arch/ive/ief (2000 - 2005)

Musiques du monde contre musiques traditionnelles?
by Anja Van Rompaey Friday, Apr. 08, 2005 at 12:49 PM

Les 'musiques du monde' peuvent-elles contribuer à la disparition de 'musiques traditionnelles'? Le cas du fado portugais.

Article publié à l'occasion de la création radiophonique 'Le fado portugais: une histoire de la saudade'

4 émissions d'une heure diffusées par la Radio Panik (radio libre bruxelloise, FM 105.4).

dernière émission: vendredi 8 avril de 12h30 à 14h00.


Ce documentaire essaie de montrer dans quelle mesure il est possible et intéressant de faire une distinction entre 'musique du monde' et 'musique traditionnelle', en l'illustrant à l'aide du cas du fado portugais.

Quelle est la situation actuelle du fado portugais?

Depuis quelques années, les concerts de fado se multiplient dans toutes les salles de spectacle européennes. Ceux et celles que l'on appelle les 'nouvelles fadistas' vendent déjà beaucoup plus de CDs à l'étranger qu'au Portugal. Pourtant, la majorité des fadistas chantant dans les restaurants de fado à Lisbonne ne semblent pas vraiment s'en réjouir.
La raison est double: d'un côté, musicalement ils ne se reconnaissent pas vraiment dans ce 'nouveau fado', d'un autre côté, eux-mêmes ne sont quasiment jamais invité à l'étranger, et ne voient pas augmenter le nombre de visiteurs de leurs 'casas do fado', au contraire.

Dans ce documentaire, les créateurs font le pari qu'analyser la situation en termes d'une différence radicale entre 'musique du monde' et 'musique traditionnelle' soit plus intéressant que d'utiliser le paradigme moderniste qui accueille et valorise tout 'renouvellement' dans l'art comme un progrès inéluctable et souhaitable, rendant toute forme précédente d'office 'désuète' et vouée à ne subsister que comme témoin du passé.

Dès lors, ils caractérisent le fado comme il a été pratiqué pendant le siècle passé dans les petits restaurants de fado à Lisbonne comme 'musique traditionnelle'. Par là, ils ne veulent pas du tout désigner des musiques qui seraient 'figées dans le temps'. Au contraire, souvent il s'agit de genres musicaux très riches, évoluant constamment en intégrant de nouvelles influences et valeurs.
Toutefois, une 'musique traditionnelle' répond à de tout autres besoins socioculturels et musicaux que les musiques dites 'du monde', et nécessite une toute autre attitude d'écoute de la part du 'public'.

Dans le cas du fado traditionnel, il y a notamment le fait que la relation entre 'artistes' et 'public' y est très différente que celle observée dans une salle de concert. La distinction entre 'artiste' et 'public' a tendance à s'y effacer, ce qui se réflète p.e. dans l'aménagement de l'endroit (la fonction de 'restaurant' y est entièrement maintenue et intégrée dans celle de 'concert').
Aussi au niveau musical, les attentes sont différentes, le fado traditionnel se basant sur des 'standards', ce qui fait que tout l'art réside dans l'improvisation. Evidemment, cela exige du 'public' une connaissance de ces standards, sinon il est impossible de ressentir la valeur d'une fadista.

Or, dans un monde où les créations culturelles deviennent de plus en plus également des produits de consommation, le fado est lui aussi confronté à la loi de l'offre et de la demande. Que le fado du XXIe siècle a toutes les capacités pour s'adapter à la demande (européenne ET portugaise) de 'musiques du monde' est déjà démontré de manière très convaincante par ce que l'on appelle les 'nouveaux fadistas'.
En même temps, il devient de plus en plus clair que les artistes qui continuent à s'investir dans le développement du 'fado traditionnel' n'ont certainement pas moins de capacités artistiques, mais pourraient bel et bien être menacés de disparition à cause de la diminution d'une demande de musiques qui ne répondent pas aux critères d'une 'musique du monde'.

La création radiophonique 'Le fado portugais: une histoire de la saudade' est donc allée à la recherche des particularités du fado traditionnel, en le mettant en contraste avec l'actuel 'fado du monde'. Sans sous-estimer la valeur artistique et la singularité de ce nouveau fado, elle vise à promouvoir une autre attitude d'écoute que celle pratiquée en général dans une salle de concert. Car en l'absence d'une 'demande' qui se base sur ces attentes d'écoute différentes, le futur des musiques traditionnelles devient de plus en plus incertain, ce qui risque de rendre le paysage musical européen plus homogène et donc, à terme, plus pauvre.

Le documentaire 'Le fado portugais: une histoire de la saudade' a été réalisé avec la complicité des asbl Chants Opératoires, Saber da Vida, APEB (association des portugais émigrés en Belgique), Lusitânia (association des portugais résidant en Flandre), de Delta Cafés, et surtout du Fonds d'Aide à la Création Radiophonique de la Communauté Française de Belgique.

Les 4 émissions plus livret se trouveront bientôt à la Médiathèque au Passage 44 à Bruxelles, et sont également disponibles auprès de l'asbl Saber da Vida (saberdavida@skynet.be).

Anja Van Rompaey.

fado &Co
by Jack Friday, Apr. 08, 2005 at 6:45 PM

Vous semblez un peu lents...
Le gros probleme, c est n est ni le fado, ni le fada, qu il soit du monde ou meme traditionnel!
Le gros probleme, c est "l art" (et ses sbires-les artistes), dans la situation de servitude dans laquelle il se retrouve inmauquablement coince dans notre societe poly-consumeriste.
Le gros probleme, c est le spectacle lui meme, dans son essence et dans ses derives les plus grossieres.
Une nouvelle forme d opium du peuple, comme le rappelait notre vieux Marcel et plus recemment encore Guy Debord.

Mort a l art, mort au spectacle!

le spectacle et le peuple
by Anja Friday, Apr. 08, 2005 at 11:59 PM


Je dois avouer que j'apprécie beaucoup la lenteur ... .

Vous évoquez une question très intéressante: quelles relations, en Occident, entre l'art, le spectacle, l'effet politiquement révolutionnaire ou endormant de l'art, et le 'peuple' vs les 'élites'?

A mon avis, une étude de l'histoire du fado permet en tout cas d'affirmer qu'ici, les analyses de Guy Debord perdent un peu de leur pertinence.

D'abord, le fado traditionnel est un art qui a peu en commun avec ce que l'on appelle un 'spectacle' (dans son sens neutre, définissant juste une attitude d'écoute de la part du public qui est plutôt non-interventionniste (mis à part les applaudissements), sans pour autant déjà dénoncer cette attitude). Mais cela n'empêche qu'il a toujours bel et bien été un art du peuple (c'est pourquoi Fernando Pessoa ne l'aimait pas ... trop d'expressions de 'bas instincts' ...).

Deuxièmement: critique politique et 'divertissement' y sont inextricablement liés (le mythe d'un fado triste et mélancolique a été créé par la dictature, et repris internationalement; or, en réalité il existe autant de fados très joyeux que de fados à caractère plaintif).

Enfin: pendant la dictature, le fado était justement critiqué parce qu'il aurait appartenu aux 3 'Fs' du régime: Fatima (le catholicisme), le Foot et le Fado. Ce même fado traditionnel aurait donc également eu une fonction 'd'opium', et cela parce que Salazar a essayé (avec un certain succès) de promouvoir cet art urbain de Lisbonne en tant que 'musique nationale de Portugal'.

Tout cela complexifie joyeusement ce genre musical unique qu'est le fado, tout comme le constat que récemment s'y est ajouté une forme de fado qui prend désormais l'allure d'une musique de spectacle (ce que l'on appelle dans le documentaire le 'fado du monde').

Pour l'instant, rien ne permet de prévoir si la montée du 'fado du monde' va renforcer un 'fado traditionnel' ou non. Avant les années '90, le fado était en tout cas au moins autant menacé de disparition qu'actuellement, et cela surtout parce qu'on l'associait, au Portugal, abusivement à la dictature. La 'demande' locale baissait donc de manière spectaculaire.
Ce n'est que l'apparition d'un 'fado du monde' qui a permis actuellement aux Portugais d'être à nouveau fiers de ce patrimoine culturel, même s'ils apprécient pour l'instant surtout ce 'fado du monde' et moins le fado traditionnel (ne le connaissant pas, et ne fréquentant toujours pas les restaurants de fado). Mais, entre-temps, certains Portugais commençent quand même à s'intéresser à leur passé, et donc au fado traditionnel. En plus, le fait qu'un documentaire sur ce fado vient d'être réalisé à Bruxelles prouve que cet intérêt se situe aussi au niveau international.

Dans ce cas : si l'on arrive à créer une nouvelle demande d'un fado traditionnel, rien ne dit que ce fado ne surgisse pas de manière renforcée de la montée de et de la confrontation avec la 'musique du monde', découvrant mieux ses particularités, et donc étant mieux à mesure de les explorer et développer.

Mais alors ... il faudra accepter qu'il existe, même ici en Occident, des formes d'art où 'art' et 'critique politique', d'une part, et 'divertissement' et 'peuple', ou même 'marché' d'autre part, ne sont PAS opposés, contrairement à ce que posait notamment Guy Debord. Et c'est justement cet aspect, qui brouille nos façons habituelles de penser l'art, qui rend le fado tellement intéressant.

Dès lors, décrier les 'spectacles' comme opium du peuple, et, si l'on veut rester démocratique, dénoncer du même coup l'art actuel en général me paraît effectivement une conclusion beaucoup trop hâtive pour être vraiment séduisante.

Conclusion alternative : ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Si la marchandisation de la musique s'installe de plus en plus, essayons de nous en servir. Le fado traditionnel existe toujours, et il représente bel et bien une forme d'art très spécifique. Pourquoi alors ne pas, tout simplement, ... l'écouter?

Si le coeur vous en dit: la prochaine 'noite de fado', nuit de fado traditionnel à Bruxelles se déroule le samedi 16 avril. Réservations: António, 0495/90.44.23. Mais ne vous attendez pas à un 'spectacle'! Il faudra d'abord manger, puis interrompre quelques fois le repas pour écouter et chanter, comme l'exige le fado traditionnel ... . Et évidemment qu'il faudra payer. Enfin, comme il s'agit d'un art très spécifique, il vaut même mieux ne pas s'attendre à ressentir beaucoup d'émotions dès la première fois. Ecouter le fado s'apprend, et demande donc ... du temps, ou, si vous voulez, de la lenteur.

Bienvenue,

Anja Van Rompaey


eau du bain
by Jack Saturday, Apr. 09, 2005 at 9:20 AM

et moi j aime la provocation...
Je comprends fort bien le phenomene que tu decris, il pourrais s appliquer (et il s est applique)a des tas d autre formes d expressions reconnues artistiquement ou non...
Beaucoup de musiques ont fait les frais de ces mises en spectacle,de ces derives inevitables qui transforme une forme d expression necessaire en un art consensuel et pontifiant.
(Ceci est valable les vielles musiques d avant garde qui sont devenues les nouvelles musiques d arriere garde- c est a dire a peu pres tout ce qui peut se jouer dans les maisons de la culture: jazz, free jazz, musique improvisee etc..., mais aussi spectacle de danse, theatre)
Le probleme n est pas tant, comme tu l as evoque, une mise en perspective de ces manifestations dans un contexte economique (Ce fameux clivage- reel ou suppose, culture de masse et art critique-que Guy Debord, par ailleurs, n a jamais oppose...), mais notre propension , voire notre besoin de representation du monde , et aussi, a s y soumettre...(Je te fais pas le dessein avec la mort du pape...)
Et il se fait que ce besoin (Marcel disait que l art est une drogue par accoutumance) trouve une resonance dans une forme d exploitation economique qui est la notre.
Voila pourquoi je maintiens que le spectacle (qui pourrait etre une materialisation de notre depossession du reel) est un fossoyeur hors pair.
(Ca c etait pour l eau du bain...)
Pour le bebe:
Je suis aussi sensible a l expression (qui me parait assez juste) de "musique traditionelle" et je pense que paradoxalement elle pourrait s appliquer a toute forme d expression vivante, inscrite dans des lieux de vie.
Et il est fondamental que ces expressions et aussi ces lieux
puissent exister, ils sont en soi des ilots de restistance et il faut tout faire pour les preserver.
Merci pour l invitation!