refugies by crer Friday, Dec. 03, 2004 at 9:07 PM |
l'europe en guerre contre les réfugiés
”Pakolainen” (mensuel finnois), février 2004
Eurooppa sotajalla pakolaisia vastaan
L’Europe en guerre contre les réfugiés
Texte: Taina Tervonen
Photos: Zabou Carrière
Traduction Taina Tervonen
Le centre d’accueil de Sangatte, en France, a fermé ses portes mais des
milliers de demandeurs d’asile continuent de tenter la traversée de la
Manche. Ils sont de plus en plus nombreux à choisir d’emblée la
clandestinité. L’Europe s’est-elle engagée dans une guerre contre les
réfugiés ?
Du centre de Sangatte, sur la côte française, il ne reste plus qu’une
énorme dalle de béton de deux hectares et demi. Militant de la Ligue
des droits de l’homme, ancien instituteur, Joël Loeilleux organisait
des activités scolaires pour les enfants du centre tous les mercredis.
Devant les vestiges de Sangatte, il secoue la tête :
« 63 000 personnes sont passées par ici. Certains sont morts, des
dizaines ont été blessés. Est-ce que cela ne mériterait pas une petite
trace, une plaque, quelque chose ? »
Les habitants du petit village de Sangatte préfèrent effacer tout
souvenir du centre de la Croix-Rouge, fermé en novembre 2002. Depuis
son ouverture en 1999, la bâtisse, située un peu à l’écart des
habitations, au milieu des champs, était devenue non seulement un enjeu
politique entre la France et l’Angleterre mais aussi la honte de
l’idylle villageoise. Aujourd’hui, on parle de remplacer la dalle de
béton par un terrain de golf.
Un peu plus loin, aux abords de l’entrée d’Eurotunnel, les rouleaux de
barbelés et les avertissements des barrières électrifiées rappellent le
passage de milliers de clandestins. Douze d’entre eux sont décédés sur
le chemin. Dans un coin du petit cimetière de Coquelles, coincé entre
l’autoroute et les rails, sept tombes, dont certains anonymes,
resteront peut-être la seule trace de cet exil vers l’Angleterre.
Une collaboration étroite
La fermeture du centre de Sangatte avait été décidée par le ministre de
l’Intérieur français, Nicolas Sarkozy, qui le qualifiait de « symbole
de l’immigration clandestine ».
La disparition du centre et les négociations qui l’avaient précédée
marquent une nouvelle étape dans la politique d’immigration et d’asile
française, de plus en plus centrée sur le contrôle des flux
migratoires, en collaboration étroite avec l’Angleterre et la Belgique.
Les bases en ont été jetées à la réunion de Zeebrugge en septembre
2002.
Les modalités de la fermeture du centre de Sangatte ont été négociées
entre la France et l’Angleterre : cette dernière accueillait environ
1200 personnes hébergées dans le centre alors que la France accordait
un droit de séjour à 400 autres. En février 2003, les deux pays ont
signé l’accord de Touquet, sur la base duquel des bureaux de contrôles
communs ont été ouvert un an plus tard dans les ports de Calais, de
Dunkerque et de Douvres. L’Angleterre a fourni des équipements de
contrôle dans sept ports français, dans les ports d’Oostende et de
Zeebrugge en Belgique et dans le port de Vlissingen aux Pays-Bas. Des
policiers anglais font des patrouilles avec un scanner mobile le long
de la côte belge et effectuent des contrôles dans les trains Eurostar
en provenance de Paris, de Lille et de Calais. Pendant l’été 2004, les
contrôles seront étendus aux trains en provenance de Bruxelles.
La France et la Belgique ont également signé un accord de coopération
transfrontalière en matière policière et douanière, selon laquelle des
patrouilles communes peuvent désormais être organisées sur les côtes
belges et françaises.
Parallèlelement, la France et l’Angleterre ont durci leur politique
d’asile.
Les exilés sont toujours sur la route
Pourtant, les candidats à l’asile continuent d’échouer sur les côtes
françaises et belges. Les raisons qui poussent à l’exil sont toujours
là : guerres, misère, avenir bouché.
« Si un jour nous voyons moins d’Irakiens sur la route, est-ce que ce
serait vraiment un effet de la politique anglaise ou du travail de la
police ? Ou plus simplement un signe que la situation en Irak s’est
apaisée ? » se demande Dirk Calemyn, chef de la police de navigation de
Zeebrugge. Selon lui, les contrôles accrus et l’action de la police ne
peuvent que déplacer le problème à un autre endroit de la côte.
Depuis toujours, les candidats à l’exil tentent la traversée aussi sur
les côtes belges. Malgré sa politique d’asile de plus en plus
restrictive, l’Angleterre reste une alternative sérieuse pour bon
nombre de migrants qui y ont de la famille ou des amis. Beaucoup
espèrent trouver un emploi, même au noir. Il est plus facile d’être
sans-papiers dans un pays où la carte d’identité n’est pas obligatoire.
En Belgique, le nombre de candidats n’a fait qu’augmenter d’année en
année. En 2003, la police de navigation de Zeebrugge a effectué 4235
interpellations de personnes en situation irrégulière, dont environ 40%
seraient des « doublons », la même personne étant interpellée à deux
reprises. Parmi eux, 300 mineurs non accompagnés, âgés de 10 à 17 ans.
Comme la plupart des personnes interpellées sont originaires de pays
vers lesquelles aucune reconduite n’est mise en œuvre à cause de la
situation instable du pays, comme c’est le cas de l’Afganistan, de
l’Irak ou de l’Iran, elles sont relâchées au bout de quelques heures –
le temps que l’Office des étrangers à Bruxelles vérifient leurs
empreintes dans le fichier Eurodac. Si la personne a laissé ses
empreintes à la frontière de l’Union européenne ou si elle a déposé une
demande d’asile dans un autre pays de l’Union, elle sera renvoyée vers
l’Etat en question, selon les modalités prévues par la convention de
Dublin.
Cachez ces étrangers que je ne saurais voir !
La même procédure est appliquée du côté de la France, à Calais. Le
nombre d’interpellations dans la région a certes diminué de 82 % en
2002, mais elle dépasse encore les 17 000 interpellations par an.
Depuis la fermeture de Sangatte, les contrôles policiers ont été
intensifiés. Depuis la gare jusqu’aux distributions de nourriture
quotidiennes organisées par les associations locales, la police est
toujours dans les parages. Pour les exilés, la situation est intenable.
Plusieurs bâtiments abandonnés ont été rasés par la police au fur et à
mesure que les exilés les investissaient pour s’y réfugier du froid et
de la pluie. Plusieurs d’entre eux nous racontent avoir été déposés par
la police à plusieurs dizaines de kilomètres de Calais. D’autres
parlent de gaz lacrymogènes, d’agressions.
« Il s’agit d’une menace à l’ordre public », se défend le commissaire
Denis Perrin de la police de Calais. Selon lui, la police n’aurait
jamais utilisé la force.
« Depuis la fermeture du centre de Sangatte, tous les regards sont
braqués sur Calais. Pour que le message politique soit crédible, les
étrangers doivent être cachés », fait remarquer Mickaël Dauvergne,
membre du collectif C’Sur qui organise depuis un an des distributions
de nourriture et de vêtements. Tous les jours, entre 50 et 150
personnes s’y présentent. Les visages changent régulièrement. La
plupart des exilés sont de jeunes hommes d’une vingtaine d’années,
originaires d’Irak, d’Afghanistan ou d’Iran. Quelques familles et des
mineurs non accompagnés font la queue à la distribution du soir. Le
voyage leur a coûté, à tous, des milliers, parfois des dizaines de
milliers d’euros. A Calais, ils sont déjà si près du but qu’ils sont
peu nombreux à vouloir abandonner.
Tous les jours, 2600 camions transitent par le port de Calais en
direction de l’Angleterre. Même s’ils sont tous contrôlés par scanner,
par détecteur de gaz carbonique ou de battements de coeur, chaque
véhicule représente une chance pour les exilés, tapis par dizaines dans
l’ombre des bosquets sur les aires de parking et les stations-service
proches du port, dès la tombée de la nuit.
Un traitement plus humain en Belgique
Pour la police, la situation devient frustrante.
« Quand nous trouvons des clandestins dans un camion, cela bloque
plusieurs policiers sur toute la journée : il faut prendre les
empreintes, interroger les personnes interpellées, attendre la réponse
de l’Office des étrangers… Et, pour finir, les personnes sont relâchées
», raconte Baudoin Loobuyck, de la police des autoroutes de Jabekke, en
charge de la section Dunkerque-Oostende.
La police des autoroutes de Jabekke et la police de navigation de
Zeebrugge se sont organisées à leur propre initiative pour que
l’attente soit supportable autant pour les policiers que les personnes
interpellées. Des boissons chaudes sont proposées, le bureau d’aide
sociale et l’hôpital de la région fournissent des sandwichs, et un
médecin est disponible en cas d’urgence. Cette initiative personnelle
de quelques policiers, qui ne reflète nullement la politique générale
de la police belge, a vu le jour en 2000, après le décès de 58 Chinois,
morts par asphyxie pendant le trajet maritime de Zeebrugge à Douvres.
« Quand le réfugié à faim, il peut venir demander à manger à la police
– au lieu de voler dans un magasin. Le migrant clandestin est une
victime, pas un criminel. Pour nous, c’est aussi un informateur
potentiel sur les réseaux de passeurs », explique Dirk Calemyn de la
police de navigation de Zeebrugge.
La créativité des passeurs est inépuisable
La lutte contre les réseaux de trafics d’êtres humains était un des
arguments avancés pour justifier la fermeture du centre de Sangatte.
Mais les passeurs se sont adaptés à la nouvelle donne. Les candidats au
passage circulent en petits groupes de trois-quatre personnes et se
cachent. A Zeebrugge, dans une maison à moitié détruite, trois jeunes
hommes attendent sagement la tombée de la nuit et l’arrivée du passeur
pour tenter leur chance au port.
« Il est impossible de tout contrôler », avoue Wim Bontinck, chef de la
cellule de lutte contre la traite des êtres humains, de la police
judiciaire fédérale belge.
« La créativité des passeurs est sans fin. Ils utilisent désormais des
avions et des bateaux de plaisance. Moins d’interpellations ont lieu
dans les ports, mais le commerce de faux papiers bat son plein. »
Les itinéraires ont également changé. La traversée se fait à partir de
plusieurs petits ports le long des côtes françaises, belges et
néerlandaises, de plus en plus au Nord. Des tentatives auraient
désormais lieu à partir de ports norvégiens desservant des petites
villes anglaises. Kurde d’Irak, Rashid, 25, tente sa chance depuis un
mois, de Calais, du Havre et de Dunkerque. Entre les tentatives, il
descend sur Paris, qui remplit aujourd’hui le rôle de point de repos
que tenait autrefois le centre de Sangatte. Selon Jean-Pierre Alaux,
membre de l’association Gisti et du Collectif de soutien aux exilés du
10ème à Paris, entre 300 et 400 étrangers seraient en permanence en
transit dans la capitale, sur la route vers l’Angleterre ou d’autres
destinations.
Une errance sans fin à travers l’Europe
Si, pour beaucoup, la destination semble claire dès le départ, pour
certains elle se profile au fur et à mesure du voyage. Frustrés et
découragés par l’accueil plutôt frais fait aux demandeurs d’asile en
Europe, les exilés errent d’un pays à un autre, à la recherche d’une
politique plus ouverte. Leur recherche les poussent de plus en plus
vers le Nord : l’Angleterre ou la Scandinavie.
Tout juste la vingtaine, originaire du Kurdistan irakien, Reza serait
volontiers resté en Grèce où il a passé deux ans à travailler. Mais une
fois sa demande d’asile refusée, il est parti de nouveau sur la route,
vers l’Angleterre via Paris. Il ne songe même plus à déposer une
demande d’asile, se sachant alors exposé à une possible reconduite à la
frontière.
Certains décident de rester en France. Commence alors une autre
attente, celle des procédures administratives. Tous les jours, entre
200 et 300 personnes font la queue devant l’antenne de la préfecture de
Paris, chargée de délivrer les formulaires qui permettent de déposer
une demande d’asile. Ils ne sont que 20 à 30 par jour à pouvoir rentrer
dans le bâtiment pour les obtenir.
Une guerre contre les réfugiés
De plus en plus de demandeurs d’asile sont ensuite pris au piège du
fichier européen Eurodac. Les empreintes laissées à la police italienne
ont trahi Nasir, jeune Iranien de 23 ans. Une fois arrivé en
Angleterre, voulant déposer sa demande d’asile, il est envoyé en prison
pendant six mois, puis reconduit en Italie. Il décide de venir en
France, histoire de tenter sa chance. De toute façon, il se sait
désormais condamné à la clandestinité.
Tout comme Reza, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas faire de
demande d’asile, par peur de reconduite à la frontière ou de renvoi
vers un autre pays européen. Ils choisissent d’emblée la clandestinité.
La situation ne devrait pas s’arranger avec l’adoption d’une politique
d’asile commune à l’Union européenne. Les enjeux qui se jouent des deux
côtés de la Manche donnent un aperçu de ce qui se passe aux frontières
extérieures de l’Union.
Jean-Pierre Alaux du Gisti est pessimiste :
« L’Europe est en train de construire un glacis autour d’elle.
Aujourd’hui, tout accord de coopération économique signé avec des pays
tiers suppose toujours la signature d’un accord de réadmission des
migrants illégaux. L’Union européenne est en train de payer des pays
tiers pour faire la police à sa place. Et dans un pays moins
démocratique que ceux de l’Union, la police tire sur le clandestin.
Nous avons déclaré la guerre contre les migrants. »
Les noms des migrants ont été changés. L’article est basé sur un
reportage effectué à Paris, à Calais et sur la côte belge en décembre
2003 et en janvier-février 2004.
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