De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à NPNS by féminismeanticolonial Sunday, Oct. 17, 2004 at 9:50 PM |
Eurocentrisme, autoritarisme, suprématie blanche apologie coloniale, paternalisme et appropriation des luttes: l'autre visage de la gauche française. Quelques textes d'analyse.
De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni
Putes Ni Soumises :
l’instrumentalisation coloniale et néo-coloniale de la
cause des femmes
par Houria Bouteldja
mercredi 13 octobre 2004
1. Le dévoilement, une violence coloniale
13 mai 58 à Alger, place du Gouvernement : des
musulmanes montées sur un podium pour brûler leur
voile. L’enjeu de cette mise en scène est de taille :
il faut pour les autorités coloniales que les femmes
algériennes se désolidarisent du combat des leurs.
Leur exposition sert de langage : celui d’une
puissance coloniale qui oeuvre pour gagner les femmes
à l’émancipation et à la pérennité de la "civilisation
française". Réaction épidermique de la société
algérienne : maintenir - et c’est vital - les femmes
hors de l’invasion coloniale pour préserver l’être
algérien. "Certaines, décrit Franz Fanon, dévoilées
depuis longtemps reprennent le voile affirmant ainsi
qu’il n’est pas vrai que la femme se libère sur
l’invitation de la France et du Général de Gaulle".
Aujourd’hui, 40 ans après l’indépendance, les méthodes
ont changé dans la forme, mais pas dans le fond, car
l’esprit colonial, toujours vivace, continue
d’imprimer l’inconscient français. Duplice, il invoque
constamment les grands principes qui fondent la
République, mais préside à toutes les entreprises
politiques qui disqualifient les fils et filles
d’indigènes et valorisent un républicanisme
franco-français prétendument universaliste. Ainsi, le
corps des musulmanes, écartelé au nom des nobles
principes de la République, s’est peu à peu défiguré,
perverti en banal objet médiatique, figure repoussoir
d’une idéologie franco-centrée décidément incapable de
penser l’altérité et de penser sa responsabilité dans
ce qui fait l’autre et son identité contrariée.
2. Ni putes ni soumises : association féministe ou
appareil idéologique d’État ?
C’est d’ailleurs ce racisme post-colonial qui permet
de comprendre l’omniprésence, dans le discours des
dirigeants de Ni Putes Ni Soumises sur le voile, et
plus largement sur les méfaits de la "culture de
cité", du thème du "rappel" des règles ou de la
"ré-affirmation" des principes. En effet, comme l’a
remarqué Pierre Tévanian, il est à première vue
paradoxal, si l’on reste sur le strict terrain de la
laïcité, qu’une loi nouvelle, marquant une rupture
avec les textes de loi fondateurs de la laïcité (en
introduisant un devoir de laïcité de la part des
élèves), ait pu être considérée comme un "rappel" ou
un "retour" aux sources :
"La question ne peut être éludée : si les textes
fondateurs des années 1880 et 1905 ne justifient pas
l’interdiction du port de signes religieux par les
élèves, qu’est-ce donc qui devait être "retrouvé",
"réaffirmé" ou "rappelé" ? L’une des réponses
possibles est la suivante : ce qui, des années
1880-1905, devait être "réaffirmé", c’est un certain
ordre symbolique qu’on peut qualifier de colonial,
dans lequel certaines populations, considérées comme
sous-humanisées du fait de leur référence musulmane,
sont vouées au statut de serviteurs dociles et
invisibles ou à celui de "cible" et de "bouc
émissaire". Un ordre symbolique dans lequel, de toute
façon, les personnes de couleur ou identifiables comme
"musulmanes" sont réduites au rang d’instrument au
service de l’homme pleinement homme, autrement dit au
statut d’objet parlé, étudié, commenté (et le plus
souvent diffamé et insulté), et non de sujet parlant.
On peut, si l’on garde à l’esprit ce passé colonial
qui n’est pas passé, comprendre l’intensité des
grandes campagnes médiatiques et politiques qui ont
été menées ces derniers mois sur le thème de la
"restauration" de "la République" : la campagne
centrée sur le voile, mais aussi celles menées sur le
thème du sexisme et de l’antisémitisme en banlieue.
Tout se passe comme si, au tournant du siècle, les
classes dirigeantes (quel que soit le pôle : PS ou
UMP) avaient été prises de panique devant la mise en
crise de cet ordre symbolique colonial, et devant
l’émergence de diverses manifestations identitaires,
religieuses, culturelles, sociales et politiques dont
le point commun était la rupture avec le devoir de
"réserve" et d’"humilité" imposée aux descendants de
colonisés. Parmi ces faits sociaux qui ont
littéralement semé la panique, figurent la visibilité
grandissante de la pratique de l’islam, mais aussi les
mobilisations contre la guerre en Irak ou contre la
politique israélienne, mais aussi la popularité
croissante qu’ont pris des combats politiques initiés
par les immigrés eux-mêmes, ou par leurs enfants,
notamment les combats contre la double peine, le
combat pour le droit de vote des étrangers, et la
lutte des sans-papiers. Il faut également mentionner
la réouverture du "dossier" colonial, notamment en
2001, année marquée par un long débat sur la torture
et par une importante manifestation commémorant le
crime d’octobre 1961."(1)
C’est dans ce contexte qu’apparaissent, les Ô combien
opportunes "Ni Putes Ni Soumises". Si l’on se souvient
de la véhémence des réactions de l’UMP parisienne,
mais aussi du courant chevènementiste, face à ce début
de retour critique sur la période coloniale, on
comprend mieux le rôle qu’a joué ce " mouvement "
courant 2002 : celui d’un appareil idéologique au
service d’une classe dirigeante prise de panique face
à une remise en question grandissante de la légitimité
de l’État (notamment du fait de la montée d’une
abstention massive), et face à l’émergence d’une
génération de "jeunes issus de la colonisation"
affichant sans complexe leurs revendications et
demandant de nouveau des comptes à la République. Les
Ni Putes Ni Soumises ont aidé cette classe dirigeante
à s’emparer du voile islamique, mais aussi de la
question du sexisme et de celle de l’antisémitisme,
afin de littéralement remettre à leur place ces
"jeunes " trop " arrogants " : à la place des accusés
et non plus des accusateurs, à la place des objets de
discours et non plus des sujets parlants. Ce "rappel à
l’ordre colonial" constitue une espèce de revanche
historique, un "on vous l’avait bien dit !", une
"reconquête" de ces arabes "injustement" émancipés de
la France.
3. Le retour de "l’Arabe" voleur, violeur et voileur
Souvenons-nous des images rapportées par des équipes
de télévision parties en expédition "visiter" les
"territoires perdus de la République" après la mort de
Sohane et les premières affaires de viols collectifs :
de jeunes hommes (d’origine maghrébine ou d’Afrique
noire) laissant transparaître une hétérosexualité
violente, une nature agressive et bestiale contre
lesquelles des femmes, mi héroïnes, mi victimes vont
se dresser telles des amazones de cités : les ni Putes
ni Soumises. Leur credo : la lutte contre le sexisme
des banlieues et le "fascisme vert". Ces combats,
convenons-en, sont plus que légitimes (si tant est que
l’on évalue à sa juste mesure l’influence dudit
fascisme, et qu’on dise clairement quels groupes
peuvent être ainsi qualifiés, et sur la base de quels
critères). Ce qui dérange en revanche, c’est
l’essentialisme de leur discours. Les extrapolations
qu’il permet ne sont pas sans rappeler les
constructions idéologiques du début du 20ème siècle
qui décrivaient l’indigène comme une bête, esclave des
ses sens, déjà violeur, voleur et bientôt (avec la
guerre d’indépendance algérienne) voileurs de femmes.
C’est la qu’intervient le "génie" politique de cette
machine à broyer les luttes sociales des quartiers
qu’est SOS racisme : mettre dans la bouche même de
femmes issues de cette immigration post-coloniale,
promues auxiliaires des classes dirigeantes comme le
furent jadis les bachagas, les paroles racisantes, les
mises à l’index péremptoires et les propos
islamophobes que le politiquement correct en vigueur
chez les élites ne saurait souffrir ou assumer
pleinement. Faites entrer l’accusé ! c’est le père, le
frère, le compagnon bientôt le fils. Cette image
pourrait prêter à sourire s’il elle ne suscitait chez
nous, filles et fils de migrants post-coloniaux, une
profonde amertume. Elle n’est, en effet, que le
nouveau chapitre d’une longue série de manœuvres
politiques et idéologiques visant à disqualifier les
colonisés et leurs descendants immigrés ou "issus de
l’immigration", pour la seule gloire d’une France
décidément incapable de renoncer aux privilèges de la
domination.
En effet, l’ordre colonial en Algérie s’appuyait sur
un système législatif rigoureux visant à l’émiettement
progressif du peuple algérien. La stratégie du
"diviser pour mieux régner" passait par la mise en
concurrence des différentes composantes de la société.
Ainsi, dès 1871, par le décret Crémieux, les
autochtones juifs se voyaient accorder le droit à la
pleine citoyenneté, ce qui eut comme effet immédiat,
par les privilèges afférents, de les couper du corps
social majoritaire et d’activer les tensions
communautaires, quasi-inexistantes jusque là. Ce
funeste épisode, prélude à une douloureuse amputation
identitaire, non seulement privera l’Algérie de la
quasi-totalité de sa composante juive, mais trouvera
dans le conflit israélo-palestinien un exutoire.
Ironie de l’histoire : c’est sur le sol français, lieu
du "pêché originel" qu’est l’entreprise coloniale, que
les communautés juives et musulmanes soldent les
comptes d’une histoire enfouie mais toujours au bord
de l’explosion. De la même façon fut construit le
mythe kabyle, groupe ethnique ontologiquement
supérieur aux arabes car proche de "l’Occident
chrétien", blond aux yeux bleus, etc. Dans le cadre de
cette même stratégie, la machine coloniale conçut ses
supplétifs au sein même du corps social. Ceux que l’on
appellera Harkis feront ainsi le sacrifice de leur
âme, plus sûrement victimes de rapports de force dans
le cadre de la guerre coloniale que pleinement
consentants. Enfin, et sans doute trop tard pour en
bénéficier pleinement la machine de propagande,
comprit le bénéfice qu’elle pouvait tirer d’une
campagne de libération de la gente féminine :
atteindre le cœur même de la résistance algérienne en
proposant comme ennemis aux femmes musulmanes, épines
dorsales de la résistance, leurs propres maris, pères
ou frères afin de les détourner de l’oppression
coloniale. Cette entreprise de division du corps
social est toujours en oeuvre dans la France de 2004.
La société post-coloniale vivant en France en est à la
fois victime et témoin car c’est en son sein que se
situe le véritable ennemi. Ce sont les Ni Putes Ni
Soumises qui l’affirment. La messe est dite !
4. Un " féminisme du dominé "
Les NPNS ? un ersatz de féminisme excluant et les
putes et les soumises (entendez : les voilées),
valorisant ce faisant une féminité conforme aux normes
dominantes et confortant les politiques de
discrimination "républicaines" à l’endroit de ces deux
catégories hérétiques de femmes (2). En d’autres
termes, un féminisme bon marché, taillé pour les
femmes de quartiers. Ce qui le caractérise ? d’une
part, l’essentialisme sexuel et la mollesse de ses
positions philosophiques. Car les femmes de quartiers
populaires, encastrées dans une « inoxydable féminité
" (3), ne revendiquent que des droits minimaux,
caractéristiques d’une citoyenneté au rabais :
l’intégrité physique, le choix des tenues
vestimentaires (ou plus exactement le droit de faire
"le bon choix", celui de la jupe courte, car le choix
de porter le voile sans être insultée ou déscolarisée
ne fait pas partie de l’agenda des Ni putes ni
soumises), et enfin la pacification des relations avec
l’autre sexe. Tiens ! en parlant de sous-citoyenneté,
Chirac n’avait-il pas dit à propos du peuple tunisien
(ex-peuple colonisé) que "le premier des droits de
l’Homme, c’est de manger, d’être soigné, de recevoir
une éducation et d’avoir un habitat" ? et d’autre
part, l’omerta (mot que Fadéla Amara affectionne)
faite sur l’ensemble des violences sexistes qui
traversent toutes les couches sociales de notre
société et mises en évidence par l’excellent rapport
sur les violences sexistes, « Liberté, égalité,
sexualités » (4), exemptant ainsi le sexisme des «
autochtones » de toute auto-critique et validant
l’idée d’un sexisme exogène et importé par
l’immigration musulmane.
Epilogue...
Le 7 février 2004, Fadéla Amara, présidente des Ni
Putes Ni Soumises, et en lice avec Pierre Rosanvallon,
Jean-Claude Guillebaud et Claude Nicolet (5), recevait
des mains de Jean-Louis Debré, l’homme des coups de
hache contre l’Église Saint Bernard et du durcissement
des lois Pasqua sur le séjour des étrangers, le prix
du Livre Politique de l’année.
Le week-end dernier, c’était au tour de Valérie
Toranian (directrice de rédaction du magazine « Elle
», Corinne Lepage (ancienne ministre et laïcarde
acharnée), Bernard Stasi (ancien ministre et principal
promoteur de la loi sur les signes religieux), Laure
Adler (directrice de France Culture) et enfin
Dominique de Villepin (ministre de l’intérieur) de lui
régler son pourboire en lui rendant hommage pour bons
et loyaux services.
Notes :
(1) P. Tévanian, " De la laïcité égalitaire à la
laïcité sécuritaire. Le milieu scolaire à l’épreuve du
foulard islamique ", in L. Bonelli, G. Sainati, La
machine à punir. Discours et pratiques sécuritaires,
L’esprit frappeur, 2004
(2) Lois Sarkozy qui criminalisent les prostituées et
loi interdisant les signes religieux à l’école alors
même que femmes voilées et prostituées sont reconnues
victimes de leur situation respective.
(3) N. Guénif, « Ni putes, ni soumises, ou très pute,
très voilée ? », Cosmopolitiques n°4 juillet 2003.
(4) Eric Fassin, Clarisse Fabre, Belfont 2003.
(5) Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de
Fance, Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste
et fondateurs de "Reporters sans frontières", Claude
Nicolet, historien des institutions et des idées
politiques.
Houria Bouteldja
Collectif féministe « les Blédardes »
Quelques autres textes de membres du collectif en
ligne:
http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=228
12 mars 2004
"Et toi, pourquoi tu ne le portes pas, le foulard ? ",
par Djamila Bechoua
Une Blédarde en colère
Djamila Bechoua, membre du collectif Les Blédardes,
revient sur la manifestation du samedi 6 mars pour les
droits des femmes, et sur les injures qu’ont adressées
de nombreu-se-s manifestant-e-s au cortège "Une école
pour tou-te-s", coupable à leurs yeux de s’opposer à
l’interdiction du voile à l’école, et pire encore,
d’accepter en son sein des femmes voilées.
" - Et toi, pourquoi tu ne le portes pas, le foulard ?
Si ça continue, je vais pas tarder à le faire ! "
Voilà ce que j’ai répondu à cette femme d’une
quarantaine d’années qui m’interpellait alors que le
cortège " Une école pour tou-t-es " arrivait place de
la Nation. Depuis République, les insultes fusaient
sur notre passage : " Salopes ! ", " Rentrez chez-vous
si vous n’êtes pas contentes ! ", " Retournes en
Arabie ", " Intégristes ! "... La copine qui portait
la pancarte " très putes, très voilées ", pied-de-nez
aux " Ni putes, ni soumises ", et témoignage de
solidarité avec les prostituées contre les lois
Sarkozy et avec les filles voilées contre la " loi
Stasi ", fut félicitée en ces termes par une jeune
femme : " j’adore votre pancarte ! Vous avez raison :
en réalité, les filles voilées sont toutes des putes !
" La subtilité du message n’avait pas été comprise, et
l’interprétation laissait entendre la vulgarité,
l’insulte et la haine.
C’est un fait : dans les regards et les mots qui nous
ont atteints, c’est bien la haine, le mépris et la
xénophobie qui se sont exprimés sans , suscités par la
vue de femmes voilées venues battre le pavé parisien
en cette journée internationale du droit des femmes.
Mais essayons de comprendre pourquoi cette femme m’a
-t-elle demandé de me justifier ? Comment moi,
descendante d’immigrants algériens, non voilée, qui
dans les apparences possède les attributs de ce qu’il
est convenu d’appeler la " beurette émancipée ",
puis-je défiler aux côtés des femmes qui portent le
foulard ? Une telle question est le résultat du
semblant de débat qui a occupé l’espace médiatique
depuis près de deux ans : l’enfermement de toutes les
femmes issues de l’immigration post-coloniale dans une
vision manichéenne entre la figure des " Ni putes ni
soumises ", incarnation de " l’émancipation féminine
branchée ", et la figure de la femme voilée, symbole
de la soumission et de l’oppression.
Ma place était donc dans le cortège des " Ni putes, ni
soumises " ? Sans hésiter, je réponds non.
L’explication de ce " Non " pourrait en soi faire
l’objet d’un long texte. Disons simplement que la "
mise sous tutelle " des " Ni putes ni soumises " me
pose problème. Ces personnalités du monde politique et
du show-biz s’affichant en parrains et marraines
bienveillants volant au secours des femmes des
quartiers ne donnent à voir que paternalisme et "
maternalisme ". Comme si les femmes des " quartiers "
n’étaient pas capables de se frayer leur propre chemin
vers l’émancipation. Nombreuses sont celles qui n’ont
attendu ni les " Ni putes ni soumises " ni leurs
parrains pour le faire.
Les " Ni putes ni soumises " ont ainsi servi de
caution à ce discours largement médiatisé qui promeut
un modèle dominant d’émancipation, dit " occidental ",
qui fait appel à des notions aussi abstraites et
mythifiées que la " laïcité " ou " la République ", et
qui, dans le contexte actuel, ne signifie qu’une seule
chose : la négation de toute expression sociale,
politique, culturelle ou identitaire ne relevant pas
des valeurs dites " occidentales " et ne faisant pas
allégeance à l’État.
Les " Ni putes ni soumises " ont très largement
contribué à l’acharnement médiatique et aux attaques
systématiques que subissent les populations des "
quartiers ", en particulier les hommes, mais aussi les
femmes qui portent le foulard, si bien qu’aux formules
comme " zones de non droit " et " territoires perdus
de la République ", usuelles pour désigner ces
quartiers, il convient désormais d’ajouter la
qualification de " sexiste ", " machiste " et "
fasciste vert ".
Celles et ceux qui nous ont craché leur venin à la
figure ne sont pas, détrompez-vous, des militants
d’extrême droite, mais bel et bien des femmes et des
hommes participant à la Marche pour le droit des
femmes, et se réclamant de la gauche et du féminisme.
À ces " progressistes " et ces " féministes ", je dis
:
S’il faut porter le foulard, pour réveiller le raciste
qui sommeille en vous, je le ferai bien volontiers !
Vos injures ne traduisent que le racisme qui travaille
en profondeur la société française, et nous donnent à
voir les contradictions dans lesquelles vous êtes
piégés : alors que nous étions venu(e)s pour soutenir
l’égalité des sexes, vous nous traitez de " salopes ",
insulte des plus sexistes et machistes.
Vous qui clamez votre attachement aux valeurs
républicaines, qui font théoriquement de celles et
ceux que la France a vu naître des égaux, vous nous
demandez de retourner " chez-nous ", oubliant que
chez-nous c’est le 20ème arrondissement de Paris,
Saint-Denis, Nanterre non l’Algérie, l’Iran,
l’Afghanistan ou l’Arabie saoudite dont vous nous
parlez sans arrêt...
C’est précisément parce que la République manque une
fois de plus à ses principes, avec cette loi visant à
l’exclusion des filles qui portent le foulard, que
j’étais à leurs côtés en cette journée des femmes, de
toutes les femmes de par le monde qui s’arrogent le
droit de crier au haut et fort leurs revendications et
leurs aspirations à l’égalité.
12 mars 2004
Djamila Bechoua est membre des Blédardes
http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=225
8 mars 2004
Féminisme ou maternalisme ?, par Houria Bouteldja
Lettre ouverte aux "femmes engagées ", signataires de
l’appel du magazine " Elle " pour une loi interdisant
le voile à l’école.
Mesdames,
L’état d’esprit colonial est celui qui a présidé et
qui continue de présider à la dépréciation des
cultures arabo-musulmanes et à la dépréciation des
hommes, tributaires de la culture patriarcale. Cette
humiliation identitaire a comme corollaire la
promotion instrumentale des femmes et l’encensement de
l’idéologie universaliste française. Voici ce que
Bourdieu observait déjà dans l’Algérie Française des
années 60 (dans Paysans déracinés) :
" Le regroupement empêche les femmes d’accomplir la
plus grande partie de leur tâches traditionnelles.
C’est d’abord que l’interventionnisme des autorités
s’est en quelques sortes concentré sur elles parce
que, aux yeux des militaires, comme dans la plupart
des observateurs naïfs, la condition de la femme
algérienne était le signe le plus manifeste de la
barbarie, qu’il s’agissait de combattre par tous les
moyens .D’une part, les militaires ont crée presque
partout des cercles féminins, d’autres part ils se
sont efforcés d’abattre brutalement tout ce qui leur
paraissait faire obstacle à la libération de la femme.
Plus généralement, les actions militaires et la
répression ont soumis à une épreuve terrible la morale
de l’honneur qui régissait la division du travail et
le rapport entre les sexes ".
Franz Fanon, pour sa part, faisait les mêmes
constatations quand il affirmait que le colonisateur
avait trouvé comme ultime argument, pour délégitimer
l’indigène, l’idéd selon laquelle il opprimait sa
femme.
L’alibi féministe consacre donc la supériorité du
discours franco-centriste et exploite la condition des
femmes au Maghreb ou dans les banlieues comme
faire-valoir. Face à une mise en accusation permanente
de la culture musulmane par les discours dominants, la
mise à distance nécessaire pour objectiver les faits
sociaux et leur donner du sens est difficile pour
quiconque ne veut pas renier son enracinement dans une
mémoire et une histoire, c’est à dire dans cette
islamité entre autres. Souvent, la confrontation
d’idées dévie du champ du féminisme vers le champ du
civilisationnel. Les féministes médiatiques ont, en
France, une fâcheuse tendance à se désintéresser de
l’étude des rapports hommes/femmes pour se focaliser
sur la mise en accusation de l’Islam.
Partant de ce postulat, les élites intellectuelles et
politiques, faisant fi de toute analyse critique, ont
vivement encouragé les femmes de l’immigration
musulmane à se libérer de leurs carcans traditionnels,
de leur oppression supposée ou réelle, ce qui n’a pas
manqué de créer des ruptures traumatiques au sein des
familles. En revanche, aucun message n’ a été envoyé
en direction des hommes, ne serait-ce qu’une
alternative au déni d’identité dont ils étaient
victimes.
C’est une guerre idéologique civilisationnelle dont
l’enjeu est tout sauf féministe, d’où l’indifférence à
l’égard des luttes féministes en terre d’islam ou dans
les banlieues françaises quand le contexte ne se prête
pas à un discours anti-islamique.
Que de féministes en France disposées à proscrire les
marques de l’infériorisation des femmes ! pourtant,
partout dans le monde, vêtements et parures sont
sexués pour d’une part empêcher l’indifférenciation
des genres et d’autre part, manifester
l’asservissement des femmes à l’ordre sexiste (1). Le
foulard que vous, mesdames les thuriféraires de
l’ordre féministo-républicano-bourgeois, privilégiées
mais surtout ignorantes des réalités sociales, ne
cessez de dénigrer, ne fait que manifester ce que vos
propres vêtements expriment autrement (robe, jupe,
bijoux, maquillage...). Comment dire l’arrogance et la
suffisance de toutes ces stars du cinéma, signataires
de la pétition du magazine " Elle ", empreinte de
paternalisme, pardon de maternalisme, qui appellent à
une loi interdisant le foulard alors qu’elles sont,
elles, subordonnées au diktat des producteurs pour
lesquels une bonne actrice est une actrice qui se
dénude au moins une fois dans sa carrière ! Quelle
différence fondamentale y-a-t-il entre une femme que
l’on oblige à se couvrir et celle que l’on oblige à se
dévêtir ? Reprenons un argument que les
prohibitionnistes ne cessent d’avancer pour diaboliser
plus encore le voile : il est responsable des
violences sexistes et même des viols commis sur les
femmes qui refusent de le porter. Si un tel lien de
cause à effet est vrai, nous pouvons affirmer sans
complexe que la presse féminine, qui ne cesse de
vanter les vertus de la minceur et diffuse des modèles
esthétiques normatifs qui engendrent un rapport
névrotique et coupable à son corps est responsable des
décès par anorexie et doit donc être interdite !
Comment dire l’hypocrisie de la presse féminine, qui
derrière des alibis féministes, est clairement une
presse aliénée, réactionnaire et anti-féministe !
comment expliquer l’aveuglement devant l’ordre sexiste
général et la focalisation sur l’affaire du foulard
dit islamique ? la réponse est peut-être trop
simple...si simple qu’on n’ose le dire de crainte de
paraître excessif...Osons : l’Occident (concept
mythique) continue de se vivre comme supérieur. En
d’autres termes, quelle que soit la nature du sexisme
des élites, des politiques, des hommes de pouvoirs,
celui-ci, parce que émanant des " blancs " et nantis
de la République, ne peut en rien se comparer à celui
des classes dangereuses (entendez musulmans et
dépendances). Il a ceci de particulier qui l’immunise
contre la critique et l’absout de toute remise en
question : il est occidental.
L’idéologie dominante me permettra t-elle d’avancer
une hypothèse ? prenons deux figures du champ
médiatique : Laëtitia Casta et Saïda Kada (une
militante voilée et auteure avec Dounia Bouzar de "
l’une voilée, l’autre pas "). La première est
mannequin, riche et célèbre ; sa gloire est de
tapisser depuis plus de 3 ans les murs du métro
parisien. Soumise à une idéologie sexiste et
marchande, elle est un outil au service d’un système
archi-libéral...Qu’apporte t-elle à la société ? la
réponse est dans la question. La seconde, voilée (et
que, par ailleurs je me garderais bien d’encenser ou
de promouvoir parce qu’elle cède malgré tout à la
différenciation des sexes)(2), a ceci de particulier
qu’elle est porteuse d’un discours politique et
qu’elle remet en question les certitudes d’un Etat,
ses valeurs, ses fondements et participe par sa seule
présence dans l’espace public à une remise en question
du discours mystificateur de ce que Deleuze appelait "
les gros concepts " . Comprenez " Laïcité ", "
Universalisme ", " République ", "Raison des Lumières
". Cette critique est constructive et urgente
(salutaire ?) pour l’ensemble de la société. Voici ce
qu’écrivait Henri Lefebvre à la veille de la seconde
guerre mondiale :
" On nous a habitué à nous fier aux idées comme à des
vierges éternelles, innocentes. Et voici que la
dialectique nous parle de la ruse des idées. Leur
idéalité cache précisément des forces brutales. La
clarté sereine de la raison a couvert la domination de
l’impérialisme armé et casqué ! ".
C’est vrai : nous vivons dans une société où règne un
certain sens de l’égalité, de la laïcité : le sens
qu’ont bien voulu lui donner les classes dominantes.
Devinette en guise de conclusion : combien d’années
les parents des 2000 élèves voilées menacées
d’exclusion par la loi " Stasi-Ferry " doivent-ils
travailler pour gagner le total des revenus annuels
des 60 stars de cinéma et écrivains à succès
signataires de l’appel de "Elle" ?
8 mars 2003
Houria Bouteldja est membres du collectif Les
Blédardes (bledardes@yahoo.fr) et co-initiatrice de
l’appel "Oui à la laïcité, non aux lois d’exception".
Une version plus courte de ce texte est parue dans
Politis le mercredi 3 mars 2004
Notes :
1- Citation Véronique de Rudder (CNRS / Université
Paris 7)
2- La violence de la domination masculine dans les
sphères arabo-musulmanes est bel et bien réelle et il
ne s’agit pas ici de la nier ou de la minimiser. Mais
il est impératif de la combattre par l’analyse des
dynamiques sociologiques qui la produisent (comme
l’ont fait jadis les féministes européennes) car la
systématisation des discours réducteurs sur l’islam et
les généralisations abusives sur les sociétés de
culture musulmane renforcent les stéréotypes et
conduisent inéluctablement à la défaite de
l’universel.