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Tanya Reinhart:Retrait de Gaza et propagande
by L.S Wednesday, Jan. 12, 2005 at 1:29 PM

Orwell est aujourd'hui dépassé par le pouvoir de la propagande


Discours de Tanya Reinhart au Concert pour la Palestine du 6 novembre 2004

Israélienne et linguiste Tanya Reinhart fait partie de cette lignée de linguistes qui, depuis Viktor Klemperer et son analyse du langage du III° Reich, en passant par Noam Chomsky et son décryptage du langage impérial US, nous analysent les langages utilisés par les pouvoirs impériaux et coloniaux. Nous prémunir des assujetisements de la propagande, voilà son but .

Ici, elle nous dévoile ce qui est en jeu, aujourd’hui, dans les proclamations de Sharon et ses soit-disant « retrait de la Bande de Gaza » et elle nous précise les textes votés par la Knesset concernant ce SOIT-DISANT RETRAIT.

Elle est par ailleurs l'auteur du livre « Détruire la Palestine » (aux éditions La Fabrique) qui analyse la grande supercherie des Accords d'Oslo et de la soi-disant « offre généreuse » de Ehoud Barak aux Palestiniens.

Elle n’attend rien du criminel Sharon, tout de la lutte commune des Palestiniens , des Israeliens , des militants internationaux et de « leur pacte d’amitié et de fraternité ».

TEXTE DE TANYA REINHART :

"Nous sommes réunis ici en des temps difficiles, alors qu'il semble que la question palestinienne ait été éliminée de l'agenda international. Le monde occidental salue le nouveau « plan de paix » de désengagement de Sharon.

Le jour où ce plan a été présenté au parlement israélien, la semaine dernière, a été salué par le journal Le Monde comme un jour historique. A-t-on prêté attention le même jour aux deux lignes d'informations sur la mort de 16 Palestiniens tués par l'armée israélienne à Khan Younès ?

Il est tout à fait clair, même en Occident, que le plan de paix de Sharon ne mettra pas un terme à l'occupation . Le plan de désengagement de la bande de Gaza spécifie qu' « Israël supervisera et contrôlera les frontières extérieures de Gaza, qu'il gardera le contrôle exclusif de l'espace aérien et poursuivra ses activités militaires dans les eaux territoriales ».

Ce qui veut dire que les Palestiniens seront emprisonnés de tous les côtés et n'auront de rapport avec le monde extérieur qu'à travers Israël. Israël se réserve aussi le droit de mener des actions militaires à l'intérieur de la bande de Gaza. En échange de ces « concessions » il gardera le droit de poursuivre la construction du mur en Cisjordanie et d'y maintenir la situation en l'état.

Ce qu'il y a de nouveau dans ce plan Bush-Sharon c'est qu'il ne cherche même plus l'accord des Palestiniens. On ne leur demande même plus leur avis. Ce sont Israël et les Etats unis qui dictent la politique du fait accompli. Israël marque la terre qu'il souhaite s'approprier et construit un mur à cet emplacement.

Pour ceux qui s'opposent à l'occupation israélienne, il est clair que le plan de désengagement de Sharon n'est destiné qu'à maintenir l'occupation avec une plus grande légitimié internationale.

Cependant, il y a un présupposé qui fait consensus : c'est que dans le processus du désengagement de Gaza, Sharon a aussi l'intention de démanteler les colonies et de rendre aux Palestiniens les terres où elles ont été construites.

Si j'avais cru à cette intention, j'aurais approuvé ce plan. Car les colonies, la terre qui les entoure, les zones de sécurité, les routes réservées au seul usage des colons et de l'armée, les zones militaires occupent presqu'un tiers de la bande de Gaza, qui est l'une des zones les plus peuplées du monde.

Si la terre devait revenir à ses propriétaires, ce serait un pas en avant. Nous n'oublions jamais que les Palestiniens ne luttent pas seulement pour leur libération mais aussi pour récupérer leur terre sur les territoires occupés en 67.

Aussi longtemps qu'ils réussissent à garder leur terre, même sous la pire des occupations, ils peuvent espérer se libérer du joug de l'occupation. Mais sans la terre, l'enjeu n'est plus leur libération, mais seulement leur survie.

Mais qu'est-ce qui pourrait faire croire que le plan de Sharon implique un démantèlement réel des colonies ?

La seule chose que le gouvernement israélien ait approuvé, c'est la possibilité d'engager une discussion sur un éventuel démantèlement des colonies de Gaza l'année prochaine. Il a été décidé également que, d'ici là, la construction et le développement des colonies à Gaza pourraient se poursuivre. Et, de fait, des parcelles de terres sont cédées à bas prix à des Israéliens qui désirent s'y installer, et des permis de construire sont accordés par un comité agréé par le gouvernement.

A l'extérieur d'Israël, ce que je viens d'expliquer n'a pas été rapporté et ce que les médias occidentaux nous rabâchant, c'est la propagande israélienne. Les manchettes de journaux accréditent l'idée que le démantèlement des colonies est imminent. L'idée qu'il s'agit peut-être d'un nouveau leurre ne traverse même pas les esprits. Et si vous évoquez cette éventualité on vous regarde comme si vous veniez d'une autre planète. C'est ce qui m'est arrivé lors de plusieurs interviews que j'ai donné à des médias européens.

La tromperie et les mensonges sont la pierre de touche de la politique israélienne. Et depuis Oslo, ils ont atteint un nouveau seuil de perfection. Pendant que le monde entier croyait aux promesses de Rabin concernant la fin de l'occupation et le démantèlement des colonies, le nombre des colons israéliens doublait sous son mandat.

Et quand Barak annonçait son intention de démanteler les colonies sur les hauteurs du Golan en 1999, il accordait dans le même temps des fonds pour leur expansion..

Quant à Sharon, qui nous promettait de démanteler au moins les « avant-postes illégaux » en Cisjordanie, il laissait leur nombre s'accroître.

Rien de tout cela n'est rappelé. Chaque nouveau mensonge est accueilli avec des acclamations par « le camp de la paix » israélien et par les gouvernements européens. Depuis Oslo, chaque gouvernement israélien sait qu'il suffit d'annoncer une nouveau « plan de paix », pour que la pression diplomatique se relâche.

Le rituel se répète à chaque nouveau « plan » de ce genre. Et pour faire croire au monde entier que « cette fois-ci c'est pour de bon », on montre que l'aile la plus à droite du gouvernement s'y oppose. Et, bien entendu, il y a toujours, des israéliens de droite et des colons, pour y croire aussi.
La supercherie de Rabin lui a d'ailleurs coûté la vie.

Les mêmes menaces sont adressées aujourd'hui à Sharon. Et cela suffit à convaincre le camp de la paix israélien qu'il est décidé à démanteler des colonies.

Même des personnalités israéliennes qui sont réellement contre l'occupation écrivent des articles mettant en garde contre le danger d'une « guerre civile » avec les colons (en oubliant que pour que cela soit possible il faudrait tout d'abord que quelqu'un veuille réellement les évacuer ). Et cela sous-entend que, face à ce danger de « guerre civile », nous devrions tous nous ranger derrière Sharon et le soutenir contre les forces du mal en Israël.

Cette propagande massive israélienne est efficace. Sharon est maintenant présenté dans le monde occidental comme le nouveau messager de la paix, parce qu'il a déclaré vouloir évacuer une partie des Territoires occupés. Il apparaît tout à coup comme un centriste sensé, qui résiste à la pression de la droite.

L'opinion qui prévaut est qu'Israël est dirigé par un homme de paix animé d'une respectable détermination à faire de douloureuses concessions. Et tant qu'il en sera ainsi, Sharon fera exactement ce qu'il veut.

L'armée israélienne sème la terreur dans la bande de Gaza. Des Palestiniens sont tués par dizaines, dont des enfants sur le chemin de l'école. Des maisons sont démolies et des champs saccagés.

Lors de l'opération « Mur de protection » en Cisjordanie et dans le camp de réfugiés de Jénine en 2002, il y a eu des protestations au niveau mondial.

La dernière opération « Jours de pénitence » au camp de Jabalia dans la bande de Gaza n'a eu que très peu d'échos. Appuyé par les USA, Sharon réalise avec une effrayante efficacité son projet de toujours, qui consiste à expulser de leur terre le plus grand nombre possible de Palestiniens.

Nous sommes devenus un pays de murs, de barrières, de postes de contrôle à Gaza, à Jérusalem, en Cisjordanie. Mais l'Europe détourne les yeux , rassurée par le nouveau « plan de paix » de Sharon.

Nous traversons des jours difficiles. Orwell est dépassé face au pouvoir actuel de la propagande, quant on voit les gouvernements européens soutenir imperturbablement Israël quelques soient ses crimes.

Les Palestiniens meurent à petit feu sans qu'il soit fait écho de leurs souffrances.

Mais, en même temps, alors que les gouvernements refusent d?imposer le respect du droit international, les peuples du monde ont encore leur mot à dire.

Même si les médias n'en parlent pas, il y a un mouvement grandissant, une lutte commune de Palestiniens, d?Israéliens et d?internationaux d' ISM (International Solidarity Movement). Ils font face chaque jour à l'armée et aux colons dans les territoires occupés de façon non-violente et pacifique. Ils relèvent les exactions, protègent la terre autant qu?ils le peuvent et ralentissent l'entreprise massive de destruction de Sharon.

Pour la première fois dans l'histoire de l'occupation la lutte réunit Israéliens et Palestiniens. Parallèlement à l'Israël de l'armée et des colons émerge un nouvel Israël-Palestine .
Le cadre somptueux de la Cisjordanie a été morcelé par de nouvelles routes que les maîtres ont construites à leur usage exclusif. Au dessous s'étendent les anciennes routes des vaincus. C'est là que l'autre Israël-Palestine entre en action. Depuis presque 2 ans, des jeunes Israéliens empruntent les bus des colons. Ils descendent et poursuivent leur chemin à pied et dans des taxis palestiniens, traversent les check-points. Ils font de longs périples entre les villages palestiniens, seuls ou en groupes. Certains dorment sur place dans les villages. D'autres empruntent la même route le lendemain pour rejoindre une manifestation contre la construction du mur où la destruction de maisons..

Partout où ils passent ils sont accueillis par des bénédictions et des visages chaleureux. « Tafaddalu » leur lancent les enfants depuis le seuil des maisons comme s'ils avaient oublié ce que c'était que de lancer des pierres.

Le long d'une « ligne fictive » en Cisjordanie, le long du tracé du mur, les Palestiniens ouvrent leurs coeurs et leurs maisons aux Israéliens et aux internationaux venus soutenir leur résistance non-violente contre le mur et l'occupation, le vol de leurs terres.

Ces jours-ci, des centaines d'Israéliens vont presque chaque jour en Cisjordanie protéger les Palestiniens pour la cueillette des olives contre les agressions des colons qui, sous la protection de l'armée, font tout pour l'empêcher.

Les jeunes Israéliens, en se tenant aux côtés des Palestiniens face à l'armée israélienne, ont mis en évidence qu?il y a une ligne fondamentale de défense de la justice qui ne peut pas être franchie. Il y a une loi au dessus des lois de l'armée qui patrouille dans les zones militaires proches. Une loi internationale qui interdit le nettoyage ethnique, et aussi une loi de la conscience . Mais ce qui les incite à revenir jour après jour c'est le nouvel accord qui a été passé entre les populations de ce pays, un pacte de fraternité et d'amitié entre Israéliens et Palestiniens qui ont l'amour de la vie, de la terre, de la brise du soir. Ils savent qu'il est possible de vivre autrement sur cette terre.

Cette lutte quotidienne est notre espoir. Cet espoir nous a été rendu grâce à des personnes venues du monde entier pour rejoindre cette nouvelle forme de résistance . Ils font face au harcèlement militaire. Beaucoup sont arrêtés et renvoyés dans leur pays, mais ils reviennent.

Tant que des personnes continueront à venir, même pour peu de temps, tant qu'elles seront appuyées et soutenues par beaucoup d'autres, qui ne peuvent pas toujours se déplacer, mais qui manifestent comme ce soir, ici, la lutte se poursuivra, apportant l'espoir là où les gouvernements ont échoué à le faire.

Traduit de l'anglais par Acacia CONDES