Introduction "Comandante" by Bruno Bové Wednesday, Nov. 03, 2004 at 3:22 PM |
Journée Che Presente! 2004 (30/10), organisée par INTAL et ICS: introduction par Bruno Bové du film "Comandante" d'Oliver Stone
Journée Che Presente! 2004 (30/10), organiseé par INTAL et ICS :
Introduction du film
COMANDANTE: Oliver Stone, Espagne 2002 - 99'
"Salvador", "Platoon", "Born on the 4th of July", "JFK", "The Doors, "Nixon", etc., qui d'entre nous n'a pas vu au moins un de ces films? Mais comment un cinéaste américain de tels films en arrive à faire un documentaire où il ne fait qu'interviewer Fidel Castro? Oliver Stone: "En 1999, après "Any Given Sunday", j'étais épuisé et la proposition d'un producteur espagnol de faire une interview de Castro me paraissait une opportunité heureuse. Car faire des films aux USA est devenu si lourd, si cher et si artificiel. Je n'étais pas spécialement intéressé en un film sur Cuba, mais je pouvais tâter à la liberté de la caméra digitale et "Comandante" est ainsi devenu mon premier documentaire".
Ceci n'explique pas encore vraiment pourquoi quelqu'un comme Oliver Stone accepte une telle offre. Certes, Stone n'est pas le seul cinéaste américain ayant de la sympathie pour Cuba et Castro. Coppola p.ex., qui aurait songé quelque temps à tourner son "Apocalypse Now" (1979) à Cuba, avait en 1975, dans "The Godfather 2", déjà inclus une épisode sur la fin de Batista où il témoignait du caractère désintéressé de la lutte des guérilléros castristes, tandis qu'il y a encore quelques années Coppola a enseigné le cinéma à l'EICTV, l'école internationale de cinéma près de La Havane. "Diarios de Motocicleta", le film sur les carnets de voyage d'Ernesto Guevara avant qu'il ne devienne le Che que vous pouvez actuellement voir un peu partout dans nos salles, est un film brésilien, de Walter Salles, mais il a été produit par l'américain Robert Redford. Oui, même Steven Spielberg a bravé il y a quelques années le blocus contre Cuba en rendant visite à l'île. Mais vous en conviendrez que tout cela est encore fort éloigné du fait de consacrer un film entier et amical à Castro! Certains ont dit que, vu le ton critique de beaucoup de films de Stone à propos de la politique étrangère des Etats-Unis, il devait tôt ou tard déboucher sur Cuba et Castro, mais c'est aller un peu vite et d'ailleurs Stone a récemment également fait un film sur et avec Yasser Arafat. Ce qui par contre a été déterminant, c'est que Stone avait déjà rencontré Castro, lors des préparatifs pour son film "Salvador" (1986) et peut-être aussi à la suite de sa sortie. A cette époque déjà, Castro avait non seulement impressionné Stone, mais l'avait également laissé quelque peu admiratif.
Revenons-en à "Comandante". Stone remet un projet de 4 pages aux autorités cubaines et finalement Castro est d'accord, à condition qu'il ait le droit d'interrompre le tournage à n'importe quel moment. Ce qui ne s'est jamais produit. Au contraire, durant 3 journées Stone a pu suivre et interroger Castro à sa guise: au total, plus de 30 heures d'images et paroles enregistrées. Stone a dit ne pas pouvoir s'imaginer interroger de cette façon un autre chef d'Etat et certainement pas Bush! Stone: "J'ai vu Bush dans un documentaire où il était longuement interviewé par une jeune femme. Il blaguait constamment, mais jamais il ne l'a confrontait. Il n'y a pas de dialogue avec cet homme. "A synthetic person", une espèce de robot, qui ne vous regarde jamais dans les yeux. Un ancien alcoolique, qui s'est converti à Jésus: il n'y a pas plus dangereux! Fidel, c'est tout à fait autre chose, c'est une personne de chair et de sang, une personne humaine. Qui te regarde droit dans les yeux". Stone a aussi dit que Fidel c'est ouvert à lui, parce qu'il l'a traité d'égal en égal: "J'ai établi une relation d'un metteur en scène à un acteur: moi, j'étais Fellini, et lui, Fidel, était Marcello Mastroianni"!
Certes, d'égal en égal en tant que personnes humaines, mais Oliver Stone n'est tout de même pas non plus le révolutionnaire comme l'est Fidel Castro. Lors du lancement de "Comandante" Stone dit ceci: "Je ne suis pas un socialiste et je crois en une économie de marché corrigée. J'aurais pu discuter du socialisme à Cuba avec Fidel, mais cela n'aurait pas été un document intéressant". Au lieu de cela, Stone aborde dans "Comandante" littéralement des dizaines de sujets comme la crise des missiles en 1962, l'assassinat de Kennedy, la mort de Che Guevara, etc., etc. Il n'y a pas de véritables "révélations" dans ce film, sauf, peut-être, dans des sujets plus anodins et personnels. Mais c'est un beau survol de plus de 40 ans de la révolution et de Cuba luttant pour maintenir son indépendance.
Pour terminer, un mot sur l'histoire de ce film. A l'origine, il est financé par la maison espagnole Mediapro et il n'est destiné qu'à être montré à la télévision espagnole. "Comandante" est tourné en février 2002, durant 3 jounées donc. Vu le résultat intéressant et impressionnant obtenu par Stone, on tente la distribution ailleurs dans le monde. En janvier 2003, "Comandante" connaît aux USA sa première lors du Sundance Festival (de Robert Redford), en février suit le Festival de Berlin. La première aux USA est immédiatement suivie d'une contrecampagne des milieux anticastristes à Miami. Ce qui n'empêche pas la chaîne de télévision nord-américaine HBO de signer un accord prévoyant la diffusion de "Comandante" à la télé en mai 2003. Mais, un mois avant sa diffusion, en avril 2003 (en plein début également de la guerre de l'Irak!), survient à Cuba une vague de séquestrations d'avions (et le détournement du bac traversant la baie de La Havane), tandis que son arrêtées La Havane 75 personnes que la presse étrangère qualifie vite de "dissidents". Du coup, HBO annule la diffusion de "Comandante". HBO est une chaîne de télévision payante, la plus importante aux USA dit-on, et elle a notamment la réputation ne pas craindre aller à l'encontre des sensibilités de diverses commu-nautés aux USA. Mais HBO déclare que le documentaire "Coman-dante" est désormais "incomplet". HBO interdit aussi la dis-tribution sur DVD et ils exigent de Stone qu'il retourne à Cuba pour compléter "Comandante". Ce n'est pas tout: Stone est non seulement sommé d'interroger Castro sur les événements d'avril, il doit aussi donner la parole à des opposants et autres "dissidents" et intégrer le tout dans "Comandante", ce qui en revient à refaire son film. Stone est furieux et dénonce cette "censure aux propor-tions intolérables". En outre, Stone précisera qu'ailleurs dans le monde la diffusion de "Comandante" ne va pas non plus sans problèmes. Ainsi, Stone a également durement critiqué ses producteurs espagnols. Car eux aussi, du moins durant quelque temps, ne veulent pas distribuer le film sur DVD, parce que selon lui ils espèrent ainsi obtenir plus de royalties. Tandis que pour Stone "Comandante" a été fait dans un but éducatif, pas pour gagner de l'argent, et Stone songe tout haut à placer le film gratuitement sur l'internet ...
Stone, qui a des obligations contractuelles, retourne à Cuba et il interroge effectivement Fidel sur l'affaire des dissi-dents et quelques porte-paroles de l'opposition interne. Et également des ravisseurs d'un avion, ainsi que des membres de leur famille! Mais au lieu de refaire "Comandante" il revient avec un nouveau documentaire, intitulé "Looking for Fidel". Le "Comandante", que vous verrez, n'a donc pas changé d'un poil. Tandis qu'en Espagne "Comandante" est entretemps sorti sur DVD et qu'en septembre 2004 "Looking for Fidel" y a été lancé lors du festival de San Sebastian, il y a dans l'immédiat peu de chances que cela se produise aux USA. Où "Looking for Fidel" a bien été montré, mais où "Coman-dante" ne l'est toujours pas!
Signalons aussi que "Comandante" sera à l'affiche lors du 12e Festival Cinémas d'Espagne et d'Amérique Latine de Bruxelles, qui ouvre le jeudi prochain du 4/11. Le lendemain, le 5/11 et à Flagey, "Comandante" pourra être vu à 17h45 et le 9/11 à 21h45; puis le 17/11 à 19h30, mais au Vendôme. Parmi les dizaines de films projetés lors du festival, dont l'inévitable "Diarios de Motocicleta", il y aura également 2 films cubains nouveaux, "Perfecto Amor Equivocado" et "Suite Habana" (ainsi qu'une coproduction Pérou/Cuba, "Paloma de Papel"). "Suite Habana" est un documentaire, qui conte une journée dans la vie de 10 havanais, mais sans dialogues ni narration et ce serait le film cubain le plus important depuis "Fresa y Chocolate". Nous sommes curieux!
Info: voir http://www.intercommunication.be
Par contre, il n'y a pour le moment qu'ici que vous pourrez également voir "Looking for Fidel".
Bruno Bové