Dans
le cadre des discussions sur les OMD, on parle beaucoup de la
dette du Tiers Monde comme un frein majeur, tout d'abord quelles
sont les causes de la dette?
“Si on veut connaître
l'origine de la dette actuelle, il faut remonter aux années
70 au recyclage des “petrodollars”. Nos banques
avaient un surplus de liquide, un amoncellement de dollars qui
venaient du choc pétrolier. Mais nos pays, en crise à
cause de ce choc pétrolier, il y avait de moins en moins
d'entreprises pour placer ses fonds. Donc les banques occidentales
ont prêté de l'argent massivement aux gouvernements
d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie dans certains cas. A
l'époque ces prêts étaient octroyés à
des taux d'intérêt très avantageux, jusqu'en
octobre 1979 et le fameux choc sur les taux d'intérêt
des États-Unis pour sortir de la crise. Ils ont triplé
leurs taux, or les trois quarts des prêts qui avaient été
octroyés par les banques, étaient octroyées à
taux d'intérêt flexibles, variables et indéxés
sur les taux américains. Donc cela a eu pour effet de faire
exploser la charge de l'endettement. Surtout qu'une bonne partie
de ces prêts avaient été détournés
par les dictatures en place, soutenues par l'un des deux blocs en
période de guerre froide. Cela a débouché,
dans le début des années 80, sur la crise de la
dette du Tiers Monde. Une centaine de pays s'est progressivement
retrouvé dans une situation de faillite. Cela a ammené
aussi le FMI et la Banque Mondiale à prêter de
l'argent à ces pays pour qu'ils puissent rembourser leurs
dettes mais en échange ils leurs ont imposé les
politiques d'ajustement structurel: privatisation, libéralisation,
austérité... Depuis, une série de crises
financières ont creusé de plus en plus
l'endettement.”
Aujourd'hui combien de
pays sont encore concernés?
“Environ 120 pays
du Sud en sachant qu'il y a +/- 80 pays qui sont vraiment en
situation assez grave. De là on retire toujours une
quarantaine de PPTE, pays pauvres et très endettés
mais c'est une liste très restreinte. On peut clairement
considérer 80 pays qui sont fortement handicapés par
cette problématique de la dette, à la fois en terme
de budgets sociaux, de l'accès à la santé et
à l'eau potable.”
Pourquoi les pays du
Sud doivent-ils encore rembourser la dette?
“Quand on
prend le calcul sur vingt ans, on se rend compte que la dette a
quadruplé pendant cette période mais a été
remboursée l'équivalent de sept fois. Si on prend la
totalité du Tiers Monde, il a déjà payé
7 fois ce quil devait au début de années 80 mais il
est quatre fois plus endetté aujourd'hui. Donc c'est
vraiment un effet boule de neige: on emprunte pour rembourser, ça
crée de nouvelles dettes qui font monter les anciennes.”
Quelles sont les
conséquences de la dette?
“Aujourd'hui on se
rend compte que le remboursement de la dette correspond à
près de 7 fois plus que l'aide publique au développement.
En terme de tranferts publics, ce qu'on donne d'une main on le
reprend presque sept fois de l'autre! Fatalement c'est un fameux
frein au financement du développement et au développement
lui même. En effet, on a poussé ces pays vers un
modèle de “tout à l'exportation”. On
leur a demandé de se spécialiser dans l'exportation
de quelques produits (surtout des matières premières)
et d'augmenter le volume de ces matériaux pour avoir plus
de revenus, selon la théorie. Mais le problème c'est
qu'il y a une surproduction des produits et les courts baissent
très rapidement. En réalité, on a beau
augmenter le volume d'exportation, les revenus en monnaie sonnante
et tribuchante diminuent. Donc les déficits se creusent et
il faut réemprunter pour combler les trous. C'est un cycle
sans fin. D'autant plus que ses revenus sont les seuls qui leurs
permettent de rembourser dans des devises étrangères.”
La meilleure aide au
développement ne serait-elle pas finalement l'annulation
pure et simple de la dette pour les pays du Sud?
“Si
bien sûr et des règles commerciales équitables.
Mais ça nous ramène 50 ans en arrière où
les pays du Sud avaient un slogan majeur “trade but not
aid”. Il est préférable de bénéficier
d'un commerce juste plutôt que d'une aide charitable mais
qu'ils ne peuvent pas contrôler. Actuellement, les pays qui
se voient octroyés cette aide se retrouvent obligés
de l'utliser à des fins définies par le pays
donateur. C'est une logique paternaliste ou neo coloniale
absolument contraire au développement durable.”
Quels sont
actuellement les rapports commerciaux entre le Nord et le Sud?
“Ce
qu'on calcule c'est le terme de l'échange: c'est la valeur
des exportations des produits du Sud par rapport au coût des
importations des produits du Nord vers le Sud. Le problème
est la chute des taux des produits exportés par le Sud et
plutôt une stagnation des taux des produits occidentaux. La
balance commerciale est déficitaire en défaveur des
pays du Sud.”
L'OMC a t-il imposé
aux pays en voie de développement une politique
économique?
“Les rapports de force au sein de
l'OMC on fait en sorte que les pays riches peuvent se protéger
et subventionner leurs exportations, notamment agricoles, tandis
que les pays du Sud, eux, sont interdits de toute mesure de
protection et de soutien, déjà à cause des
politiques d'ajustements structurels des années 80. Donc là
on a clairement une politique des deux poids deux mesures. En
effet, pour écouler ses produits vers l'Afrique, par
exemple, l'Union Européenne octroye des subventions aux
exportateurs du Nord qui revendent alors leurs productions moins
chères que les produits locaux. Ce système crée
clairement un concurrence déloyale.”
Pourquoi le commerce
équitable reste marginal?
“Parce que c'est
une démarche qui incite le consommateur à faire un
geste. Ce qu'il faudrait c'est des règles de commerce
international qui soient équitables Il faut trouver les
justes prix pour la matière première exportée
par ces pays, une diversification des exportations, plus de
commerce Sud-Sud, etc... Donc le commerce équitable tel
qu'on le connait avec Max Havellar et les magasins du Monde Oxfam,
c'est une sorte de pédagogie par l'action. C'est-à-dire
qu'en tant que citoyen on décide de faire un geste
politique. Et l'ensemble de nos micro-gestes doit être
transposé dans des règles internationales au sein de
l'Organisation Mondiale du Commerce. On garantirait aux paysans du
Sud, ceux qui souffrent le plus de ces règles déloyales,
des revenus justes et décents par rapport à leur
travail et leur production. Un autre problème vient du fait
qu'il n'y a même pas d'entreprises sur place qui
transforment les matières premières. Donc, on
extrait du sol et on exporte tout de manière brute. Cela
représente aussi un piège international qu'il faut
absolument combattre. A tel point que les ONG occidentales du
commerce équitable, avec du produit comme le café,
ont d'énormes difficultés à garantir le prix
juste aux paysans tellement la chute des courts sur les marchés
internationaux est importante.”
A propos des OMD, on
parle de scolarisation dans l'objectif 2 mais pas du travail des
enfants. L'ONU a t-elle prise des dispositions concrètes
pour éradiquer ce problème?
“C'est une des
grandes critiques des objectifs du Millénaire. C'est un
recul par rapport au droit international et par rapport au Pacte
sur les droits économiques, sociaux et culturels. On ne
parle pas du tout des conditions de travail, pas uniquement le
travail des enfants. De plus, on parle seulement d'éducation
primaire et pas d'éducation secondaire et supérieure
comme c'était le cas dans ce Pacte. On sait qu'il y a
encore le travail des enfants dans pas mal de pays, même
puissants comme la Chine ou l'Inde. Pour nous, le combat, au-delà
des objectifs du Millénaire, reste l'applicabilité
des droits à l'échelle internationale de manière
universelle, pour que chaque être humain puisse mener une
vie décente.”
L'ONU a t-elle prise
des dispositions pour stopper les nombreuses guerres des pays du
Sud qui constituent un frein à la réalisation des
objectifs?
“Ce débat là va aboutir en
même temps que la première évaluation au tiers
du parcours des OMD à l'Assemblée générale
des Nations Unies. A l'occasion de 60 ans, l'organisation va
réformer ses institutions et ses textes. En effet, l'ONU
est bien mal en point puisqu'on en arrive à de nouveaux
concepts, tels que “guerre préventive”, issus
des néo conservateurs aux États Unis. L'enjeu se
trouve dans cette réforme mais c'est complémentaire
avec la Déclaration du millénaire. Pourtant,
malheureusement, il n'y est pas question de paix ou de gestion de
conflits. On peut le regretter car il reste beaucoup à
faire dans le cadre de la prévention des conflits, la
sécurité collective dans le cadre du droit
international.”
Enfin, l'ONU ne
peut-elle pas faire pression sur les gouvernements pour qu'ils
adoptent les politiques nécessaires à la réalisation
des OMD?
“L'ONU a rarement fait pression sur les
gouvernements si ce n'est par le biais du Conseil de sécurité,
c'est-à-dire cinq membres permanents. Mais ça me
paraît très difficile d'influencer les États
par cette voie. Par contre, il y a des objectifs qui sont
mesurables, qui sont quantifiés, et c'est à mon avis
le travail des ONG que de mettre en évidence toutes les
contradictions, le fait que ses objectifs ne sont pas atteints et
le fait qu'il faudrait penser à toute une série
d'alternatives pour au moins atteindre ses objectifs minimalistes.
Ceci dit, on peut compter sur les rapports de la CNUCED ou du PNUD
pour appuyer de manière quasi permanente des critiques. Je
pense que ces agences sont importantes en ce sens qu'elles
apportent de nouveaux instruments de mesure, des instruments
intellectuels communs pour tenter d'avancer dans l'analyse de ce
qui va et de ce qui ne va pas dans la stratégie de
développement par rapport à ces objectifs du
Millénaire. Je pense que les agences de l'ONU, comme les
ONG, malgré un caractère plus “institutionnel”,
vont utiliser les engagements des gouvernements eux-mêmes et
les juger sur cette base là. Il y aura une comparaison
entre avancées et engagements et les conclusions seront
acerbes.Pour nous, c'est un moyen efficace de renforcer
l'argumentation de nos alternatives.”
Lire plus sur le site du Centre National de
Coopération au Développement www.cncd.be
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