Combien de SDF morts à la gare du midi ? by Jamal Es samri Friday, Aug. 20, 2004 at 12:42 AM |
Un singe en été...
Le SDF est la figure de la marge par excellence. Il est l’idée même du surnuméraire. Mais derrière l'idée, il est un être de chair. Être, sans feu ni lieu, dont la présence charnelle est de trop. Individu dont le corps est un obstacle. Dans nos villes, tout mouvement lui est dénié. Sa errance même lui est refusée. Les SDF ne sont pas libres d’aller où ils leur plait. Si leur condition peut émouvoir, ils n’en demeurent pas moins des indésirables. Les structures qui ont en charge ce public participent symboliquement au maintien de l’ordre social, ordre qui passe par la gestion de la visibilité de leurs usagers. Ordre dont les travailleurs sociaux sont les garant, plus ou moins conscients, plus ou moins volontaires. Le centre d’hébergement d’urgence en est un exemple frappant. Dans ce type de lieu le couvert et un semblant de « gîte » sont offerts, mais avec une contrepartie irrévocable : l’enfermement. Pierre d’Angle, le Casu à Bruxelles sont, avec les prisons, les institutions disciplinaires d’aujourd’hui. Les portes se ferment à clé et les « hôtes » se retrouvent otages d’un soir ; le caractère volontaire ne change rien à l’affaire. A bien y regarder, cette pratique n’est rien d’autre qu’une forme de nettoyage ou de relégation urbaine. « Le but inavoué ne serait-il pas de retirer de la ville les vagabonds, avant la tombée de la nuit, hantise de la société bourgeoise ?»(Hubert Prolongeau). Les SDF ne sont pas les bienvenus dans certains quartiers. A Uccle, Rhode-Saint-Genèse, Boisfort, ils ne sont pas légion. Une cartographie des services sociaux et associations montreraient qu’elles se situent dans les parties les plus pauvres de la ville (la partie ouest du Pentagone, les Marolles…). C’est nullement le fruit du hasard. Il y a véritablement un phénomène de double captivité (SDF et habitants des quartiers populaires tout à la fois), qui résultent des rapports sociaux et de résistance (contententment) de certains espaces sociaux. Si l’on ne prête qu’aux riches, les pauvres ne sont reçus que par les pauvres. La pénétration des structures destinées aux SDF dans les secteurs les plus bourgeois de la ville est quasiment impossible. Le syndrome NYMBY (Not in my back yard) est à géométrie variable. Certains quartiers, distinction oblige, sont imperméables à la présence des SDF. L’intolérance est plus forte chez les riverains propriétaires et les commerçants qui craignent pour la valeur de leur bien. A l’évidence les SDF gênent. A n’en pas douter le SDF est un être-pour-la -mort. La mort résume toute sa condition et se présente comme un parfait miroir du traitement qui leur est réservé et de la place qui leur est assignée dans notre société. Le dispositif spatial observé est manifeste : captivité, distance, retrait, négation de l’identité, invisibilité. Symboliquement et socialement, se sont des morts en sursis. Des lieux « assistanciels » aux lieux publics s’esquissent ce déni d’identité, cette politique qui conteste la place du sujet, ces dépossessions de la parole et du corps. La main mise institutionnelle sur le corps des SDF observée à partir de la prise en charge sociale est l’expression d’une main mise idéologique sur une catégorie qui n’a d’existence qu’à la lumière de la politique de l’urgence. Et parfois, toujours en hiver, à la faveur de médias. Politique qui fonctionne sur le mode du mythe de Sisyphe, l’éternel retour du « chaque hiver ». Actions s’adressant entièrement au corps, à défaut d’assumer la parole de l’exclu. Un objet ne parle pas. Cette politique ne prend pas en compte l’individu dans sa totalité et compromet sa place en tant que sujet. Les SDF, tels des corps sans organes, sont fragmentés et sont traités comme une somme de problèmes à résoudre : hébergement, nourriture, lavage, soin. A chaque association son morceau. L’individu est réduit à sa logique biologique, degré zéro de l'humanité. La société recycle les exclus et entretient par la même occasion nos fantasmes de disparition de l’humain. Fantasmes qui se déploient aussi sur nos postes de télévisions, sous un mode virtuel et exotique. A la stratégie d'occultation s'ajoute une politique de réanimation où, dans chaque « lieu d’accueil », on pratique les derniers gestes de survie dans un aveu à peine voilé d’impuissance. Dernière étape avant le cynisme. C’est comme si on faisait en permanence le deuil des SDF. Le continuum symbolique entre la logique des institutions et celle de Thanatos est frappant et fait résolument écho aux aveux honteux (et anonymes) d’un directeur de foyer, résumant sa fonction ainsi : « je fais de l’accompagnement aux mourants ». A l'évidence, les SDF n’en finissent pas de mourir. Devant ces morts à crédit, il convient de déconstruire la validité de ces promesses démocratiques qui prétendent que nous sommes tous égaux. Combien de SDF morts à la gare du midi cette année ?
Jamal Es samri, sociologue
Observatoire des politiques de la ville.
http://www.obipo.com
L'avant-garde en haillons... by Spinoza Sunday, Sep. 05, 2004 at 8:13 PM |
Il s'agit là d'une variation sur le thème de "La prison comme aspirateur de scories sociales", que Loïc Wacquant traite dans son dernier livre. Les sdf comme antihéros malchanceux d'un néolibéralisme arrogant, qui n'en finit pas de gagner du terrain...
USA, USA by Malcom x Tuesday, Sep. 07, 2004 at 3:37 PM |
Les Etats-Unis dénombrent 43 millions de SDF. Parmi ceux-ci, 1 million d'enfants. Un quart d'entre eux trouvent refuge dans des garages. Faut dire que les loyers sont pas vraiment donnés En Californie par exemple, seules 11% des maisons sont accessibles à un employé au salaire moyen. De façon plus générale, ce dernier devrait travailler 87 heures par semaine pour pouvoir se payer un logement trois pièces ! Ah oui, autre donnée de taille : 20% des sans abri américains ont un travail à temps plein. Un nombre qui grimpe à 34% dans la Silicon Valley, la fameuse région des hautes technologies de l'information. Comme quoi
Paradigme by L'innommable Saturday, Sep. 18, 2004 at 7:00 PM |
La vie du clochard semble construite autour de trois influences majeures qui se recoupent.
La culture ouvrière est un des axes importants qui servent d’assise aux comportements et aux points de vue des clochards que je connais, issus de milieux ouvriers. Le contexte de leur enfance paraît essentiel. Ils vivent aujourd'hui en partie en continuité avec ce modèle (ouvrier ou " sous-prolétaire ") qu’ils ont connu.
En seconde lieu, le clochard perpétue une culture de la rue. Quelle qu’en soit l’ampleur actuelle, la vie " au-dehors " n’est pas un phénomène nouveau, spécifique de notre époque ; bien au contraire elle s’inscrit dans une continuité qui lui donne corps et substrat. Le sans-abri hérite, auprès des gens qui l’ont précédé à la rue, d’une tradition qu’il rend vivante. Ses mœurs s’inscrivent dans une lignée et une tendance sociales qui dépassent le monde de ses particularités.
Enfin, le clochard vit une culture dominée. La place marginale qu’il occupe dans la ville influence son organisation matérielle et son optique du monde.
Les habitudes mentales du clochard sont organisées autour de cet agglomérat de principes, conscients ou non, appris durant l’enfance ouvrière et acquis à la rue, dans une position sociale marginale. La combinaison de ces valeurs constitue une culture originale, que j’appelle la culture de la place publique. (Gaboriau)