arch/ive/ief (2000 - 2005)

Analyse critique des enjeux des Objectifs du Millénaire de l'ONU
by Morgane Delaisse Monday, Apr. 04, 2005 at 5:12 PM

Face aux Objectifs du Millénaire pour le Développement, les pouvoirs politiques et les ONG peuvent adopter trois positions différentes:

- les OMD constituent un pas en avant: c'est la première fois que des tels objectifs sont mesurables et limités par un agenda,

- c'est un pas sur le côté: les OMD représentent une progression minimaliste,

- c'est un pas en arrière: il manque tout un tas de propositions à propos de la démocratie, du privé, du droit des femmes...

Le fond et la forme
Le premier objectif ne prévoit pas une diminution du nombre absolu de pauvres, seulement du pourcentage. Mais du fait de l'augmentation de la population mondiale, la diminution du chiffre absolu est plus basse que la moitié. La faim n'est pas une question de sous production mais de contrôle de la production, de partage et surtout de volonté politique. Il a déjà été prouvé qu'il existe sur le globe assez de vivres pour nourrir la population mondiale.

L'objectif deux ne peut être mesuré que sur base de l'inégalité entre les hommes et les femmes sur le plan de l'enseignement. Mais la scolarisation en soi n'est pas réductrice des disparités car parfois elle véhicule des stéréotypes, selon Hélène Ryckmans (Commision Femmes et Développement) La question des genres n'est citée que dans l'objectif trois sans retenir d'autre indicateur que l'enseignement. Or, il aurait fallu retenir en plus la participation au marché du travail, l'éducation humaine et sexuelle et la participation politique. D'après la Commission Femmes et Développement, le fait que le genre soit absent des autres OMD constitue un frein à leur réalisation. De plus, la justice sociale et l'équité hommes/femmes est indispensable à un développement durable.

Il n'y a aucune référence aux droit des femmes, aux droits sexuels et reproductifs, à la violence, à la traite des femmes et des fillettes et aux inégalités raciales. (Hélène Ryckmans) Rien n'est dit des autres facteurs de développement comme les progrès social, les droits des travailleurs, les conditions de travail, la démocratie, les libertés... En effet, on cite souvent la Chine comme pays qui "s'en sort" le mieux. Mais sur le plan des droits civils et sociaux, ce pays n'est certainement pas un exemple.

"Trop peu trop tard"
Ces objectifs ne sont pas nouveaux. C'est plutôt un assemblage d'objectifs formulés lors d'autres Sommets. De plus, c'est un recul par rapport aux engagements de 1974 (Déclaration sur le nouvel ordre économique international) C'est surtout le développement économique qui est pris en compte. Ces objectifs ont été formulés après consultation de la Banque Mondiale, du FMI et de l'OESO. Mais on peut se demander si ces institutions ne sont justement pas responsables de la politique économique des années 80 si désatreuse pour les pays pauvres? Ces objectifs ne sont pas assez ambitieux. Modestes, ils ne font que diminuer les précédents engagements.

Il y a un risque de transformer la question de développement à des statistiques ( détermination de seuils et de critères de pauvreté). On prend en compte comme indicateur d'extrême pauvretéle revenu de 1 dollar par jour. La pauvreté est beaucoup plus complexe, elle ne concerne pas uniquement les revenus: elle est aussi reliée aux questions de pouvoir, de droit de décision, de propriété, de sécurité et de bien être. L'important est que chacun puisse prendre son destin entre ses mains. Ce qui est OK d'un point de vue statistique ne se traduit pas forcément dans la réalité.

Le commerce mondial et la dette du Tiers Monde
Le montant d'aide publique au développement des pays du Nord par rapport au PNB diminue chaque année. Il faut également signaler qu'elle est nettement inférieure (jusqu'à 7 fois!) au remboursement de la dette. Aussi longtemps que les rapports commerciaux inégaux seront maintenus grâce à l'OMC, l'aide au développement sera insuffisante. Rien n'est dit sur la dette publique, pourtant son annulation serait le meilleur soulagement pour les budgets de la plupart des pays du Tiers Monde. En 2000, pour ces Etats, la part du budget allouée à la dette était plus importante que la part réservée aux services sociaux, selon Arnaud Zacharie. (CNCD) Le traitement global de la dette n'est pas suffisant. Il faut résoudre ce problème avant toutes choses car la dette est une contrainte non négligeable qui empêche la croissance. La chute des prix des matières premières exportées des pays en développement constitue un véritable piège international depuis 20 ans. Les produits importés, eux, créent une concurrence déloyale avec les produits locaux. On insiste sur l'aide, pas sur la politique internationale. Or, ce qu'il faut instaurer, c'est un commerce équitable au niveau mondial.

Le fossé entre Nord et Sud n'est pas assez mis en avant. Il faut mettre l'accent sur la durabilité de l'aide. Il ne faudrait surtout pas que tout s'arrête en 2015. On aurait du avancer deux fois plus entre 1990 et aujourd'hui pour atteindre ses objectifs en 2015. La situation s'aggrave dans certains pays. Là où les choses bougent, ça profite surtout aux classes moyennes et riches, mais jamais aux pauvres. Si ça continue comme ça, on y arrivera jamais. On passe à côté de ceux qui en ont le plus besoin. Si on n'inclut pas les couches les moins favorisées, ça ne marchera jamais. L'impact des investissements est parfois nul parce qu'on passe à côté de 60% de la population, selon Jan van de Moortele. (PNUD)

La paix avant tout
Il faut d'abord la paix avant de penser au développement. Il serait beaucoup plus évident d'atteindre les 8 objectifs si l'argent de la guerre était investi dans des domaines essentiels au développement durable. La guerre contre le terrorisme et la montée universelle des dépenses en matière de défense se font au détriment du progrès social. La focalisation sur la lutte contre l'insécurité internationale et la “guerre préventive” porte atteinte au budget du développement ainsi qu'à sa réalisation concrète.

Autre problème actuel: le commerce et la distribution de médicaments dans les pays les plus pauvres. Beaucoup de pays ont des ressources insuffisantes pour fournir les infrastructures et les services nécessaires pour lutter contre les maladies. Le problème vient des brevets des compagnies pharmaceutiques. Les sociétés privées locales des pays en développpement n'ont actuellement pas le droit de fabriquer certains médicaments génériques pourtant vitaux dans la lutte contre la malaria ou le paludisme. Les gouvernements sont donc dans l'obligation d'acheter leur médicaments à prix fort. Cette situation se traduit également dans l'objectif de promouvoir l'accès aux technologies dans les domaines de l'information et de la communication. Les pays du Tiers Monde sont aujourd'hui incapables de produire du matériel hardware ou software. Mais ils sont également incapables de s'offrir les licenses d'exploitation internationales. Si ils venaient à le faire, se serait au profit de grandes multinationales des pays du Nord. De nouveau, cet objectif traduit une vision occidentale de la société et risque d'engendrer des difficultés financières supplémentaires.

Différencier l'aide
On ne peut pas règler les problèmes de 189 pays avec des objectifs globaux sans contextualiser. Les solutions durables sont toujours celles qui sont trouvées sur place. Il ne faut pas imposer ses théories mais faire preuve d'un peu plus d'humilité. Le développement ne doit pas venir d'en haut, les gens doivent se l'approprier. Ces objectifs se basent sur un modèle de développement néo libéral préconisant la croissance. Cela impliquerait même la privatisation de certains secteurs tels que l'eau ou les chemins de fers, ce qui de nouveau, aurait des conséquences catastrophiques pour les plus pauvres. Il faudrait au minimum un traitement différencié.

Le défi est de créer, au niveau national, un débat pour savoir comment atteindre ces objectifs. Il faudra alors voir, à ce moment là, quels sont les réels défis de chaque gouvernement. Il faudra accepter une certaine flexibilité et diversité, ce qui ne sera pas évident avec un consensus. Il faudra investir plus et préconiser une meilleure aide mais surtout un marché mondial équitable. Actuellement, le vrai probème et le frein majeur est le grand conflit entre la réalisation de ces objectifs et notre système actuel de commerce. Enfin, il n' y a pas de liens entre les OMD et pourtant, dans le domaine du développement durable tous ces facteurs sont à considérer ensemble.

Brochure complète sur www.undp.org/french/mdg/MDGbooklet-f.pdf