Argentine : communautés aborigènes revendiquent la propriété de leurs terres. by fab Wednesday, Oct. 13, 2004 at 9:38 PM |
A Buenos Aires, le 12 octobre 2004, à 512 ans de la découverte de l'Amérique, plusieurs organisations indigènes ont manifesté contre la discrimination des peuples originaires et ont revendiqué pour leurs droits, parmi lesquels la possession de leurs territoires.
Il ne serait pas difficile d'énumérer 512 iniquités, une pour chaque année écoulée depuis 1492. La plus récente se déroule dans la province de Formosa : les victimes appartiennent à l'ethnie Wichi et les agresseurs sont des commercants, qui avec la complicité de politiques locaux, policiers et fonctionnaires du PAMI (sorte de Sécurité Sociale argentine), s'approprient les revenus des Planes Jefas y Jefes de Hogar (1), des pensions et des retraites de personnes dont les documents d'identité ont été retirés par la force. Ce sont les mêmes commercants qui fournissent à des enfants wichi de 13 ans, de l'alcool pur, ce qui engendre "la première cause de désertion scolaire de la zone", comment le signale un maître de la même ethnie. Ces spoliations extrêmes font parties d'une série dont le ressort principal, depuis la conquête, est la terre : 70 % des commnautés indigènes argentines ne possèdent pas de titres de propriété sur leur sol, ce qui est la base indispensable de leur identité. Mais même la majorité de ceux qui possédent ces titres ne sont pas protégés par les autorités qui n'empêchent pas l'usurpation de leurs terres. Les Guaranies campent depuis deux mois à Posadas (province de Missiones) et en Patagonie, les Mapuches redécouvrent une tradition de lutte antérieure à l'arrivée des espagnols et s'en prennent aux multinationales.
En Argentine, il y a 22 peuples indigènes, qui réunissent plus de 860 communautés et qui totalisent plus de deux millions de personnes, selon les estimations de l'Association Indigène de la République Argentine (AIRA). 70 % ne possèdent aucun titre de propriété sur leurs terres. Un projet de loi du gouvernement national, approuvé à l'Assemblée Nationale et en examen au Sénat, suspend les expulsions des communautés indigènes. Il reste à résoudre la question de fond, celle de la propriété.
Dans le département de Ramon Lista (province de Formosa), 85 % des habitants sont de l'ethnie Wichi : quasi 10 000 personnes, plus de 90 % des familles ont leurs besoins de base insatisfaits. L'avocat Luis Zapiola, représentant de communautés wichi et chercheur de la question indigène, raconte : "les commercants de la zone retiennent les documents nationaux d'identité aux Wichi, argumentant en avoir besoin pour leur faire "crédit", et les utilisent ensuite pour encaisser à la Banque de la Province de Formosa, Planes Jefas y Jefes de Hogar (1) au nom des bénéficiares. Au lieu de donner l'argent à ces derniers, ils leur remettent de la marchandise, au triple de sa valeur. Ces commercants leur encaissent également les pensions et retraites. Pour cela, les fonctionnaires du PAMI, en échange d'une partie de l'argent, leur remettent des autorisations. Dans tout Ramon Lista, il se passe la même chose, et la police de la province, en aucun cas, n'accepte les plaintes des indigènes. Ceci est également valable pour la série d'homicides de Wichi non élucidés".
Tipiquement, ces homicides se déroulent de la manière suivante : reproduisant la forme ancestrale de leur survie -la chasse- un Wichi pénètre sur des terres qui appartiennent en réalité à la communauté mais qu'un homme blanc a cloturées, et celui-ci tire sur l'"intru".
Zapiola dénonce aussi que ces mêmes commercants "vendent de l'alcool pur à des enfants de 13 et 14 ans, qui le mélange avec de l'eau ou du jus de citron pour faire une boisson appelée 'cachuri' et s'ennivrer". Le 11 octobre 2004, des maîtres et des caciques de l'ethnie se sont réunis pour débattre de ce problème. Le maître Oliva Torres a avertit que "l'alcoolisme est le facteur principal de la grande dédertion scolaire dont nous souffrons".
Dans la province du Chaco, "la situation est plus grave encore parce que la majorité des indigènes n'ont pas la propriété de la terre : les Mocovies vivent sur les bords des routes ; il y a trois décrets nationaux qui leur octroient, ainsi qu'aux Tobas, en accord avec la dernière réforme constitutionnelle du Chaco, dix milles hectares mais le gouvernement de cette province les a attribués à des blancs", affirme Zapiola.
Dans la province de Missiones, depuis deux mois, des représentants de communautés Guaranies campent sur la place principale de Posadas sans être recus par le gouvernement local : leur principal problème est la déforestation de la jungle dans laquelle ils habitent.
Norberto Guanuco, président de la AIRA, observe que "la situation se complique encore plus quand les occupants sont à la fois travailleurs de longue durée dans la zone. C'est le cas des communautés Tobas du Chaco, qui réclament des terrains qui leur ont été octroyés en 1924 : une étude effectuée par l'Université de Salta a élaboré les bases d'un dialogue mais le gouvernement de la province se refuse à résoudre ce conflit".
En Patagonie, en revanche, la lutte des commnautés Mapuches est dirigée "contre des entreprises multinationales, spécialement nord-américaines, qui se sont appropriées pratiquement une région entière en Argentine et au Chili", affirme Chacho Liempe, du Conseil Assesseur Indigène (CAI). Les Mapuches ont toujours combattu des ennemis puissants : "premièrement nous nous sommes battus contre les Incas, qui voulurent envahir notre territoire, ensuite contre les espagnols et contre les Etats argentins et chilien", rappelle Liempe. L'envahisseur a aussi utilisé l'alcool contre les Mapuches : "quand un indigène allait faire des achats, on lui donnait une boisson, on l'ennivrait puis elle était mise en prison ; lorsqu'elle revenait sur ses terres, celles-ci avaient été confisquées et on l'expulsait."
Pagina12, 12 octobre 2004
Traduction : santelmo@no-log.org
(1) Planes trabajar o jefes y jefas : « contrats » de 2O heures par semaine payés 150 pesos (300 francs) par mois utilisés par les collectivités publiques. Ils furent obtenus grâce à la lutte des piqueteros (chômeurs qui coupent les routes). Les mouvements de piqueteros ont également obtenus la gestion directe d’une partie de ces plans, les bénéficiaires travaillent donc « au service » des mouvements, ce qui d’ailleurs posent quelques problèmes de « clientélisme », surtout dans les mouvements de chômeurs des partis d’extrême gauche (ndlr).