Congo Pillages / Gouvernements occidentaux hésitent by Humanité (posted by raf) Wednesday, Jul. 07, 2004 at 1:20 PM |
L'ONG britannique RAID a rendu publique son rapport de suivi sur les enquêtes (du parlement belge e.a.) sur les pillages des richesses du Congo. Voici déjà un entretien avec Patricia Feeney de RAID.
L'Humanite 26/06/2004
Patricia Feeney, directrice de l’ONG britannique Rights and Accountability in Development (RAID), spécialisée sur la responsabilité des entreprises dans les violations des droits de l’homme. Interview.
Dans quelle mesure l’implication de sociétés transnationales, en particulier occidentales, a-t-elle facilité la guerre en République démocratique du Congo (RDC) ?
Patricia Feeney. Les différentes enquêtes du panel d’experts de l’ONU sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC démontrent que certaines entreprises occidentales ont vraisemblablement prolongé la durée du conflit en fournissant des armes aux factions rebelles. Ainsi, la justice belge enquête sur la COGECOM, qui aurait blanchi via ses comptes bancaires plusieurs millions de dollars tirés du commerce du coltan et destinés au RCD-Goma (principal mouvement rebelle congolais soutenu par le Rwanda). Une autre instruction porte sur des achats d’armement effectués en Ukraine et en République tchèque par l’intermédiaire de la banque belge Belgolaise (1). Cela dit, hormis quelques procédures sporadiques lancées en Belgique, les pays de l’OCDE rechignent à pointer les responsabilités de leurs entreprises citées par les experts onusiens. Cette inaction laisse aux sociétés les coudées franches pour continuer à travailler en RDC.
Dans quelles conditions ?
Patricia Feeney. Par exemple, les contrats miniers conclus pendant la guerre par le gouvernement de Kinshasa pour financer ses troupes n’ont pas encore été révisés, en dépit des recommandations du panel et bien qu’ils soient parfaitement contraires aux besoins de la population congolaise. Le gouvernement de transition devrait s’y atteler. Mais cela prend du temps. Certaines entreprises, notamment celles qui ont enfreint les principes directeurs de l’OCDE (2), en profitent. Dans le cadre des joint-ventures créés avec les sociétés d’État congolaises (la MIBA, pour le diamant ou la GECAMINES pour le cuivre et le cobalt - NDLR), elles réclament désormais des royalties pouvant atteindre 80 % des bénéfices tirés de l’extraction des minerais, soit plus encore que pendant la guerre.
Depuis la fin des hostilités et l’arrivée du gouvernement de réconciliation en juillet 2003, les réseaux économico-militaro-étatiques ont-ils perduré ?
Patricia Feeney. C’est le problème. La plupart des ONG qui travaillent sur la RDC ont souligné que si la communauté internationale ne s’attaquait pas à ces élites mafieuses, le pays continuerait à être instable et fragile. Mais les gouvernements occidentaux hésitent à utiliser les procédures prévues dans le cadre des Points de contact nationaux (PCN) pour contrôler l’activité des firmes. Ces structures, dont certaines sont tripartites (gouvernement, salarié, entreprises), doivent mettre en ouvre les principes directeurs de l’OCDE. En cas de violation de ceux-ci, une des parties peut soumettre le cas aux PCN qui peuvent décider d’ouvrir une enquête. Mais la plupart du temps, il ne se passe rien. L’ONG que je préside va publier un rapport critiquant cette inaction. Nous avons choisi une quarantaine d’entreprises établies dans un pays de l’OCDE et épinglées dans les rapports onusiens. Nous comparons les réponses publiques apportées pour résoudre ces différents cas, mais aussi la défense des firmes incriminées.
Vous y critiquez aussi le travail du panel.
Patricia Feeney. Dans son rapport final rendu fin 2003, celui-ci a minimisé l’impact des sociétés occidentales, dont beaucoup ont été classées dans la catégorie " cas résolu " (comme par exemple la banque Belgolaise), sans préciser pourquoi. Et la frontière qu’il établit entre les comportements acceptables et ceux qui sont répréhensibles reste floue. Or il est temps d’en tracer une, sauf à continuer de cautionner les agissements des acteurs économiques violant les droits de l’homme, en RDC, ou ailleurs.
Propos recueillis par Emmanuel Chicon
[Le rapport de RAID sera rendu public le 30 juin. Un résumé (en anglais) est accessible sur http://www.oecdwatch.org]
(1) Début juin, un juge d’instruction bruxellois a inculpé pour blanchiment plusieurs employés de cette banque, dont le président du conseil d’administration Marc-Yves Blanpain, et Jean-Charles Otoko, un proche du président congolais Joseph Kabila.
(2) Seules réglementations internationales adoptées en 1999 qui encadrent sur la base du volontariat les activités des entreprises. Leur application repose sur les gouvernements.