arch/ive/ief (2000 - 2005)

Moral indestructible et optimisme derrière les murs de " the New Rock "
by Katrien Demuynck Friday, Aug. 06, 2004 at 12:11 PM
katrien.demuynck@intal.be

Samedi 31 juillet et dimanche 1 août 2004 on a pu rendre visit a Gerardo Hernandez, un des Cinq Cubains prisonniers à la prison de Lompoc, USA

Moral indestructible...
gerardoinlompoc.jpg0obanw.jpg, image/jpeg, 860x1427

Lompoc est une petite ville de la côte Ouest des Etats-Unis, à mi-chemin entre San Francisco et Los Angeles. " A Lompoc, on trouve trois choses ", nous dit notre hôte : " des bombes, des fleurs et des prisonniers ". Avant d'arriver au centre, il faut passer devant l'imposante base aérienne de Vandenberg. Cette base joue un rôle clé dans la Guerre des Etoiles. C'est ici, entre autres, que sont testés les missiles anti-balistiques et qu'on l'on s'entraîne avec les avions les plus sophistiqués. Les terrains militaires sont entourés de champs très étendus dans lesquels on cultive des fleurs destinées à être coupées. L'Amérique du Nord est un monde de contraste. Un peu plus loin, nous atteignons le but de notre voyage : la prison fédérale de Lompoc et, plus particulièrement, le quartier de " haute sécurité ". Ici sont enfermés quelque 1.700 criminels graves. Le complexe a un air angoissant. Sur le t-shirt du gardien qui nous fait entrer, on peu lire " The New Rock ". La sinistrement célèbre prison d'Alcatraz était surnommée le " Rock ", en langage populaire. Lompoc lui a succédé.

L' "hôte" soumis au régime le plus dur n'est autre que Gerardo Hernandez lui-même. Il tombe dans la catégorie des individus dangereux pour l'Etat. Il a été condamné à deux fois la perpétuité plus quinze ans et a séjourné un an et demi en isolement complet. Durant le reste de ses jours, il n'a droit, tout bien compté, qu'à dix visiteurs différents, membres de sa famille y compris. Gerardo n'a commis aucun homicide et ne s'est pas rendu coupable d'une série d'agressions ou de viols, ni de détournement brutal ou quoi que ce soit du genre. C'est pour de tout autres raisons qu'il est sous les verrous pour le reste de ses jours et plus longtemps encore. Il est l'un des cinq Cubains qui, au cours des années nonante, avait infiltré les réseaux terroristes de Miami qui trament des attentats contre le régime castriste. Un aperçu de leur " palmarès " : l'élimination de diplomates et de grands personnages de la révolution, toutes sortes d'attentats à la bombe, des actes de guerre biologique, la propagation de maladies, etc. En 1981, plus de 300.000 Cubains ont été touchés par le virus de la dengue. 158 d'entre eux, dont 101 enfants, n'allaient pas y survivre. Le coup le plus spectaculaire consista à abattre un avion de ligne rempli de passagers, en 1976. Orlando Bosch, l'un des organisateurs de cet attentat terroriste circule aujourd'hui librement à Miami. Il a pu bénéficier de la grâce de George Bush père.

Au total, cette guerre abjecte a coûté la vie de 3.500 personnes, un chiffre qui dépasse le nombre de victimes du 11 septembre. Des demandes réitérées de La Havane d'intervenir contre ce genre de groupes extrémistes et d'empêcher les attentats sont demeurées lettre morte, aux Etats-Unis. Toute collaboration avec les autorités cubaines a été promptement rejetée. Pour se protéger de tels attentats, il ne restait qu'une solution : infiltrer ces groupes terroristes. C'est ainsi que les cinq hommes déclarent avoir pu déjouer 170 attentats qui avaient été planifiés. Les cinq ont été arrêtés après que, le 17 juin 1998, les autorités cubaines eurent transmis au FBI un certain nombre de dossiers comprenant des informations accablantes que les cinq hommes avaient eux-mêmes collectées.

Le procès avait eu tout d'une comédie. Malgré les demandes répétées des avocats (pro deo) de la défense, le juge avait refusé de déplacer le procès des cinq en dehors de Miami. Il est pourtant évident qu'un procès équitable n'est pas possible à Miami si les intérêts de la mafia anti-cubaine sont en jeu. N'oublions pas qu'au même moment, le maire de Miami avait refusé d'exécuter la décision des autorités fédérales de renvoyer le garçonnet cubain Elián González chez son père. Quand, en fin de compte, ces mêmes autorités fédérales avaient délivré le garçonnet par la force, le maire et le chef de la police locale avaient poussé les hauts cris et menacé de déclencher une émeute dans la ville. Plus d'un drapeau américain avait été incendié. Malgré ce climat extrêmement hostile, le procureur s'était obstiné à prétendre que c'est à Miami que l'affaire des cinq devait être jugée. Ce faisant, il enfreignait d'un coup le §e amendement de la constitution américaine, qui donne droit à tout accusé d'avoir un jury impartial. Aussi le procès se déroula-t-il à l'avenant. Tant les juges que les jurés étaient placés sous de fortes pressions. Malgré sa durée et l'ampleur des dossiers - c'est l'un des plus longs procès de l'histoire des Etats-Unis -, le jury décidait en quelques heures à peine du sort des accusés. Les cinq Cubains - à Cuba, on les a tout simplement surnommé " les cinq " - étaient condamnés à des peines déraisonnablement lourdes : de dix-huit ans à deux fois la perpétuité et plus. Depuis leur condamnation, les cinq séjournent dans cinq prisons de haute sécurité disséminées aux quatre coins des Etats-Unis. Pour l'instant, ils attendent le prononcé du procès en appel qui s'est déroulé le 10 mars dernier. Les visites ne sont que rarement et arbitrairement autorisées. Certains des condamnés se sont même vu interdire toute visite de leur épouse.
Amnesty International a déjà posé plusieurs questions aux autorités américaines, à propos de cette affaire, tant en ce qui concerne la violation du droit de visite que le déroulement même du procès.
(vous en saurez plus en consultant http://news.amnesty.org/mav/index/ENGAMR516072004)

Entre-temps, plus de 200 comités se sont multipliés à travers le monde pour s'occuper de l'affaire des cinq. En Belgique également, l'un de ces comités s'est constitué. Il mène des actions afin d'attirer l'attention de l'opinion publique sur cette affaire. Ainsi, l'an dernier, Adriana Pérez, l'épouse de Gerardo Hernández, l'un des cinq, était-elle en Belgique afin de dénoncer cette situation. En six ans, presque, de détention de son mari, Adriana n'a jamais pu lui rendre visite. Une fois, cependant, elle a reçu un visa. A son arrivée aux Etats-Unis, elle a été immédiatement arrêtée, interrogée et rembarquée sur un avion retournant à Cuba. Depuis lors, toutes ses demandes ont été rejetées. C'est ainsi qu'a germé en nous l'idée d'essayer de rendre visite à Gerardo à partir de la Belgique.

Gerardo Hernández s'est vu infliger la plus lourde peine : deux fois la perpétuité plus quinze ans. Il est sans doute le seul homme au monde à avoir reçu deux fois la perpétuité sur base d'une accusation que le procureur lui-même avait essayé de retirer le 25 mai 2001, juste avant la délibération du jury. Gerardo était accusé de deux faits graves: " conspiration en vue d'espionnage " et " conspiration en vue d'homicide ". La première accusation avait été complètement démontée par les témoignages d'un certain nombre d'officiers supérieurs du commandement Sud de l'armée américaine. Ces hommes avaient déclaré sous serment qu'il ne pouvait être question d'espionnage dans ce cas. L'accusation d'homicide repose sur le fait que Gerardo, qui séjournait à Miami, a été déclaré coupable de la destruction en vol par les forces aériennes cubaines de deux petits appareils des " Brothers to the Rescue " (Frères de la Délivrance), le 24 février 1996. A plusieurs reprises, ces deux appareils avaient violé l'espace aérien cubain. Cette accusation, charnière de tout le procès, n'avait pourtant pu être complètement étayée. Elle va même à l'encontre du droit international. D'où le fait qu'à la toute dernière minute, le procureur avait essayé de la faire disparaître du dossier. Malgré cela, le jury déclarait Gerardo coupable sur toute la ligne.

Petit à petit, il a semblé que notre plan en vue de rendre visite à Gerardo n'allait pas pouvoir marcher. Mais, le week-end dernier, il est parvenu à nous faire savoir qu'il avait déjà eu l'accord verbal de recevoir une unique visite de Katrien Demuynck et Marc Vandepitte. Un véritable soulagement, car nous avions déjà acheté les billets et nos passeports étaient prêts…
Au cours de sa double perpétuité, Gerardo n'aura seulement droit qu'à dix visiteurs différents. Ces gens s'inscrivent sur une liste et peuvent ensuite rendre visite au détenu, mais sous des conditions très limitées. En ce moment, neuf personnes sont déjà inscrites sur cette liste. Nous ne voulions absolument pas prendre cette dernière place sur la liste, elle revient à des amis et à des membres de la famille. En outre, vu les frais très élevés, il n'est guère probable que nous pourrions répéter cette visite régulièrement. Par conséquent, nous avons demandé une visite exceptionnelle. En fin de compte, il est apparu que cela n'était ni plus ni moins difficile que de s'inscrire sur la liste des visiteurs. Cela aura coûté deux mois et demi d'attente et beaucoup de chance. Nous avons à deux reprises transmis les documents nécessaires à Lompoc et avons téléphoné une vingtaine de fois au moins à la prison. La dernière fois, nous avons sans doute parlé avec le conseiller de l'unité C, dans laquelle Gerardo est détenu. Nos interlocuteurs ne s'identifiaient pour ainsi dire jamais. L'homme nous a dit qu'il était déjà au courant de l'affaire. Il nous a également dit qu'il savait quelle allait être la réponse à la demande, mais que Gerardo allait téléphoner lui-même. Cette dernière information nous a semblé complètement absurde. Notre numéro de téléphone ne figure pas sur la liste - déjà très limitée en soi - des numéros qu'il peut contacter. Mais, bon, il a pu résoudre ce problème grâce à son ingéniosité.
Quand j'ai averti Adriana que nous avions l'autorisation, je n'étais pas très sûre de moi. Elle était parfaitement au courant de notre demande, naturellement. Mais il doit quand même être pénible, voire confrontant, de se voir rappeler à tout bout de champ qu'on ne peut rendre soi-même visite à son mari. Mais, en fait, elle s'est montrée très enthousiaste et contente : nous devions lui faire un gros câlin et elle voulait absolument avoir une photo. Incroyable, non, tout l'optimisme de ces propos !

Quand vous vous présentez à la prison de Lompoc, on vous demande par haut-parleur si vous n'avez pas d'armes ou de stupéfiants sur vous. Vous devez encore déclarer la même chose sur un formulaire qu'il vous faut remplir à l'entrée. Ensuite, vous êtes soumis à un détecteur de métaux et vous recevez un cachet. Hormis les vêtements que vous portez, vous ne pouvez rien avoir d'autre sur vous, une fois à l'intérieur. Les visiteurs sont ensuite introduits par groupe via un sas. De là, le groupe se rend au bâtiment principal. Là encore, il vous faut franchir une lourde porte métallique avant d'accéder enfin à l'espace des visiteurs. On vous indique une place et vous devez attendre " votre " détenu. Au bout d'une grosse demi-heure, Gerardo est introduit dans le local. Nous nous voyons pour la première fois, mais on dirait qu'ils s'agit de joyeuses retrouvailles. Cela fait déjà environ deux ans que nous correspondons. Avec Adriana, l'épouse de Gerardo, nous avons également des contacts très réguliers. Après une accolade vigoureuse, nous devons nous tenir à distance l'un de l'autre. Quelques gardiens y veillent scrupuleusement. Il y a vraiment beaucoup de bruit dans la salle et il est difficile de se comprendre. Gerardo est très content de notre visite. Depuis son arrestation, il n'y a plus aucune certitude dans son existence. Il perçoit cette visite qui n'avait rien d'évident comme une petite victoire. Il a entrepris lui-même toutes les étapes possibles pour l'obtenir, et ça a marché!

Les autorités américaines mettent tout en œuvre pour briser le moral des " cinq " : ils sont restés des mois en isolement complet, n'ont reçu aucune visite de leurs proches et ont dû cohabiter avec des criminels au passé chargé. Nous aspirons à apprendre de la bouche même de Gerardo comment il vit tout cela, comment il peut garder sa motivation intacte, comment il envisage l'avenir. Ses lettres sont toujours rayonnantes d'optimisme. Sa présence en chair et en os est tout bonnement impressionnante. Il irradie l'énergie et ne cesse de lâcher de petites plaisanteries.
Mais comment peut-on demeure aussi optimiste quand on a été condamné à deux fois la perpétuité ? Il répond avec franchise. Les premiers mois qui ont suivi leur arrestation ont été particulièrement pénibles. Les cinq ont séjourné 17 mois en isolement complet. Ils pouvaient à peine avoir des contacts avec leurs avocats, et absolument aucun avec leur famille. La seule chose qui les a tenu debout, c'est la confiance dans le fait que Cuba ne les laisserait pas tomber. Plus tard, une fois renoué le contact avec le monde extérieur, il allait en être autrement. Ce qui tient le plus à cœur à Gerardo, c'est sa distinction en tant que héros de la révolution. Depuis 1959, une trentaine de personnes seulement ont obtenu cette distinction. Quand j'ai ai lourd sur le cœur, dit Gerardo, je sens cette étoile sur ma poitrine, et je reprends courage. Il y a également les dizaines de lettres quotidiennes en provenance du monde entier, parfois une soixantaine par jour. Le fait que tant de gens témoignent leur sympathie et oeuvrent pour la justice de notre cause nous donne vraiment une force incroyable, raconte Gerardo. A 16 heures, lorsque le courrier est distribué dans l'unité, ils le font sortir bien vite de la file des prisonniers qui attendent : sa pile quotidienne de courrier est si grosse qu'elle ne peut entrer tout entière dans son casier et qu'elle entrave donc la distribution du reste du courrier…
Quand nous lui demandons pourquoi il a accepté une mission aussi dangereuse, il sourit. Je ne suis nullement une exception, répond-il. Demandez à dix Cubains de faire ce genre de travail dans l'intérêt de notre peuple et je suis sûr qu'il y en a sept qui accepteront sans hésiter. Nous savons tous ce que c'est de perdre des amis ou des proches parents dans un attentat. Recommencerait-il ce genre de mission, si c'était à refaire ? J'y ai déjà beaucoup réfléchi, déclare Gerardo. Et j'ai la réponse. Je ne puis imaginer que je ferais autrement. Puis, avec un sourire malicieux : j'essaierais peut-être d'être un peu plus malin, de façon qu'ils ne m'attrapent pas !

Gerardo a acheté quelques tickets pour prendre des photos. Une petite gamine, la fille d'une autre détenu, s'approche. Son papa, à l'instar de la majorité des détenus d'ici, fait partie d'une minorité aux Etats-Unis. Il est mexicain. La fillette veut figurer sur la photo. La maman, inquiète, s'approche, mais laisse faire. Gerardo prend la gamine sur le bras pour une seconde photo. J'aime tellement les enfants, dit-il, mais, entre-temps, Adriana a déjà 34 ans. Je ne pourrai sans doute plus jamais être père.
Nous continuons à bavarder durant plusieurs heures. Quand la visite est terminé, Gerardo nous presse sur son cœur afin de remercier du plus profond de lui-même toutes les personnes qui, en Europe, s'occupent de l'affaire. Ce soutien, de même que le soutien du peuple cubain, fait en sorte que gardons tout notre courage, assure-t-il.
On nous reconduit vers l'extérieur. Derrière trois lourdes portes et des masses de barbelés, Gerardo est resté au " New Rock ".

Incroyable !
by Antoine Friday, Aug. 06, 2004 at 5:27 PM

C'est vraiment incroyable que vous ayez pu y rentrer ! Vive la révolution cubaine.

Le moral de ce type me donne vraiment de l'espoir. C'est digne des plus grands révolutionnaires. Il restera dans notre coeur et dans ceux des révolutionnaires qui émergeront par millions dans des pays capitalistes dans les prochaines années.

Maintenant, il faut absolument les sortir de là !!