arch/ive/ief (2000 - 2005)

Interview d'Arnaud Zacharie, directeur du département recherche et plaidoyer au CNCD
by Morgane Delaisse Monday, Apr. 04, 2005 at 5:34 PM

Interview



Dans le cadre des discussions sur les OMD, on parle beaucoup de la dette du Tiers Monde comme un frein majeur, tout d'abord quelles sont les causes de la dette?

“Si on veut connaître l'origine de la dette actuelle, il faut remonter aux années 70 au recyclage des “petrodollars”. Nos banques avaient un surplus de liquide, un amoncellement de dollars qui venaient du choc pétrolier. Mais nos pays, en crise à cause de ce choc pétrolier, il y avait de moins en moins d'entreprises pour placer ses fonds. Donc les banques occidentales ont prêté de l'argent massivement aux gouvernements d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie dans certains cas. A l'époque ces prêts étaient octroyés à des taux d'intérêt très avantageux, jusqu'en octobre 1979 et le fameux choc sur les taux d'intérêt des États-Unis pour sortir de la crise. Ils ont triplé leurs taux, or les trois quarts des prêts qui avaient été octroyés par les banques, étaient octroyées à taux d'intérêt flexibles, variables et indéxés sur les taux américains. Donc cela a eu pour effet de faire exploser la charge de l'endettement. Surtout qu'une bonne partie de ces prêts avaient été détournés par les dictatures en place, soutenues par l'un des deux blocs en période de guerre froide. Cela a débouché, dans le début des années 80, sur la crise de la dette du Tiers Monde. Une centaine de pays s'est progressivement retrouvé dans une situation de faillite. Cela a ammené aussi le FMI et la Banque Mondiale à prêter de l'argent à ces pays pour qu'ils puissent rembourser leurs dettes mais en échange ils leurs ont imposé les politiques d'ajustement structurel: privatisation, libéralisation, austérité... Depuis, une série de crises financières ont creusé de plus en plus l'endettement.”

Aujourd'hui combien de pays sont encore concernés?

“Environ 120 pays du Sud en sachant qu'il y a +/- 80 pays qui sont vraiment en situation assez grave. De là on retire toujours une quarantaine de PPTE, pays pauvres et très endettés mais c'est une liste très restreinte. On peut clairement considérer 80 pays qui sont fortement handicapés par cette problématique de la dette, à la fois en terme de budgets sociaux, de l'accès à la santé et à l'eau potable.”

Pourquoi les pays du Sud doivent-ils encore rembourser la dette?

“Quand on prend le calcul sur vingt ans, on se rend compte que la dette a quadruplé pendant cette période mais a été remboursée l'équivalent de sept fois. Si on prend la totalité du Tiers Monde, il a déjà payé 7 fois ce quil devait au début de années 80 mais il est quatre fois plus endetté aujourd'hui. Donc c'est vraiment un effet boule de neige: on emprunte pour rembourser, ça crée de nouvelles dettes qui font monter les anciennes.”

Quelles sont les conséquences de la dette?

“Aujourd'hui on se rend compte que le remboursement de la dette correspond à près de 7 fois plus que l'aide publique au développement. En terme de tranferts publics, ce qu'on donne d'une main on le reprend presque sept fois de l'autre! Fatalement c'est un fameux frein au financement du développement et au développement lui même. En effet, on a poussé ces pays vers un modèle de “tout à l'exportation”. On leur a demandé de se spécialiser dans l'exportation de quelques produits (surtout des matières premières) et d'augmenter le volume de ces matériaux pour avoir plus de revenus, selon la théorie. Mais le problème c'est qu'il y a une surproduction des produits et les courts baissent très rapidement. En réalité, on a beau augmenter le volume d'exportation, les revenus en monnaie sonnante et tribuchante diminuent. Donc les déficits se creusent et il faut réemprunter pour combler les trous. C'est un cycle sans fin. D'autant plus que ses revenus sont les seuls qui leurs permettent de rembourser dans des devises étrangères.”

La meilleure aide au développement ne serait-elle pas finalement l'annulation pure et simple de la dette pour les pays du Sud?

“Si bien sûr et des règles commerciales équitables. Mais ça nous ramène 50 ans en arrière où les pays du Sud avaient un slogan majeur “trade but not aid”. Il est préférable de bénéficier d'un commerce juste plutôt que d'une aide charitable mais qu'ils ne peuvent pas contrôler. Actuellement, les pays qui se voient octroyés cette aide se retrouvent obligés de l'utliser à des fins définies par le pays donateur. C'est une logique paternaliste ou neo coloniale absolument contraire au développement durable.”

Quels sont actuellement les rapports commerciaux entre le Nord et le Sud?

“Ce qu'on calcule c'est le terme de l'échange: c'est la valeur des exportations des produits du Sud par rapport au coût des importations des produits du Nord vers le Sud. Le problème est la chute des taux des produits exportés par le Sud et plutôt une stagnation des taux des produits occidentaux. La balance commerciale est déficitaire en défaveur des pays du Sud.”

L'OMC a t-il imposé aux pays en voie de développement une politique économique?

“Les rapports de force au sein de l'OMC on fait en sorte que les pays riches peuvent se protéger et subventionner leurs exportations, notamment agricoles, tandis que les pays du Sud, eux, sont interdits de toute mesure de protection et de soutien, déjà à cause des politiques d'ajustements structurels des années 80. Donc là on a clairement une politique des deux poids deux mesures. En effet, pour écouler ses produits vers l'Afrique, par exemple, l'Union Européenne octroye des subventions aux exportateurs du Nord qui revendent alors leurs productions moins chères que les produits locaux. Ce système crée clairement un concurrence déloyale.”

Pourquoi le commerce équitable reste marginal?

“Parce que c'est une démarche qui incite le consommateur à faire un geste. Ce qu'il faudrait c'est des règles de commerce international qui soient équitables Il faut trouver les justes prix pour la matière première exportée par ces pays, une diversification des exportations, plus de commerce Sud-Sud, etc... Donc le commerce équitable tel qu'on le connait avec Max Havellar et les magasins du Monde Oxfam, c'est une sorte de pédagogie par l'action. C'est-à-dire qu'en tant que citoyen on décide de faire un geste politique. Et l'ensemble de nos micro-gestes doit être transposé dans des règles internationales au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce. On garantirait aux paysans du Sud, ceux qui souffrent le plus de ces règles déloyales, des revenus justes et décents par rapport à leur travail et leur production. Un autre problème vient du fait qu'il n'y a même pas d'entreprises sur place qui transforment les matières premières. Donc, on extrait du sol et on exporte tout de manière brute. Cela représente aussi un piège international qu'il faut absolument combattre. A tel point que les ONG occidentales du commerce équitable, avec du produit comme le café, ont d'énormes difficultés à garantir le prix juste aux paysans tellement la chute des courts sur les marchés internationaux est importante.”

A propos des OMD, on parle de scolarisation dans l'objectif 2 mais pas du travail des enfants. L'ONU a t-elle prise des dispositions concrètes pour éradiquer ce problème?

“C'est une des grandes critiques des objectifs du Millénaire. C'est un recul par rapport au droit international et par rapport au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. On ne parle pas du tout des conditions de travail, pas uniquement le travail des enfants. De plus, on parle seulement d'éducation primaire et pas d'éducation secondaire et supérieure comme c'était le cas dans ce Pacte. On sait qu'il y a encore le travail des enfants dans pas mal de pays, même puissants comme la Chine ou l'Inde. Pour nous, le combat, au-delà des objectifs du Millénaire, reste l'applicabilité des droits à l'échelle internationale de manière universelle, pour que chaque être humain puisse mener une vie décente.”

L'ONU a t-elle prise des dispositions pour stopper les nombreuses guerres des pays du Sud qui constituent un frein à la réalisation des objectifs?

“Ce débat là va aboutir en même temps que la première évaluation au tiers du parcours des OMD à l'Assemblée générale des Nations Unies. A l'occasion de 60 ans, l'organisation va réformer ses institutions et ses textes. En effet, l'ONU est bien mal en point puisqu'on en arrive à de nouveaux concepts, tels que “guerre préventive”, issus des néo conservateurs aux États Unis. L'enjeu se trouve dans cette réforme mais c'est complémentaire avec la Déclaration du millénaire. Pourtant, malheureusement, il n'y est pas question de paix ou de gestion de conflits. On peut le regretter car il reste beaucoup à faire dans le cadre de la prévention des conflits, la sécurité collective dans le cadre du droit international.”

Enfin, l'ONU ne peut-elle pas faire pression sur les gouvernements pour qu'ils adoptent les politiques nécessaires à la réalisation des OMD?

“L'ONU a rarement fait pression sur les gouvernements si ce n'est par le biais du Conseil de sécurité, c'est-à-dire cinq membres permanents. Mais ça me paraît très difficile d'influencer les États par cette voie. Par contre, il y a des objectifs qui sont mesurables, qui sont quantifiés, et c'est à mon avis le travail des ONG que de mettre en évidence toutes les contradictions, le fait que ses objectifs ne sont pas atteints et le fait qu'il faudrait penser à toute une série d'alternatives pour au moins atteindre ses objectifs minimalistes. Ceci dit, on peut compter sur les rapports de la CNUCED ou du PNUD pour appuyer de manière quasi permanente des critiques. Je pense que ces agences sont importantes en ce sens qu'elles apportent de nouveaux instruments de mesure, des instruments intellectuels communs pour tenter d'avancer dans l'analyse de ce qui va et de ce qui ne va pas dans la stratégie de développement par rapport à ces objectifs du Millénaire. Je pense que les agences de l'ONU, comme les ONG, malgré un caractère plus “institutionnel”, vont utiliser les engagements des gouvernements eux-mêmes et les juger sur cette base là. Il y aura une comparaison entre avancées et engagements et les conclusions seront acerbes.Pour nous, c'est un moyen efficace de renforcer l'argumentation de nos alternatives.”

Lire plus sur le site du Centre National de Coopération au Développement www.cncd.be