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Congo / Violence sexuelle comme arme de guerre au Kivu
by raf Sunday, Dec. 05, 2004 at 7:54 PM
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A Baraka, le parc à machines a été détruit. Au cours de la guerre, tout ce qui roulait a été cannibalisé, tout ce qui va sur deux jambes, violé. Les gens en parlent, intérieurement, presque. Au bord du lac, l’eau emporte leurs mots. Dans les champs, ils se parlent à distance, ils ont l’air de marmonner tout seuls, entre leurs dents. On n’entend toujours pas de bruit de moteur sur la route. Et puis : les bourreaux n’ont jamais été inquiétés, c’est même eux qui dirigent les affaires, ici. Ca explique pourquoi les gens ne parlent pas tout haut, à Baraka. (Reportage réalisé en mars 2004 à Baraka, Sud-Kivu)

[Le contexte
Fin avril, on assistait à un accroissement de la présence militaire rwandaise au Kivu, dans l’Est du Congo. Le Rwanda franchit allègrement la frontière congolaise, comme si le Kivu était son parterre, en quelque sorte. Au Congo, il s’appuie sur les anciens collaborateurs du RCD, qui occupent des postes importants dans l’armée et l’administration. Ces hommes sabotent l’unification politique et militaire du Congo et déstabilisent en permanence la région. La tension est sensible et c’est certainement le cas dans une petite ville comme Baraka, à la longue tradition de résistance.]

Sur papier, la guerre du Congo s’est terminée voici un an. Mais, en Tanzanie, sur la rive opposée du lac Tanganyika, 120.000 réfugiés attendent toujours de pouvoir rentrer chez eux.
Pascal, une boule de muscles de 26 ans, a séjourné avec son épouse au camp de Lugufu. Il débite son adresse comme un prisonnier récite son matricule : « Lugufu-1, A24, bloc 15, parcelle 13 ». Au début 2003, il a appris que son père était mourant. Depuis la Tanzanie, il a traversé le lac pour rentrer chez lui, à proximité de la petite ville de Baraka, dans la province du Sud-Kivu. Le 22 février 2003, au cœur de la nuit, des inconnus cognaient dans la porte.

Pascal : « Sept types, armés jusqu’aux dents, ont fait irruption à l’intérieur. Des rebelles burundais du FDD. Ils voulaient de l’argent. Ils m’ont cogné sur la poitrine avec leurs fusils. Ils m’ont cassé deux dents. Et après, il m’ont violé. Ils m'ont coïté ! Ils ont joué avec moi comme avec un pion de dames. Au camp, quand ma femme a appris que les Forces Négatives m’avaient violé, elle a demandé le divorce. Après ça, les gens, dans la rue, me crient : Hé ! la pute du FDD ! Ca ne se passe pas bien dans ma tête, j’en deviens cinglé ! »

Pascal a tout perdu, son honneur, sa famille, ses vêtements et le sac avec un kilogramme d’or que son père lui avait donné. Dans toute la région, il y a de l’or dans le sous-sol. On le cherche avec tant d’acharnement qu’à l’embouchure, la rivière Mutambala est obstruée avec toute la vase et le limon qu’on a retournés en amont.

* * *

En août 2003, lorsque Médecins sans frontières a ouvert un dispensaire d’urgence dans l’ancien couvent des religieuses de Baraka, l’organisation a également commencé à tenir une comptabilité. Depuis lors, 700 victimes de violences sexuelles s’y sont fait enregistrer et soigner. Mais combien sont-elles, les personnes qui n’osent pas se présenter, ou qui habitent trop loin du dispensaire ?

Yowa, une femme de 40 ans, s’est fait salement amocher sur la presqu’île d’Ubwari, à proximité de Baraka. Elle exhibe les brûlures qu’elle a aux mains et aux jambes.

Yowa : « Parce que je me suis opposée avec véhémence à mes bourreaux, ils ont mis les lames de leurs couteaux et leurs canons de fusils sur le feu et après, ils m’ont brûlé la peau. Puis ils m’ont violée. » Les femmes s’étaient enfermées à dix dans une maison. Toutes ont dû subir la même torture.  

Avant de perdre connaissance, Alisa avait compté sept violeurs. Elle a continué à saigner des mois durant, ses règles n’ont retrouvé leur cycle que lorsqu’elle a enfin reçu des médicaments d’un médecin, à Baraka. Deux ans plus tard, elle a encore toutes les peines du monde à se tenir debout. Elle noue étroitement son pagne autour de son corps pour pouvoir marcher.

* * *

Aujourd’hui, le Kivu est dans l’œil du cyclone qui ravage l’Est du Congo depuis dix ans déjà.

En 1994, les Rwandais ont afflué par centaines de milliers. Beaucoup avaient sur les mains du sang du génocide. En septembre 1996, un peu plus au nord, débutait l’insurrection contre le dictateur Mobutu. Laurent-Désiré Kabila prenait la tête des insurgés et, en mai 1997, il devenait président à Kinshasa. Il ne disposait toutefois que de peu de répit. En août 1998, le Rwanda et l’Ouganda lançaient une invasion militaire pour tenter de le déboulonner. L’affaire allait échouer. Les deux pays occupaient bien les provinces limitrophes du Nord et du Sud-Kivu et, partant de là, la moitié du Congo. Dans les provinces occupées, ils se livraient à des excès particulièrement inhumains, s’appuyant sur la trahison de prétendus rebelles congolais. Le Burundi, à son tour, envoyait des troupes d’occupation. En 2002, la guerre au Congo avait déjà coûté 3,5 millions de vies humaines.

Les Kivutiens sont connus pour leur obstination. Sous Mobutu, lorsque l’Etat connut une faillite complète dans l’Est du Congo, ils se débrouillèrent tout seuls, assistés de toute une mosaïque d’organisations locales. Il y a des profiteurs, sur le parcours, alléchés par les subsides des donateurs. Mais d’autres groupes de base allaient mériter leurs galons dans la résistance citoyenne, d’abord contre Mobutu, ensuite contre l’occupant.

Depuis Bukavu, chef-lieu de la province, Marie-Noël Cikuru, du centre d’aide Olame, mène une campagne en faveur des droits féminins. 

Marie-Noël Cikuru: « Au Kivu, les viols ne constituent pas une violence ordinaire des hommes à l’endroit des femmes, ils se produisent systématiquement et de façon ciblée, ils sont une véritable arme stratégique. Dans nombre de villages, il est impossible de trouver une femme qui n’a pas été violée. Il faut savoir que, chez nous, la femme est le moteur de la famille. Vous pouvez vous imaginer tout ce que ça provoque ? Des centaines et des centaines de personnes avec de graves lésions physiques, des cauchemars, des affections psychosomatiques, et toutes ces personnes sont exclues, elles ne peuvent plus travailler ? Cela signifie que tout le tissu social s’effiloche ! »

Opération « Assiettes propres ». Tel est le nom que donne Cikuru à l’une des tactiques des militaires. Le plus haut gradé se servait d’abord, puis refilait ses victimes à ses subordonnées, comme on le ferait d’une assiette qui n’a pas encore été vidée.

« Bameniyaribisha », disent les femmes en swahili : j’ai été détruite. Que des soldats atteints du sida aient été envoyés dans le but de contaminer des femmes, Marie-Noël Cikuru ne peut le prouver. Mais elle sait pertinemment bien que les cas de sida augmentent avec les viols.

* * *

En août 2003, Baraka était devenue une ville fantôme. Aujourd’hui, 13.000 personnes y habitent à nouveau. Ici aussi, les ONG font parler d’elles. Jeanette Abau'ya a rassemblé pas moins de 23 organisations féminines au sein de la Fédération des Femmes pour le Développement. Elle a largué son boulot dans l’enseignement : depuis des années, elle ne percevait plus le moindre salaire. Afin de subvenir aux besoins de sa famille – huit personnes – elle est devenue cultivatrice. Elle partage l’existence pénible des femmes de la terre mais s’occupe également, en tant que bénévole, des intérêts de ces mêmes femmes.

Madame Jeanette : « Chez nous, les femmes doivent travailler, ce sont des machines. Un homme paie une dot, pour une femme : il l’achète pour qu’elle travaille. Si elle ne peut plus travailler, il la jette. Après avoir été violées, bien des femmes ont été répudiées. Elles ne valent plus rien. Et les auteurs ne sont même pas punis. »

Quand il est question des auteurs, les gens s’en tiennent au chuchotement. Ils accusent les rebelles du FDD parce qu’ils ne peuvent plus faire de mal : entre-temps, ces rebelles sont retournés au Burundi et on en retrouve même au sein du gouvernement… Mais ont-ils vraiment la totalité de cette terreur sur la conscience ?

Dans les conversations à huis clos, on entend un tout autre son de cloche. A Baraka, on ne croise que des militaires du RCD, les anciens rebelles. Ce ne sont pas des gens du coin. Ils occupent les maisons des gens qui ont fui. Ils ne perçoivent aucune solde et volent donc leur nourriture à la population locale. Dans les champs, ils arrachent les plantes de manioc. Bien des femmes se font violer, dans ces champs, et ne peuvent  - ou n’osent – plus aller travailler.

Madame Jeanette : « Les femmes vivent de ce que la terre donne. Mais les femmes qui ont été violées dans les champs ont peur et elles restent chez elles. Comment vont-elles désormais nourrir leurs enfants ? »

* * *

Chaque matin, juste avant six heures, le prédicant méthodiste éveille ses voisins les plus proches à grands coups frénétiques sur la bonbonne de gaz vide qu’il a accrochée à un arbre, près de sa maison. Impossible d’échapper au vacarme, qui vous secoue jusqu'au tréfonds de l’âme. Les autres sectes ne le lui cèdent en rien : Baraka compte une cinquantaine d’églises et de temples qui rivalisent de zèle pour les âmes – et les offrandes – des fidèles.

A la lisière de l’agglomération, une dizaine de personnes sont prêtes à se rendre aux champs. Des femmes munies de machettes et de jerrycans, de paniers qu’elles portent sur le dos à l’aide d’une courroie passant autour du front. Des hommes, une houe posée négligemment sur l’épaule.

L’une des femmes : « Nous crevons de faim, il n’y a plus rien à récolter. Il faut un an pour faire pousser le manioc mais, ici, on arrache les plants après deux ou trois mois. »

Une autre : « Ce sont les militaires qui déracinent les plantes de manioc et qui les emportent. Pour les manger eux-mêmes ou les revendre ? Va-t-en savoir ! Nous allons aux champs parce que nous ne pouvons faire autrement. Il n’y a pas de sécurité mais nous avons faim ! »

Le manioc se fait rare, les prix grimpent sans cesse.

Madame Jeanette : « Un kilogramme de farine coûte, aujourd’hui, presque quatre fois autant qu’il y a un an. Pour quatre tubercules de la longueur de mon avant-bras, je paie aujourd’hui 200 FC, contre 40 ou 50 FC auparavant. Avec quatre de ces racines, je peux faire un repas pour cinq personnes. Et nous avons huit enfants ! Chez nous, il n'y a pas de déjeuner, il n’y a pas de souper, on dîne seulement, et puis on dort. »

L’alimentation de base, désormais, vient d’ailleurs, la farine de manioc vient d’Uvira, à 86 kilomètres, en direction du nord; les racines de manioc de la rive d’en face, de la presqu’île d’Ubwari. Pourquoi les cultures demeurent-elles intactes, à Ubwari ? Madame Jeannette baisse un tantinet la voix : « Parce que, là, ce sont les habitants qui dirigent ! »

* * *

La presqu’île d’Ubwari étire son épine dorsale : juste derrière le village de Kabanga, on aperçoit ses hauts flancs abrupts partout échelonnés de champs et de parcelles.

Un seul bâtiment, peint en blanc, pour tout le village; il n’y a presque pas d’habitations en briques, mais beaucoup de huttes de tiges tressées et d’argile séchée, pleines de courants d’air. Sous l’un des énormes manguiers, les femmes ont étalé les tubercules de manioc sur une planche à hauteur de poitrine, de façon à pouvoir s’y reposer un peu, la tête entre les coudes.

Le « capita » (chef du village) Chenga M'Unda Batu s’exprime avec amertume : « Mon village aurait-il fait quelque chose de mal ? » demande-t-il, « pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps avant que les infirmiers de Baraka viennent jusqu’ici avec leur bateau ? » D’autres notables viennent s’asseoir autour de lui.  

Azanga Sahidi porte une chemise à fleurs, mais aussi – et il est le seul de la communauté – des bottes de l’armée qui, en plus, sont cirées comme pour la parade. Il se présente en tant que lieutenant des Mayi-Mayi.

Azanga Sahidi : « Dans ce secteur, nous devons fusionner avec les militaires du RCD. Mais ça ne marchera jamais tant que le Rwanda ne se sera pas définitivement retiré du Congo. Le Rwanda considère le Kivu comme son parterre. Il a intoxiqué le RCD avec une mauvaise morale. Ils ont provoqué les massacres de Makobola, de Mwendiga, de Kasika; ils ont brûlé vifs les gens dans leurs maisons, violé les femmes. Avant que nous puissions fusionner avec les milices du RDC, il va d’abord falloir effacer toute cette idéologie rwandaise. »

Ilunga Mande anime ici le PPRD, le parti du président Kabila. Ilunga Mande : « Le Rwanda va et vient au Congo, parce qu’il s’appuie sur les Banyamulenge. »

Puis, rappelons-le, il y a toute cette rancune ethnique, qui remonte à des querelles autour des terres et du bétail. Mais les Banyamulenge sont des Tutsi congolais et, à un certain nombre d’entre eux, le Rwanda a fait suivre des entraînements militaires et a accordé de hautes fonctions au sein de la hiérarchie rwandaise même. Durant la guerre, ces gens ont dirigé la répression contre les partisans des Mayi-Mayi. Et, aujourd’hui, à l’instar d’Antoine Musasilwa à Baraka, ils sont administrateurs du RCD.

Le chef de village Chenga M'unda Batu : « Aujourd’hui, tout le monde peut circuler librement, dit-on. Mais, à Baraka, nous subissons les menaces des agents et des militaires du RCD. Ils ont un bureau sur le rivage même; quand nous arrivons là-bas, ils nous extorquent de l’argent, ils nous humilient. Nos gens vont vendre du manioc, là-bas. Mais on les insulte. Tout récemment, quelqu’un d’ici est allé conduire un malade à Baraka en pirogue. Il s’appelle Emile Mulelwa. Là, ils l’ont jeté dans une cellule, parce que ce serait un Mayi-Mayi. Je vous le dis : la guerre est terminée, en apparence. Mais les rebelles n’ont pas changé d’un cheveu ! »

Que des Banyamulenge se battent également contre le Rwanda, parfois en alliance avec les Mayi-Mayi, les autochtones de Baraka et Ubwari préfèrent ne pas y penser.

* * *

Un soir, alors que les chauves-souris volètent en tous sens, l’un des gardiens parlent des Mayi-Mayi : les milices qui défendent les terres des ancêtres. Baraka est leur berceau. D’après les croyances populaires, ils utilisent toute une panoplie de rituels et d’armures magiques qui les rendent invulnérables aux balles de l’ennemi.

En 1964, pour des raisons politiques, les gens de la région de Baraka ont organisé leurs milices Mayi-Mayi. Celles-ci se sont ralliées à la révolte des Simba, les partisans du premier Premier ministre du Congo, Patrice Lumumba, assassiné en janvier 1961.

Derrière la mission catholique de Baraka se trouve toujours un véhicule blindé, enterré dans le sable jusqu’à la tourelle. C’est un jouet pour les gosses, tous ses signes particuliers et immatriculations ont été effacés.

« C’était aux Sud-Africains », dit le gardien, « qui sont venus aider Mobutu en 64. On les avait appelés les Fockoffs. Quand ces colonnes militaires sont arrivées, nous nous sommes enfuis vers Kitchula. Nous ne sommes revenus qu’en 1967. »

C’est à partir d’alors que le Territoire de Fizi, dont Baraka est la seconde bourgade, a eu la réputation de Zone Rouge. Le gardien : « En 1971, les paras de Mobutu se sont amenés sous la direction du major Mobongobi. Le Mobongobi en question était un criminel. Il a assassiné beaucoup de gens. »

En 1996, on a lancé une nouvelle fois des milices Mayi-Mayi, cette fois, parce que les Rwandais et les Banyamulenge avaient lancé la révolte contre Mobutu. Deux ans plus tard, après l’invasion des Rwandais, les Mayi-Mayi ont choisi le camp de Kabila et ils ont entamé une guerre de partisans. Leur bastion résidait dans les campagnes autour de Fizi, Baraka, Uvira, alors que les collaborateurs du RCD occupaient les petites villes et semaient la terreur dans les villages.

* * *

Bakari, le chef de la police du RCD à Baraka, nous interdit de poser des questions sur la politique locale. Chaque jour, il veut qu’on lui présente à l’avance notre programme sur papier et il nous envoie son chien de garde, l’agent Jean-Claude, du Département de Sécurité et de Renseignements. Ce « silencieux » vient du Bas-Congo, à l’autre bout du pays, il a appris les ficelles du métier sous Mobutu. Il pompe l’air pour avoir de l’argent, « car si je n’ai rien à boire, le lendemain, je ne suis pas en forme ». En forme, pour lui, ça veut dire larguer à tout moment d’acides relents d’alcool et les yeux qui baignent dans une espèce d’humeur rougeâtre. Jean-Claude est pire qu’un boulet au pied. Avec lui pendu à leurs basques, les gens se tiennent doublement sur leurs gardes.

Mais, un samedi, il pleut des hallebardes et nous chamboulons le programme. Nous donnons congé à Jean-Claude, il regagne sa niche en titubant.

Le PPRD du président Kabila a également une section dans l’antre du lion. Le local du parti est installé dans la rue principale, face à l’arrêt des taxis, Baraka-Express. Petit à petit, il se remplit de quelques administrateurs et de militants. Au mur du fond est accroché un portrait officiel du président Joseph Kabila.

Lubango Milunga, le secrétaire : « Ici, vous êtes en territoire RCD. Ils font ce qu’ils veulent, ici. Les militaires occupent les palmeraies, jusqu’à 12 km d’ici, au Katanga, et à Mboko. Personne n’ose réclamer. »

En décembre 2003, le PPRD a voulu organiser un meeting. Réponse d’Antoine Musasilwa, l’administrateur : attendez avec ça jusqu’aux élections de 2005. Donc : pas de meeting ! Le secrétaire du parti va chercher la Constitution congolaise d’avril 2003, à l’article 11, où il figure pourtant très clairement que les partis politiques doivent pouvoir exercer leurs activités librement.

Le 16 janvier, anniversaire de l’assassinat du président Kabila, c’était reparti pour un tour. Tout le monde pouvait rester chez soi. Mais les fonctionnaires du RCD sont allés travailler et, de plus, ils ont obligé la population à participer à une action de travail collectif, comme au temps du dictateur Mobutu.

Le secrétaire exhibe une note interne du RCD, datée du 27 décembre, dans laquelle l’administrateur Antoine Musasilwa dit que les Mayi-Mayi se renforcent d’extrémistes hutu et que ce serait donc une idée particulièrement malvenue de remplacer ses militaires de Baraka par des militaires mayi-mayi, comme la chose est pourtant stipulée par la hiérarchie militaire.

« Ca, c’est de la plus pure Propagande Noire », déclare Lumina Kambi, président local du PPRD. « Il n’y a pas un iota de vrai, là-dedans. Pourquoi Musasilwa va-t-il imaginer ce genre de chose ? Parce qu’il veut empêcher que le RCD perde ses petites planques lucratives et qu’il ne puisse plus extorquer de l’argent à la population. Mais il y a encore plus grave : le Rwanda considère le Kivu comme son territoire et, pour pouvoir mener des incursions ici en permanence, il a besoin de points d’appui. C’est pourquoi ces gens tentent de contrecarrer à tout prix l’unité politique et militaire du Congo. »

* * *

Dans la petite salle d’opération de l’hôpital de Barak, c’est le docteur Idi Mwanasumba qui assure le service. Il doit opérer beaucoup de hernies chez des personnes qui font un travail lourd, « des orpailleurs et des pêcheurs, mais également des femmes qui portent un gosse sur le dos et de lourdes charges sur la tête ». Il soigne aussi un grand nombre d’énormes abcès « chez des gens qui trimbalent ça parfois depuis des années, alors qu’une simple piqûre pourrait les en guérir ».

Les médecins aiment à trancher. Ils tripatouillent les chairs comme un jardinier une couche à semis. Le docteur Idi n’a rien d’une exception. Pas besoin de l’encourager pour qu’il nous parle boutique. Mais, lorsqu’il s’agit de la guerre, le courage l’abandonne.

Docteur Idi : « J’ai peu d’espoir. Je ne crois pas que les responsables seront arrêtés. Personne n’est au-dessus des lois. Mais ici, ce sont de hautes personnalités, la plupart siègent au gouvernement. Il est difficile de les arrêter et de les condamner. »

Vous voulez dire, les dirigeants des rebelles qui occupent la vice-présidence aujourd’hui ?

Docteur Idi : « Nous savons que les responsables des crimes dans l’Est et dans la province de l’Equateur sont au gouvernement. On a dû négocier avec eux afin de pouvoir retrouver la paix à temps. En ce sens, il va être malaisé de les poursuivre. Autrement, ils reprendront les armes et la guerre recommencera. »

Vous pouvez citer des noms ?

Docteur Idi : « Nous les connaissons. Ce sont les dirigeants de certaines organisations politico-militaires bien précises. Mais, pour des raisons de sécurité, je préfère ne pas les citer nommément. »