arch/ive/ief (2000 - 2005)

Genève 26-27 et 28 juin
by Gérald Hanotiaux Friday, Jul. 02, 2004 at 7:50 PM
gerald@bruxxel.org

Compte-rendu d'une rencontre à Genève. Thèmes abordés : G8 2001, G8 2003, gestion pshychique des effets de la répression. La prison.

Genève, les 26, 27 et 28 juin


Contexte

L’Usine, à Genève, accueillait les 26 et 27 juin une rencontre précédant l’audience du procès de Martin Shaw et de deux autres personnes le 28 au matin. Les deux principaux sujets de discussions prévus concernaient la mise sur pied d’un réseau européen anti-répression et l’auto-gestion des conséquences psychiques de la répression.

Lors du sommet du G8 en juin 2003, des manifestants avaient décidé de bloquer le passage des délégations se rendant à Evian via le pont d’Aubonne. Une corde traversant le pont de part en part à hauteur des rambardes bloque dès lors la circulation. De chaque côté, une personne pend dans le vide avec un matériel d’alpinisme, il s’agit de Martin Shaw et de sa compagne. Les flics arrivent, voient la situation et l’un d’entre-eux coupe la corde, le gars fait une chute de vingt mètres et s’explose en bas. Les manifestants sur le pont retienne in extremis la corde de l’autre côté. Le blessé est emmené à l’hôpital, diverses fractures et opérations au programme. Aujourd’hui il boite et a du fer un peu partout dans le corps. DJ Bonne Ambiance.

Selon la bonne vieille habitude, c’est finalement lui qui est inculpé avec seize autres personnes ayant participé à l’action. Entrave à la circulation et mise en danger de la vie d’automobilistes. Aucun flic n’est à ce jour inculpé de quoi que ce soit. Parmi la trentaine de flics, deux seulement ont aidé à soutenir la corde, empêchant la jeune femme de chuter également. Un deal a été établi par la justice suisse, si les personnes inculpées acceptent la sentence de 15 jours avec sursis, on en reste là. Sur les 17, 14 ont accepté. Trois pas. Ce sont eux qui comparaissaient le 28. Ils ont été condamné et vont en appel. Voilà en bref les faits. Voir http://www.aubonnebridge.net


Gestion du stress post-traumatique

La réaction de Martin Shaw, quand il fut remis debout fut la suivante. Vivant de l’intérieur le fait de se sentir tomber et de voir la mort de près, voyant le traumatisme de sa compagne et observant les troubles psychiques ultérieurs de 4 autres participants à l’action, il a décidé de prendre cette question en main. Il a dès lors parcouru une série de villes afin d’entamer des discussions sur la gestion du post-trauma suite à la répression policière. Au cours de ces différentes soirées, cette question est apparue pour beaucoup comme centrale. Afin de prendre ces dimensions en compte à l’avenir et d’éviter au maximum les problèmes ultérieurs, voici ce que les organisateurs proposaient :

« Nous concentrerons essentiellement les discussions sur la question du trouble mental auquel les personnes doivent faire face. Il s’agit de quelque chose que nous sous-estimons souvent mais les effets de la répression agissent sur le long terme et mènent souvent à d’autres problèmes et difficultés. Nous pensons accorder la majeure partie du week-end à des discussions sur le traumatisme. Nous désirons inviter des spécialistes et conseillers dans le but d’explorer les possibilités de la mise sur place d’un groupe de soutien en santé mentale. »


Un des ateliers

Trois ateliers différents ont eu lieu à ce sujet voici un bref compte-rendu de l’un d’eux. Pour ceux qui sont intéressés par de plus amples développements ou par d’autres sujets abordés lors du week-end, les compte-rendus intégraux devraient parvenir sous peu.

Il faut comprendre le mot « traumatisme » au sens large. Il s’agit de l’effet sur chacun, extrêmement divers d’une personne à l’autre, selon le vécu personnel antérieur et variable selon l’intensité des événements vécus ou observés. Il reste des traces de ces événements vécus en situation de répression policière pour tout le monde, c’est bien évidemment le but.

Une psychologue travaillant sur la gestion du post-traumatisme reprend la définition de Crocq présentant le trauma comme « une confrontation à sa propre mort ou à la mort d’autrui ». Par exemple tomber d’un pont ou voir celui qui tombe. Etre bloqué dans un train attaqué par les flics. Participer à une manifestation où quelqu’un est tué par balle. Passer dix heures en cellule. Etre matraqué. Etre impuissant face à la violence sur autrui. Etc.

Elle a exposé des données purement biologiques et chimiques. Dans le cerveau, le trauma se fixe après une semaine. Il est possible d’empêcher ou d’atténuer son développement si on s’y prend pendant cette semaine. En deux phases, d’abord le « diffusing », juste après les faits quand c’est possible, chacun expose à chaud les impressions. Et puis avant l’expiration du délai d’une semaine, le « de-briefing », qui comprend trois phases.

1/ Les faits. Chacun expose ce qu’il a vu aux différents endroits, car chacun a vécu des événements propres. Chacun retient aussi des choses différentes. En quelque sorte, c’est la recomposition du puzzle.

2/ Les sentiments. Ce qu’on ressent : haine, colère, tristesse, peur, etc.

3/ Le corps. Ce que chacun ressent dans son corps : mal au dos, boule dans le ventre, etc.

Et ensuite un quatrième point, qui est l’avenir. Comment on envisage l’avenir ensemble, qu’est-ce qu’on fait maintenant. Envisager l’avenir ensemble permet de sortir de la dépression.

Elle a insisté sur le fait qu’il serait bon de prévoir, avant chaque action ou manif, un moment pour effectuer ces discussions collectives. Il s’agit d’auto-gestion psychique. Si ce n’est pas fait dans la semaine et qu’un trauma se fixe, on passe alors dans une phase de thérapie. Qui peut prendre des années. Important d’accepter que l’on a des faiblesses et ne pas détourner ça sur un palliatif, exemple le plus connu : l’alcool. Autre conseil, ne surtout jamais dire à quelqu’un qui formule ce type d’émotions que « ce n’est rien, ça va passer, ça va aller… », il vaut mieux passer par les différentes étapes décrites ci-dessus.

Ces questions sont rarement abordées collectivement. Bien sûr chacun avec ses potes fait plus ou moins ce genre de choses, mais c’est assez différent d’accepter de le faire collectivement. Les groupements politiques passent des mois dans un squat, en milieu relativement fermé, à faire des actions et jamais ces questions ne sont abordées. Pourquoi ? En partie, et ça fait évidemment partie du moteur de l’action, parce qu’on se dit qu’ « on est plus fort que tout ça, la répression ça marche pas sur nous, ils ne nous auront pas » Etc. Résultat : le groupe se disloque à plus ou moins long terme, parce que la répression, évidemment, ça marche. Et finalement, qui risque de gérer les conséquences ? La psychiatrie institutionnelle.

Après avoir entendu cette opinion, une jeune allemande a craqué en direct : « dans mon groupe politique, je n’arrive pas à en parler, je ne sais pas pourquoi… » Elle était restée bloquée dans un train à Davos, encerclé et attaqué par les flics, pendant plusieurs heures. Un an plus tard, elle n’en avait encore jamais parlé.

Un homme a abordé la question du problème de la non-reconnaissance par la société du travail effectué. Et de la difficulté, ayant approché la réalité du pouvoir et de la répression, de vivre avec ce regard neuf dans le même environnement. Ce qui faisait les repères quotidiens s’écroule et la vie se poursuit comme en décalage avec le reste. On vit alors comme dans une bulle comprise dans une société qui nous entoure et ressort dès lors comme une accumulation de mythes. La démocratie, par exemple. Quand on parle de la violence qu’on a vécu, ou de ce qu’on a su ou observé, on s’entend souvent traiter de paranoïaque ou d’affabulateur. Ce n’est pas toujours simple à supporter.

Tout ça pour en arriver à la conclusion, limpide et évidente que si les flics répriment, c’est pour toutes ces raisons. Que les différents traumas stoppent les révoltes. Tout le monde, à des degrés extrêmement divers, est atteint par ce type de choses. Le prendre en compte à l’avenir, si les situations se présentent, serait salutaire.

Evidemment il n’y a pas de recette miracle, mais cela pourrait participer à la réduction des risques de séquelles et surtout au renforcement de l’action. Il s’agit aussi d’en parler entre gens qui comprennent ces événements et ce qui en résulte. Sans doute que de gérer ça avec quelqu’un qui n’y comprend rien (par exemple un psy institutionnel) peut être dévastateur et encore plus destructeur. La non-gestion des conséquences de la répression est évidemment la première alliée de celle-ci. Pour combien de personnes la répression a-t-elle représenté la fin de toute implication politique, qu’elles en soient conscientes ou non ?

Il est bien entendu plus positif que l’implication politique soit avant tout de l’ordre de la construction plutôt que dans l’opposition cyclique lors des sommets. Mais cela étant dit, personne n’est à l’abri d’une confrontation violente avec la police. Personne.

Quelques phrases de Matin Shaw notées au vol.

« Travailler avec des personnes traumatisées par la répression est difficile, il faut être patient. Si elles parlent de manière agressive, il ne faut pas s’en offusquer, c’est normal ».
« Pour travailler sur les problèmes psychiques éventuels suite à la répression, il faut trouver quelqu’un qui a les mêmes idées politiques sinon ça peut aggraver la situation ».
« Les personnes traumatisées vont de haut en bas, en zig-zag permanent pendant des mois. Elles peuvent dire que ça va et le lendemain être au plus bas ».
« Après ce qui m’est arrivé, il fut très important d’aller en parler un peu partout. Il faut s’informer les uns les autres sur les différentes situations vécues et se soutenir ».
« Trouver des psys qui connaissent le background politique, sinon ils ne pourront pas nous aider ».
« On accumule les traumatismes suite à différentes luttes, sans jamais même en prendre conscience soi-même, c’est encore plus grave ».


Survivre à la prison

Un autre atelier était animé par Mark Barnsley, un anglais qui a passé huit ans en prison pour de fausses accusations. Il a expliqué et donné ses « recettes » pour survivre et rester lui-même après la prison. Bref rapport de l’exposé.

Il a commencé en disant qu’on est dans une situation où n’importe qui peut aller en prison. Par exemple ce gars au sommet de Thessalonique qui s’est fait tabasser par les flics. Ces derniers ont ensuite prit son sac et posé un autre contenant des cocktails molotovs à côté de lui. Vu qu’en Grèce cet instrument est assimilé à du terrorisme, il s’est retrouvé en prison. Il est resté six mois en préventive. Lui et les autres incarcérés ont fait des grèves de la faim, ce que Mark Barnsley ne conseille pas vu qu’on a besoin de force en prison. Les campagnes de soutien ont eu leur effet. Ils ont été libérés et les charges changées. D’où l’importance du soutien extérieur. Au procès, des gens avaient des images de lui avec son premier sac et des images des flics changeant le sac. D’où l’importance des médias indépendants.

Le point central de son expérience pour tenir en prison, c’est l’intégrité personnelle. Ne rien lâcher de soi-même, ne rien accepter, tout refuser. Il en a pris plein la gueule pendant huit ans, a fait 30 prisons différentes, des quartiers de haute-sécurité et ce genre de joyeusetés mais aujourd’hui il peut se regarder sans honte et est toujours lui-même. Ce qui est extrêmement important car après la prison la majorité des gens sont cassés, avant tout par rapport à eux-mêmes, et ne sont plus capables de rien, ce qui est le but. Cette intégrité se sent dans le regard des autres détenus qui savent qu’eux ont perdu quelque chose que lui a gardé. Même chose avec les gardiens. Quand il est finalement sorti, un gardien lui a dit que pour avoir tenu comme ça il doit sans doute être innocent. L’intégrité personnelle, c’est tout ce qui lui restait à sa sortie de prison. Il a mis cinq mois avant de retrouver des repères sociaux et à se fixer quelque part. Il est sorti en 2002. Pour plus d’infos, taper son nom sur le net dans un moteur de recherche.

Une des choses qu’il a refusé, c’est le travail en prison. Il nous a rappelé que l’Angleterre est le cheval de Troie des Etats-Unis en Europe. La première prison privée a été construite en Angleterre en 1991 par l’Etat et louée à une société privée américaine. Là-bas, les chômeurs et les pauvres sont considérés comme des charges, ici on y arrive. En prison ils peuvent être utiles, ils travaillent pour que dalle pour les multinationales. Les gens n’ayant plus d’allocations sociales doivent s’en sortir autrement, certains commettent des délits et vont travailler en prison. Ceux qui décident de lutter contre ce système de précarisation risquent également d’aller travailler en prison car, de plus en plus, tout acte politique est assimilé à du terrorisme, avec les lois et les peines qui vont avec. Aux Etats-Unis, les entreprises privées gestionnaires des prisons font du lobbying auprès de la justice pour élargir les critères d’incarcérations. Sans rire, leur slogan, « Build them and they will come », les prisons fleurissent. En prison les détenus travaillent pour des consortiums privés qui par ailleurs ont supprimé leurs installations en Europe pour aller les installer dans des pays un peu plus lointains, dans des zones franches hors de toute notion de droit et elles aussi surveillées par des gardes armés. La boucle est bouclée. Pour plus d’infos : http://www.againstprisonslavery.org


Deux mots sur l’évolution des poursuites judiciaires suite au sommet du G8 à Gênes

Des avocats italiens et madame Giuliani sont venus faire le point sur les procès qui s’ouvrent actuellement à Gênes. Comme Martin Shaw, si son fils n’avait pas succombé d’une balle dans la tête, il serait sans doute aujourd’hui sur le banc des accusés.

Ces avocats font partie d’un collectif qui s’est créé en mars 2001, parce qu’ils ont compris que leur présence allait devenir nécessaire. Il y a actuellement environ 500 inculpés et quelques centaines d’autres personnes en investigation. On se sait pas encore si ces derniers seront poursuivis, ce sont des gens qui n’ont été ni interpellés ni arrêtés.

Il y a un procès de 25 personnes qui commence, elles sont accusées de dévastation et pillage. Elles risquent entre 8 et 16 ans de prison. C’est un procès plutôt difficile car l’Etat veut prouver que même si les personnes ne se connaissent pas, il y a un « consensus psychique préalable ». Si une personne est prise à casser une vitrine, elle risque 6 mois ou un an. S’il y a concert préalable, les peines sont plus lourdes. Mais d’un point de vue plus large, le but est d’assimiler le déplacement à une manifestation, si on connaît un risque de casse, à une approbation de cette casse. En quelque sorte, si la personne se déplace, c’est qu’elle accepte le risque, le but étant que les gens restent chez eux. D’un manière encore plus large, il s’agit de scinder les gens entre ceux qui arrêtent la contestation et ceux qui se radicaliseront et passeront à d’autres méthodes de lutte.

C’est le premier procès en Italie qui se base sur cassettes vidéos comme preuves. A Gênes, il y avait des centaines de caméras, les publiques de surveillances dans les rues, les privées de surveillance des banques, celles des flics, celles des médias officiels, celles des médias indépendants. Tout ce matériel sert à poursuivre.

Une nouvelle loi fait également son apparition en Italie, comme ailleurs en Europe, dans laquelle est assimilée à du terrorisme toute action portant atteinte à l’économie et aux institutions de l’Etat. Sans plus de précision.

Le samedi 26 avait lieu l’audience préliminaire pour décider de la continuation des poursuites contre 29 flics impliqués dans le commando d’attaque contre l’école Diaz. Il s’agit de 29 représentants des forces de l’ordre dont des commissaires de toute l’Italie. Procès important car s’ils sont poursuivis, il y aura moyen d’apporter des débats sur tout ce que la police a mis en place pour créer ce climat de violence. A cette occasion, le public ne pouvait arriver jusqu’au palais de justice, les papiers d’identité des participants et des avocats de l’accusation contre les carabiniers ont été photocopiés. Un parlementaire vert a également été identifié de la sorte. Les avocats des carabiniers, dont plusieurs font partie de l’extrème-droite au pouvoir, ont eux reçus des saluts militaires à leur arrivée.

En octobre commence un procès concernant les centaines de faits de tortures commis dans la caserne Bolzaneto. L’avocat pense que personne ne sera condamné car en Italie il n’existe pas en droit de crime de torture.

Il termine son bref exposé en demandant du soutien. Il expose la nécessité d’un mouvement international derrière eux car leur travail est très difficile. Ils sont en conflit avec les magistrats et un grand nombre d’avocats. Car ils ne sont pas d’accord avec la pratique habituelle de la justice italienne qui tente de trouver des arrangements. Avec les avocats, juges, procureurs qui vont manger ensemble et discuter des affaires. Il voit leur métier comme une opposition et une nécessité d’être en conflit. Pour défendre cette position ils ont besoin de soutien.

Voilà en bref une part de ce qui s’est dit le dernier week-end de juin à Genève. Les participants venaient de Suisse, Belgique, France, Finlande, Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne,… On apprend également à cette occasion que le gradé des carabinieri orchestrant les opérations à Gênes lors du sommet du G8 en juillet 2001 orchestre aujourd’hui les troupes italiennes en Irak.

Heu… Il semblerait que la guerre soit mondiale.

gerald@bruxxel.org
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