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"Looking for Fidel": introduction au film de Oliver Stone
by Bruno Bové Tuesday, Nov. 16, 2004 at 2:02 PM

Journée Che Presente! 2004 (30/10), organiseé par INTAL et ICS: Introduction au film LOOKING FOR FIDEL: Oliver Stone, USA 2003 - 57'

Bonjour, pour la suite de "Comandante". Signalons pour ceux qui ont raté "Comandante" qu'ils peuvent toujours aller le voir au Festival Cinémas d'Espagne et d'Amérique Latine de BXL, qui a lieu du 4 au 23 novembre. Un festival qui présente cette année aussi 2 nouveaux films cubains, "Perfecto Amor Equivocado" et "Suite Habana" (ainsi qu'une coproduction avec le Pérou, "Paloma de Papel". Consultez http://www.intercommunication.be Mais le film "Looking for Fidel", il n'y a pour le moment qu'ici que vous pouvez le voir.

Comme pas mal de gens n'ont pas asssisté à la séance précédente, je vais en partie me répéter. Il s'agit à nouveau d'Oliver Stone et de Fidel Castro. Pour-tant, "Comandante" a été un projet espagnol commandé à Oliver Stone, tandis que "Looking for Fidel" est une commande américaine. Je m'explique. En février 2002, Stone a pendant 3 journées interviewé et filmé Fidel Castro pour la maison de production espagnole Mediapro, qui veut montrer "Comandante" à la télévision espagnole. Vu le résultat, le reste du monde s'y intéresse. En janvier 2003 a lieu la première au Sundance Festival aux USA, en février 2003 suit le festival de Berlin. Aux USA la chaîne de télévision payante HBO signe un accord pour la diffusion de "Comandante" sur sa chaîne en mai 2003. Mais un mois avant, en avril 2003, surgit l'affaire des ravisseurs du ferry à la Havane, plusieurs rapts d'avions ont lieu, tandis que d'autres personnes sont arrêtées, vite quali-fiées de "dissidents" par la presse étrangère. Sur quoi HBO annule son émission de "Comandante" - ils interdisent même sa diffusion sur DVD! Ce n'est pas tout: arguant que "Coman-dante" n'est plus complet ils exigent de Stone qu'il retourne à Cuba pour interroger Castro sur les événements récents. Stone est furieux, il dénonce cette "intolérable censure" et parle de placer le film gratuitement sur l'internet. Mais il a des obligations contractuelles; il retourne donc à Cuba mais, au lieu de refaire "Coman-dante", ce qui déplaît à Castro, il ramène un nouveau film, intitulé "Looking for Fidel". Mais HBO a non seulement exigé des explications de la part de Castro sur les dissi-dents, il faut aussi que Stone rencontre et filme des porte-paroles de la dite opposition! Stone a dit que cela a été le plus difficile à obtenir de Castro, mais cela a finale-ment été fait. De son côté, Fidel a également fait une proposition et c'est ainsi que dans "Looking for Fidel" a éte inclus une scène assez incroyable, dont je vous laisse la surprise. Je me bornerai à dire qu'on y retrouve dans un même local quelques ravisseurs d'avions arrêtés, leurs avocats, Oliver Stone et son équipe, et aussi Fidel Castro!

Vous aurez compris qu'avec "Looking for Fidel" vous devez vous attendre à un film qui est, plus ou moins, un compromis. Oliver Stone continue à dire qu'il veut dédiaboliser Castro: "Dans mon pays, ça prend des allures absurdes. On ferait mieux de l'écouter, car c'est un homme tout à fait raisonnable". En même temps, vu les exigences de HBO, ce n'est dans ce film plus le ton joyeux comme dans "Comandante" et au lieu de la relation entre un metteur-en-scène et son acteur, Stone se voit cette fois-ci obligé à jouer le rôle d'un journaliste, sinon celui d'avo-cat du diable qui lache l'une question après l'autre censée être pénible sur Fidel. Le film est assez chaotique et je crois que c'est dû à la pression, les questions et thèmes imposées par d'autres. Le même montage, qui savait si bien escamoter l'interprète, ou parfois l'intégrer à merveille dans "Comandante", n'y réussit cette fois plus. Mais Stone n'a pas non plus tourné sa veste: il continue à donner la parole à Fidel.

"Looking for Fidel" a entretemps été montré à la télévision américaine, mais "Comandante" ne l'est toujours pas. Au regret de Stone: "Si les américains avaient eu l'occasion de voir "Comandante", où il ne doit pas constamment se défendre comme dans "Looking for Fidel", ils auraient vu un côté beaucoup plus humain de l'homme. C'est l'attitude plus agressive de "Looking for Fidel" qui fait qu'il a été montré aux USA".

Pour terminer: récemment, en septembre 2004, "Looking for Fidel" a été lancé lors du Festival de San Sebastián, en Espagne. Lors de sa conférence de presse, les journalistes ont demandé Oliver Stone ce qu'il avait finalement appris sur Cuba et Castro après ses 2 documentaires. Stone: "J'ai plus appris sur l'homme que sur le pays. Mais à Cuba j'ai tout de même observé une ouverture d'esprit et une liberté qu'on ne trouve pas ailleurs dans la région. J'avais déjà rencontré plusieurs leaders politiques au Panama, le Salvador et le Nicaragua, mais je n'y ai jamais vu une telle affection spontanée des gens dans la rue pour leur leader. Il se peut que nos visites aux hôpitaux étaient annoncées mais, croyez-moi, je connais les acteurs et je sais quand des gens jouent un rôle ou quand ils sont eux-mêmes. Quand j'étais soldat au Viêt-nam, je ne connaissais pas le rôle des USA dans le monde. Il m'a fallu des années pour me réveiller et comprendre que mon pays est un gigantesque prédateur. Maintenant ils disent qu'ils combattent le terrorisme, mais ce sont eux qui le financent". A propos des dissidents: "Je me demande: quels sont les droits des opposants politiques au Guatemala ou au Salvador, où on vous coupe la langue? Il faut voir les choses du point de vue de Fidel Castro. Que se passerait-il si Cuba s'ouvre? Le lendemain, la CIA serait là en publiant des journaux et contrôlant des chaînes de télévision, corrompant tout le monde avec leurs dollars et essayant de se débarasser de Castro avec les mêmes techniques crues qu'ils utilisent en Amérique Centrale, en Afghanistan ou dans le Golfe Persique. C'est comme le dit Fidel dans le film: Washington n'accepte que la soumission inconditionnelle".

Marc Vandepitte:

Le montage de "Looking for Fidel" est très défectueux. Néan-moins c'est un film très intéressant parce qu'il aborde tous les points d'interrogation, qui vivent parmi nous à propos des événements d'avril 2003 et qui, comme vous le savez, ont donné lieu à des pétitions d'intellectuels s'opposant aux mesures cubaines. Il faut comprendre dans quel contexte ces mesures ont été prises. Bien que les milieux de Miami sont depuis toujours pour une invasion militaire de Cuba, ils ne le disent plus trop haut. Car ils se rallient aux USA, qui utilisent une double stratégie pour déstabiliser Cuba: 1. provoquer des crises de migration 2. construire une opposition interne. "Looking for Fidel" montre qu'en avril 2003 ces deux stratégies se rejoignaient. Depuis 1966 tout citoyen cubain est le bien-venu à Cuba, pourvu qu'il quitte son pays illégalement. L'opposition interne, c'est du neuf. Mais elle est minuscule et très divisée. Le job de James Cason, l'at-taché à l'ambassade américaine officieuse de La Havane, était de soutenir et surtout de rassembler cette opposition. A coup de dollars, et dans le film tombent notamment les noms d' USAID, l'"ONG" officielle des Etats-Unis, et de la NDE, National Endowment for Democracy, qui se consacre à la promotion de la démocratie et à la protection des droits de l'homme dans le monde. En fait deux organismes dirigés par la CIA. En avril la tension atteint son apogée. Suite à une vague de rapts de bateaux et d'avions le gouvernement américain estime que la "sécurité nationale" des USA est menacée et il décrète qu'à la prochaine séquestration suivra un blocus militaire contre Cuba. Cuba devance ces menaces en arrêtant les au-teurs de rapts. Dans la foulée, Cuba arrête aussi 75 person-nes fréquentant ouvertement James Cason, qui avait d'ailleurs été déjà averti par les autorités cubaines que ses activités ne seraient plus tolérées. La stratégie américaine s'écroule. Provisoirement.

Bruno Bové