus manquaient des sources idéologiques (traditionnelles) de légitimation radical-péroniste, dégradées par vingt ans de démocratie coloniale. Il a été nécessaire de combiner conservateurisme économique et social avec setentismo culturel (5), bien sûr limité à l'évocation (prudente) d'un
passé brumeux et à peu de faits institutionnels très bien
dosifiés, le tout avec beaucoup, énormément de discours bravaches et menacants contre les entreprises privatisées (6), le FMI et l'héritage menemiste. Il s'est armé le catalogue présidentiel avec un ministre de l'Economie confiable (pour le pouvoir économique), un ministre de la Justice avec renommée d'honnêteté (mais réactionnaire), un ministre des Affaires étrangères progresiste et pro-nord-américain, beaucoup de fonctionnaires de second rang au passé plus ou moins gauchiste, plus une bonne légion d'amis (avec des curriculums soigneusements
épluchés). Tout bien assaisonné pour experts en manipulations médiatiques.

La convergence

La vague K a pu montrer ses audaces, mettre dans le même sac des setentistes intégrés et des conservateurs organiques, se congratuler avec Chavez et recevoir des tapes affectueuses de Bush, faire les devoirs avec le FMI, remplir les poches de Repsol (7) et pleurer à la ESMA (8), en résumé consommer un des rites de base de la politiqueria autochtone, mélange de confusion, de schizophrénie et de comportement
hypocrite. Cela a été possible parce qu'un ensemble de facteurs convergents (éloignés de sa volonté) l'ont permis. L'équipe K a confondu ces conditions avec habilité propre mais maintenant que se détériore ce contexte, les maladresses de ses membres se sont
découvertes.
Décembre 2001 a eu beaucoup à voir avec cela. Les Etats-Unis ont priorisé la gouvernabilité argentine menacée par la protestation populaire et ont effectué des pas concrets en soutien au nouveau président, le couvrant d'éloges, facilitant les relations avec le FMI. L'establishment local (groupes économiques dominants, grands
médias de communication, etc.) a adopté une actitude identique, il a fait le sourd face au verbiage setentista du gouvernement, afin d'assurer la bonne marche de leurs affaires et le contrôle du mécontement social. D'autre part, les classes moyennes, après les tumultes, ont préféré parier aussi sur la gouvernabilité dans
leur éternelle recherche d'améliorations à l'intérieur du système, tandis que le gros des classes basses a opté, sans autre alternative visible, pour la passivité.
Il s'est agit en conséquence d'une vaste convergence conservatrice d'intérêts externes et internes destinée à soutenir un édifice avec du ciment totalement dégradé. Ce fut une alliance éphémère dont la vie dépendait, pour une bonne mesure, de la durée de la pseudo récupération économique.

L'essor

Une des origines de la récupération hyper-publicitée a été paradoxalement l'effondrement de fin 2001. C'est à dire la combinaison du défault (moratoire) de la dette externe et l'inflation qui s'est produite sur une économie en récession depuis plusieurs années. Les salaires publics et privés réels ont chuté à pic, beaucoup
d'entreprises ont fait faillite, loe crédit a disparu temporairement, les banques se sont appropriées l'argent des épargnants. Dans le même temps, les entreprises qui étaient toujours debout (les transnationales en premier lieu) expérimentaient la drastique réduction de leurs coûts salariaux et les exportateurs obtenaient des super-bénéfices grâce à la dévaluation. L'Etat payait alors moins de salaires en termes réels et participait par la voie des impôts aux profits extraordinaires des
exportations obtenant de croissants excédents fiscaux.
En plus, comme le marché interne se réduisait, les importations ont généré de grands soldes positifs du commerce extérieur.
(...)
Le système avait accouché d'un nouveau modèle, élitisto-exportateur qui eu son essor durant l'année 2003.

La fin du printemps

Mais le printemps est en train de prendre fin, dans le second trimestre sont apparues des tendances négatives dans l'industrie, la construction et dans les expectatives de consommation des strates supérieures et moyennes. Autant les fonctionnaires gouvernementaux que les porte-parole des principaux groupes économiques sont d'accord que pour dire que la prochaine période sera caractérisée par la décélération de la croissance, le mot récession n'est pas prononcé mais il commence à s'introduire discrètement.
(...)
Mais en bas, la détérioration économique devra augmenter le mécontentement des pauvres et des classes moyennes en déclin. C'est le retour de la lutte des classes, cette chose obsolète selon les progressistes.
Et face à cela, l'etablishment va prendre ses distances par rapport à un gouvernement chaque moins capable de garantir la stabilité (et les super-profits), les premiers murmures conspirateurs de l'élite ont commencé à s'écouter remplissant de peur les gouvernants équilibristes. Il est possible que dans pas longtemps, les Etats-Unis se montrent aussi moins affectueux.

Politiques de droites et progressistes

Les turbulences de la conjoncture ne devraient pas nous faire perdre de vue des chiffres stratégiques essentiels de la réalité argentine. Un très important est la constatation de l'existence d'une sorte d'alternance historique entre les politiques de droite et les progressistes exercée durant les dernières vingt années de manière
tranversale, pénétrant, manipulant les formations politiques traditionnelles.
Les premiers réalisant les réformes élitistes de fonds et les seconds assurant la préservation des changements réalisés par la droite. Les conquêtes économiques et sociales de la contre-révolution militaire de 1976, quand celle-ci s'est effondrée, ont pu être sauvées par la politique du possible d'Alfonsin. Les réformes néolibérales du ménémisme ont été préservées premièrement par le progre-conservateurisme de l'Alliance (1999-2001) et ensuite par le gouvernement K (au travers de la mafia duhaldiste) (9).
Ce bipartisme réel droite-progressiste, coexistence de deux sous-cultures à l'intérieur du système, a traversé le bipartisme formel radical-péroniste. Il a créé des nouvelles formations (comme le Frepaso ou la Ucede) pour ensuite les dissoudre dans le jeu du pouvoir.
Historiquement, l'un ne peut exister sans l'autre, la droite se légitimisant face aux indécisions naturelles du progressisme, logiques dans une trame essentiellement conservatrice, et le progressisme trouvant sa raison d'être dans la brutalité élitiste de la droite. Les deux reproduisant un système qui a quasiment trente ans de vie.
La droite n'est pas morte avec Videla et Galtieri (ancien chefs de la dernière junte militaire), elle a attendu son heure et s'est réinstallé avec visage civil et péroniste sous le ménémisme. Le progressisme n'a pas disparu non plus avec le désastre radical alfonsiniste, il a opéré en contre-poids au ménémisme dans le Frepaso, est retourné au gouvernement en avec le radical De la Rua et est revenu
maintenant depuis le justicialisme dans la vague K qui entre autres choses se proclame transversal au-dessus du vieux bipartisme (10).
Maintenant quand l'actuelle expérience commence à s'épuiser depuis les deux sous-cultures commence à apparaître des expressions de rechangement... au cas où... les grands marionnetistes du système ne veulent pas de surprises désagréables comme celle de décembre 2001. Si nous parcourons les médias de communication des dernières
semaines nous trouverons d'un côté une prudente diminution de la dose d'officialisme et de l'autre la réinstallation médiatique de figures "d'opposition" potables pour le système.
Si le décontrôle social est grand et la répression à grande échelle est invivable, ce sera de nouveau le tour à une figure progressite cherchant à calmer les eaux, au contraire si la crise qui se rapproche rencontre un espace populaire dispersé et apathique alors ce sera l'heure d'un nouveau tour de vis élitiste, probablement avec de fortes composantes autoritaires.
La rupture de ce jeu diabolique requiert nécessairement l'émergence non seulement d'une opposition organisée contre ce gouvernement mais en premier lieu l'irruption d'une contre-culture militant, radicalement opposée au système, destructrice du cercle vicieux formé par progressistes et droitistes, véritable mafia politique qui
traverse les partis, les organisations sociales, les médias de communication. Cette contre-culture doit être imaginé comme fondement de l'opposition révolutionnaire, libérée du bloc progressiste, surgissant comme fer de lance de l'avalanche populaire contre le capitalisme, réitération amplifiée, supérieure, au soulèvement de décembre 2001. Dont la présence persiste dans la conscience collective de millions d'argentin(e)s qui ont prouvé que ceux d'en-bas peuvent abattre des gouvernements.


NOTES

1- Le slogan du soulévement populaire des 19 et 20 décembre 2001 était "que se vayan todos", qu'ils s'en aillent tous.
2- Le 26 juin 2002, une manifestation de piqueteros est sauvagement réprimée et Dario Santillan et Maximiliano Kosteki sont assassinés.
3- Hymne historique du Parti Péroniste.
4- Alfonsin : premier président élu après la dictature militaire en 1983, membre du parti Radical. Frepaso : regroupement de personnalités de "centre-gauche", allié au radical De la Rua en 1999, entré en " crise" peu de temps après.
5- Le terme setentismo se réfère aux années 70, contexte révolutionnaire avec la présence d'organisation de lutte armée, péronistes (Montoneros) ou d'extrème gauche (Armée Révolutionnaire du Peuple, ERP).
6- Dans les années 90, toutes les entreprises publiques ont été privatisées : eau, électricité, gaz, pétrole, chemins de fer, poste... jusqu'aux ondes électriques (le seul pays au monde), au profit, entre autres, dénormément d'entreprises francaises et espagnoles.
7- Multinationale pétrolière d'origine espagnole, principale bénéficiare des revenus pétroliers argentins après qu'elle ait racheté (ou plutôt qu'il lui ait été bradée) l'entreprise publique YPF.
8- Ecole militaire de la marine, principal lieu de torture et de "disparitions" de la dernière dictature militaire. En 2004, Kirchner a décidé d'en faire un lieu de "mémoire".
9- Eduardo Duhalde : ancien gouverneur de la province de Buenos Aires, la plus peuplée et la plus riche, a le contrôle absolu sur le parti péroniste et sur ses punteros (hommes de main) ainsi que sur le contrôle des différents traffics (dont celui de la drogue). Après avoir assuré la transition présidentielle de 2002 à mai 2003, il est actuellement ambassadeur du Mercosur (marché commun sud-américain).
10- Dans un premier temps, Kirchner, pour s'émanciper du parti péroniste, contrôlé par la vieille garde, s'est défini transversal, c'est à dire a tenté de rassembler autour de lui des personnalités venant de différents partis afin de construire une force politique qui ne serait pas inféodée au parti péroniste. Néanmoins cette stratégie semble avoir échoué et K et ses amis devraient se présenter aux élections d'octobre 2005 avec le parti péroniste.



Jorge Beinstein
Economiste argentin.
Enfoques Alternativos nº 24, juin 2004.
Traduction (avril 2005) : Fab (santelmo@no-log.org)