Argentine : Rencontre de Femmes, violences de l'Eglise by fab Thursday, Oct. 14, 2004 at 2:29 AM |
Malgré un climat très agressif qui tenta d'empêcher la tenue de la 19è Rencontre de Femmes à Mendoza, il s'est réalisé une manifestation de 20 000 femmes réclamant comme partie de la faculté de décider sur son propre corps, le droit à l'avortement si nécessaire.
Ni les agressions verbales ni les coups infligés aux femmes isolées, identifiées comme faisant parties de 19è la Rencontre Nationale de Femmes, ni les 300 personnes, la majorité des hommes, qui, formés avec discipline devant l'Eglise des jésuites, criaient "vie!" au passage de la manifestation ne purent empêcher que les 20 000 femmes qui s'étaient données rendez-vous à Mendoza pour débattre d'un large spectre de thèmes fassent entendre leurs consignes historiques : le droit à décider sur leurs corps, le droit à avorter si c'est nécessaire, le droit à une anticonception sûre.
Les revendications se firent visibles par des milliers de foulards verts -incorporés depuis l'année dernière comme signe de reconnaissance- sur les têtes, autour du cou, la taille ou s'agitant au vent comme des drapeaux et qui ont accompagné une autre exigence qui cette année s'est exprimée avec beaucoup de force : la libération des détenu(e)s arrêté(e)s lors des protestations sociales et des femmes emprisonnées pour s'être défendues de la violence de genre.
Peu d'habitants de Mendoza se souviennent d'une marche aussi importante que celle d'hier, encore moins dans la coquette intersection de Belgrano et Emilio Civit, où était convoqué le rassemblement. C'est que cet endroit est le rendez-vous obligatoire du dimanche après-midi de la classe moyenne, quand les deux glaciers les plus traditionnels de la province se remplissent de jeunes qui montrent leur bronzage obtenu durant le week-end. Si les journaux locaux insistaient sur "l'invasion" des femmes, pour ceux qui sans être prévenus stationèrent leurs voitures près de la tête de l'immense colonne de femmes, grosses, maigres, jeunes, vieilles, provinciales, aborigènes, ouvrières, chômeuses, féministes, "putes, travestis et lesbiennes", comment le disait une des banderoles, l'annonce n'était pas exagérée. "Quel moment, malgré tout, nous leur avons fait la rencontre !" s'est chanté avec force et avec la pleine conscience pour les milliers de femmes qu'il y avait un destinataire pour ce défi. Parce que si en dix-neuf années consécutives de rencontre les plus expérimentées se rappellent de plus d'une provocation de la part de groupes fondamentalistes contre la possibilité pour les femmes de débattre et prendre des décisions de manière autonome, cette fois l'agression fut violente et organisée.
Elle le fut tellement que le Réseau de Mendoza des Droits de l'Homme a convoqué à une conférence de presse pour dénoncer et désavouer une succession d'attentas qui commencèrent par des tags qui s'opposaient à quasiment tout ( non à l'avortement, à l'anticonception, aux lesbiennes, aux travestis, à l'éducation sexuelle, aux préservatifs...) et qui ont augmenté en intensité jusqu'à ce que l'entreprise d'électricité dénonce qu'il a été placé un explosif artisanal dans une centrale électrique qui fournissait le Club Pacifico, le lieu où les femmes allaient réaliser leur fête de clôture.
“Nous avons recu de multiples plaintes qui indiquent la présence de personnes organisées qui s'autodéfinissent comme appartenant à l'Eglise Catholique, qui au travers de faits de violence ont tenté d'imposer leurs critères", affirme le communiqué du Réseau, qui se termine en exigeant au Gouvernement l'ouverture d'une enquête concernant l'existence d'une "association illicite intégrée par ceux qui ont participé à ces actions." Cette dénonciation, qu'accompagne aussi Amnesty International avec un communiqué à part et qui fut présenté avec la commission d'organisation de la Rencontre, est la plus forte de ces 19 années de débats horizontaux, ouverts et participatifs. Ce fut seulement quand la Rencontre eut lieu à San Juan -par hasard la province voisine– que les agressions furent autant belliqueuses.
Pourquoi penser à une association illicite et non à des éléments isolés ? "Il y a eu de toute évidence une coordination dans les actions, une planification pour intervenir dans les débats en utilisant des huissiers ou des avocats disposés à rédiger des actes ou à monter des scènes en présence de la police ; et cela ne s'improvise pas un samedi ou un dimanche de long week-end”, a affirmé l'avocat du Réseau de Mendoza des Droits de l'Homme, Alfredo Guevara. La commission d'organisation de la Rencontre a également dénoncé une manoeuvre qui a nécessité des complices : les places réservées de centaines de logements ont été achetées pour loger des contingents catholiques, déplacant ainsi ceux qui avaient payé la réservation. "Samedi soir -a dit une une des membres de la commission- il y a eu 250 femmes qui n'avaient pas où dormir." Il faut aussi ajouter à cela les coups qu'a recu Sara Torres, chercheuse de Buenos Aires et spécialiste de la traite des personnes.
Cependant les femmes se sont faites entendre, même quand la stratégie de participation des groupes pro-vie était bien organisée (comme les ateliers sont ouverts, lorsque l'un se terminait, elles couraient pour faire nombre dans un autre) et comptait avec le soutien à l'extérieur du regard menacant de jeunes avec des t-shirts de collèges catholiques, rien n'est parvenu à empêcher que dans les conclusions soit inscrit que la grande majorité, autant les quinze mille foulards verts qui s'étaient imprimés ne suffirent pas pour toutes celles qui le demandèrent, exige que l'avortement soit accessible à toutes et gratuit. "Ils sont venus se mettre jusque dans l'atelier des Droits de l'Homme mais nous continuerons à dire que la dépénalisation de l'avortement est un thème des Droits de l'Homme qui est urgent à traiter, parce que celles qui en meurent sont pauvres. Il n'ont pas besoin de faire parler des jeunes filles comme si elles étaient évêques parce qu'elles ne savent pas la manière par laquelle la hiérarchie ecclésiastique a béni les camps de concentration où se volait les bébés ou se provoquait des avortements par la torture (lors de la dictature militaire)", affirma Nora Cortiñas des Mères de la Place de Mai, avec un foulard blanc sur la tête et vert à la main.
De plus, on a pu apprécier lors de la manifestation la composition diverse et plurielle de la Rencontre qui s'est remarquée aussi dans les débats où furent traités les thèmes aussi variés que l'avortement, la décriminilisation de la protestation sociale ou la liberation de femmes comme Romina Tejerina –détenue pour avoir tué, au moment de l'accouchement, le bébé produit d'un viol–, Claudia Sosa –emprisonné pour avoir tué en légitime défense son mari violent– ou Marcela, la femme qui est en prison pour s'être pratiquée un avortement.
Pagina12, 11 octobre 2004
Traduction : santelmo@no-log.org