Bolivie : comprendre ce qui se passe by Raquel Gutierrez Sunday, Mar. 13, 2005 at 2:28 AM |
"Une semaine remplie d'évènements : barrages de routes et de chemins, encerclement de la capitale et menace de manque d'eau, démission du président et confirmation de son mandat par le parlement, alliance postérieure de toutes les forces sociales pour recupérer les ressources naturelles des transnationales. Un scénario incertain, ouvert". (Brecha)
Comprendre ce qui est en train de se passer dans la Bolivie convulsée est difficile : un président qui renonce à l'utilisation de la force publique pour imposer les décisions gouvernementales et qui présente sa démission comme mesure de pression face à l'énième action de protestation et d'insubordination de la population civile ; une population aymara urbaine dans la ville de El Alto qui a possède une expérience de mobilisation telle, que de manière quasiment répétée est capable de fermer la ville de La Paz, en empêchant l'entrée et la sortie des véhicules, marchandises et personnes.
La récente action de confrontation entre d'une part la population simple des villes et de quelques zones rurales et, d'autre part, le gouvernement bolivien et les corporations transnationales s'est soldée par un "ballottage" chaotique entre les forces sociales en conflit : les uns ne pouvant imposer ce qu'ils décident, les autres non plus.
Carlos Mesa, le président qui est arrivé à ce poste en octobre 2003 après l'autre soulèvement qui fit fuir l'ultra-néo-libéral Gonzalo Sanchez de Lozada, ne peut pas gouvrener. En accord, bien sûr, au sens que l'on confère à ce mot : Carlos Mesa ne peut pas guider, diriger ou régir le destin du pays ; ses décisions sont instamment contestées dans la rue et les chemins par une population brutalement appauvrie qui peu à peu cherche des mécanismes et des formes pour assurer sa possibilité d'intervenir dans la décision sur les affaires publiques. La population, de son côté, n'est pas disposée à se laisser gouverner, si le président n'"obéit" pas à ce que la population décide.
La récente mobilisation en Bolivie, dont le final est toujours incertain, a trois demandes centrales. La première est l'expulsion de l'entreprise transnationale Suez-Lyonnaise des Eaux -la plus grande corporation mondiale de distribution d'eau potable- de El Alto et son remplacement par une entreprise publique dans laquelle la gestion est aux mains des habitants.
Entre le 10 et le 14 janvier dernier, les habitants de la ville de El Alto ont réalisé une grève avec cette demande et, apparament, ont obtenu satisfaction. En février, les habitants ont su que le gouvernement avait décidé "de respecter les conformités de la loi" pour mettre un terme au contrat avec la Suez qui, en attendant, continuait sa gestion. En plus, Mesa et son cabinet refusaient la volonté citoyenne de former une entreprise publique de distribution de l'eau sous le contrôle des propres habitants et proposaient, comme solution transitoire, la constitution d'une entreprise d'une société d'économie mixte où se permettrait la participation de capital privée. Ceci fut ce qui entraîna la nouvelle mobilisation. Comme l'exprimaient les habitants de El Alto lors de leurs barrages de routes : "Nous avons déjà dit que nous ne voulions pas ici la transnationale. Donc qu'elle s'en aille. Que Carlos Mesa le comprenne".
La seconde demande du mouvement est continuelle depuis octobre 2003 : c'est l'exigence que, au moins rapidement, s'établisse un impôt de 50 % à l'exploitation des hydrocarbures également concessionnés à des consortiums transnationaux, et que ce pourcentage soit inclu dans la Loi des Hydrocarbures actuellement en discussion au Parlement. Au sujet de cette demande, il se passe quelque chose de similaire à ce qui se passe avec l'eau : les gouvernants et la "classe politique" en général, après l'irruption collective (...) de la population dans la rue, manifestant son intention de récupérer ce qu'elle considère être le patrimoine public, s'efforcent d'effacer et de diluer dans la négociation ce que les gens mobilisés ont établit comme convenable pour le pays.
Le gouvernement de Carlos Mesa a parié durant toute l'année 2004 sur l'affaiblissement des mouvements sociaux. Dans une certaine mesure il l'a obtenu, mais le terrain des "commissions d'experts" n'est pas un lieu dans lequel les milliers d'habitants qui se mobilisent peuvent participer. Cependant, la force du mouvement bolivien, au moins jusqu'à maintenant, réside dans la clarté avec laquelle la population simple comprend la nécessité de récupérer ce qui est richesse naturelle pillée. Pour cela, elle se présente dans la rue encore une fois.
Finalement, la troisième demande du mouvement, qui peut constituer une sortie à cette confrontation à chaque plus intense, est la volonté des multiples et diverses organisations sociales de réaliser une Assemblée Constituante pour refonder un pays qui, sans aucun doute, balance par les quatre côtés au milieu de l'inestabilité et la carence.
Raquel Gutierrez
Brecha (Uruguay), 11 mars 2005
Traduction : fab (santelmo@no-log.org)