arch/ive/ief (2000 - 2005)

Citoyenneté et démocratie, matières VIVANTES
by Philippe Monday, Dec. 06, 2004 at 10:01 PM
philippe.drouillon@skynet.be

Ce courrier fait suite au lancement d'une école de la citoyenneté à Wavre (Belgique) et suite aux informations que j'ai pu obtenir sur le programme proposé par ce projet. Outre le fait que les médias y aient trouvé un caractère partisan, c'est le contenu même de cette démarche qui me pose question. Cette enième initiative qui consiste essentiellement à donner des cours sur le fonctionnement des insitutions démocratiques belges passe à mon sens à côté de l'objectif de renforcement de la démocratie et lutte contre le rejet du politique et contre l'extrême-droite.

CITOYENNETE ET DEMOCRATIE, DES MATIERES VIVANTES

Une école de la citoyenneté ou le risque de passer à côté de l'objectif ?

Enseigner la démocratie et la citoyenneté par le biais d'une école (de la démocratie et/ou de la citoyenneté part de deux constat inquiétants et justifiés : la montée de l'extrême droite et la méconnaissance des institutions démocratiques.

Cependant, cette solution de facilité qui consiste, d'une part, à confondre la démocratie dans tous les domaines de la vie des citoyens et dans les institutions comme les institutions politiques, les écoles, les médias, les entreprises, la famille avec l'apprentissage de la démocratie, et, d'autre part, à assimiler l'apprentissage de la démocratie à la description du fonctionnement de ses institutions, risque pédagogiquement de passer à côté des enjeux réels d’un renforcement de la démocratie c'est-à-dire :

- Développer ou reconstruire du lien social c’est-à-dire favoriser la tolérance, la création du consensus, la prise en compte des besoins des uns et des autres…dans une perspective du bien commun
- Développer ou raviver l’intérêt des citoyens pour la chose publique
- Encourager la politisation des problèmes : à partir du quotidien, on peut poser des questions de société
- Renforcer l’adhésion au système politique institutionnel et la légitimité de celui-ci

La démocratie se fait et se défait à chaque instant, elle se nourrit, elle s'enrichit d'une pratique et d'une réflexion permanente qu'elle permet et suscite elle-même. Bref la démocratie s'apprend un peu certes mais surtout elle SE VIT.

La démocratie n'est pas un produit fini dont il suffirait de faire la promotion ou de diffuser le mode d'emploi. Elle est trop souvent présentée comme une évidence et comme un ensemble de règles techniques sans contenu politique et d'institutions formelles que chacun d'entre nous a le devoir de respecter et de défendre. Alors que la démocratie a tendance à devenir un dogme, elle devrait au contraire redevenir un débat permanent autour de la multitude de conflits et d’intérêts qu'elle porte en elle… tout en restant dans une perspective d'émergence des fondements du bien commun.

Pour un processus d'apprentissage actif et participatif de la démocratie

Que proposer dans ce cas ?

L'apprentissage de la démocratie se doit être un apprentissage VIVANT qui combine parties "théoriques" sur le fonctionnement des institutions (qui constituent le cadre et le contexte de l'exercice de la démocratie) et des espaces où les citoyens vont pouvoir VIVRE cette démocratie avec ses débats, ses contradictions, ses confrontations de points de vue, ses phases d'acquisition de savoirs et informations, ses processus de prise de décision tenant compte de l'intérêt et du bien communs.

Il s'agit moins de concrétiser cette démarche par des exposés, voire même des jeux de rôles, expositions, mises en situation qui autorisent à faire semblant, à jouer à la démocratie. Cette dernière n'est pas un sport de spectateur et la participation des citoyens constitue une des voies pour reconstruire le lien social qui est d'abord le lien politique. La participation, c'est le terreau dont les valeurs démocratiques ont besoin pour s'épanouir.

Il s'agit donc de permettre aux citoyens d'exercer cette démocratie sans camoufler l'enjeu du pouvoir et de son partage et cela dans des situations réelles que ce soit au niveau local (plans de mobilité, schémas de structure, enquêtes publiques, contrat d'avenir local,...) ou au niveau régional (contrat d'avenir pour la Wallonie, contrat stratégique pour l'éducation par exemple, agendas 21,...) et en mettant en oeuvre des méthodologies et processus participatifs innovants (conférences de consensus, panels de citoyens, méthode Delphi, jurys de citoyens, future searches,...) intégrant des phases plus formelles d'apprentissage des institutions démocratiques là où il apparaîtra nécessaire d'en connaître le fonctionnement. Un savoir n'est jamais mieux assimilé que lorsqu'on en a besoin (pour prendre une décision par exemple).

Ceci reste valable également pour l'apprentissage et l'exercice de la démocratie au sein des différentes institutions qui sont les garantes de la démocratie comme les écoles où régulièrement l'insertion de cours de citoyenneté et de démocratie est suggérée par les différents partis politiques...en omettant d'y introduire une pédagogie participative de la démocratie (comme celles développées au Québec par de nombreuses commissions scolaires en collaboration avec des centres pédagogiques ) permettant à tous les acteurs de l'école de vivre cette démocratie au jour le jour dans leur espace commun.

Outre l'exercice proprement dit de la démocratie et une meilleure connaissance des institutions qui la sous-tendent, une telle approche permet aux citoyens de prendre part de manière plus active aux prises de décision qui les concernent, de découvrir de nouvelles pistes plus constructives pour vivre et décider ensemble autrement et de se rendre compte de la complexité d'un processus de prise de décision démocratique qui prend en compte toute la diversité des intérêts et des besoins tout en faisant émerger le bien commun.

Les autres mondes possibles s'appuieront sur de tels processus démocratiques ou ne seront pas.

Un objectif : renforcer le système existant de démocratie représentative

Mettre sur pied des initiatives visant à sensibiliser à l'importance de la démocratie et de la citoyenneté est plus complexe qu'il n'y paraît...si l'objectif est de réellement développer une prise de conscience de la nécessité d'une participation forte des citoyens à l'exercice de la démocratie...et cela dans tous les domaines de la vie.

C'est une oeuvre de longue haleine et qui doit s'exercer en permanence sous la forme de processus dynamiques de "learning by doing". Il s'agit de prendre le risque d'un réel processus démocratique qui révélera les enjeux, les conflits, les intérêts individuels et collectifs et permettra, au travers de débats équitables et donc de pratiques collectives de les faire évoluer dans l'intérêt général et le bien commun.

Il s'agit de permettre, de manière active, un retour aux sources de la démocratie représentative où l'importance de l'exercice réel du contrôle exercé par les citoyens sur leurs représentants est vitale et dépend d'un engagement réciproque : les représentants, convaincus de la nécessité d'intégrer les citoyens à la gestion de la Cité, s'engagent à les informer de leur action et à construire leur action à l'écoute des citoyens ; les citoyens, décidés à reprendre en main la politique, s'engagent à soutenir ou interpeler leurs représentants.

La démocratie n'est représentative que si elle est participative, au sens où le citoyen ne sera représenté que s'il veille à l'être. Pour ce faire, la démocratie ne peut se passer d'espaces à créer, de processus à animer et elle requiert ue construction continue de structures porteuses de la participation, structures déjà évoquées plus haut.

L'envie de participer n'est pas innée, spontanée. Il faut donc mettre au coeur des préoccupations de l'exercice de la démocraties les questions de la "pédagogie de la participation" et des obstacles à la participation (disponibilité du temps, disponibilité des informations, harmonie entre temps d'activités et temps de participation,...).

C'est en insufflant à nouveau de l'oxygène, en libérant des espaces et du temps pour l'imagination créatrice des citoyens, en faisant confiance dans les ressources citoyennes que la passion démocratique sera présente.

Ainsi la reconnaissance de l' "expertise d'usage" des citoyens combinée à la mise à disposition gratuite d'experts pour les groupes de citoyens qui rentrent dans une telle démarche (via des conférences de consensus, panels de citoyens, jurys de citoyens,...) peut être une piste pouvant aller dans ce sens.
La réduction de l'écart entre ceux qui savent et les habitants qui ne sont écoutés que distraitement, parce qu'ils en savent moins ou parce qu'ils ne savent pas exprimer leur point de vue, faute de méthodologies et d'espaces réellement participatifs, constitue une autre piste.

L'amélioration des connaissances des citoyens à propos des différentes institutions démocratiques est une contribution au renforcement de la démocratie mais elle est nettement insuffisante.

C'est en favorisant l'implication croissante de tous les citoyens dans les différentes étapes du processus de décision démocratique (information - consultation - concertation - prise de décision - suivi - évaluation) , en leur permettant ainsi de contribuer REELLEMENT à (et donc de "vivre") l'exercice démocratique et de mieux cerner ses enjeux que la démocratie et la citoyenneté s'en trouveront renforcées.

Car à l'arrêt, la démocratie, elle rouille...

Alors, qui se lancera dans une réelle démarche de redynamisation de la démocratie…en toute transparence et sans clientélisme ?

Pas d'accord
by François Monday, Dec. 06, 2004 at 10:44 PM



La Belgique, ainsi que la quasi totalité des régimes prétendument démocratiques dans le monde, ne sont pas des démocraties mais bien des régimes parlementaires/représentatifs, et dans les faits, des particraties. Ce ne sont pas des démocraties car la démocratie, au sens originel du terme, c'est quand chacunE a la liberté de (i) proposer une loi/règle à la votation collective, et (ii) participer à toutes votations. En d'autres termes, la démocratie est nécessairement directe.

Historiquement, elle aurait été appliquée pour la première fois dans la Grêce antique. C'est à partir de la naissance du régime représentatif/parlementaire moderne à la fin du 18° siècle que la classe politique, constituée presque exclusivement de personnes appartenant aux classes sociales aisées, a, pour justifier moralement sa fonction, détourné la définition sémantique du terme "démocratie" en l'assimilant au régime représentatif/parlementaire. Il s'agit d'un leurre puisqu'en régime démocratique il n'y a pas, par définition, de représentants politiques (les citoyenNEs peuvent cependant confier des missions "publiques" à certainEs d'entre elles/eux, à l'instar de la Grêce antique où le chef des armées changeait chaque jour et était désigné par tirage au sort).

Renoncer à ses droits en confiant sa voix à des représentants constitue donc une régression démocratique. C'est d'autant plus vrai qu'il n'existe pas de moyen crédible de garantir que ces représentants ne sont pas corrompus, ou contrôlés par le chantage. D'autre part, la croyance selon laquelle les fraudes électorales n'auraient lieu que dans des républiques bananières n'est pas confirmée par les faits. Le régime parlementaire/représentatif est d'ailleurs désavoué par un partie croissante de la population, qui ne vote pas/plus aux élections. Dans le cas des élections européennes, les abstentionnistes sont devenuEs majoritaires depuis les élections de 1999, et leur pourcentage s'est encore accru lors des élections de 2004, ce qui rend les institutions européennes illégitimes au regard du principe démocratique. Il est d'ailleurs assez significatif que les politiciens et les journalistes salariés n'évoquent jamais l'abstentionnisme en tant que choix politique (par exemple pour la démocratie directe), le qualifiant plutôt de paresse, incivisme ou ignorance.

Mais le régime démocratique a ses propres limites en matière morale puisqu'il revient aussi à l'oppression d'une partie de la population par une autre partie, la démocratie reconnaissant implicitement à une majorité de la population le droit d'imposer sa volonté à la minorité, par la force si nécessaire. La démocratie (directe, donc) est seulement moins injuste que le régime représentatif en ce sens que dans le premier cas c'est une majorité de la population qui décide directement, alors que dans le second ce n'est que quelques centaines de représentants élus par une partie (généralement minoritaire) de la population. D'autre part, la corruption des représentants disparaîssant avec les réprésentants, le fonctionnement de la société humaine est aussi plus efficace en régime démocratique qu'en régime représentatif/parlementaire.