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Un avertissement pour ceux qui osent critiquer Israël
by Robert Fisk Wednesday, Jun. 30, 2004 at 12:21 PM

Un avertissement à ceux qui osent critiquer Israël au pays de la liberté de parole. Un autre cas d'étude : Mary Robinson

Voyez Mary Robinson, ancienne présidente de l'Irlande, ancienne Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, l'oratrice qui devait prendre la parole à la cérémonie de remise de diplômes à l'Université d'Emory aux États-Unis. Mary Robinson a commis une grossière erreur. Elle a osé critiquer Israël. Elle a suggéré - abomination entre toutes - que les « racines du conflit israélo-arabe sont l'occupation ». Alors ça, Mary ! « Occupation » ? Cette remarque n'est-elle pas un peu anti-israélienne ?

Est-ce que vous suggérez vraiment que l'occupation militaire de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza par Israël, que son utilisation d'exécutions extrajudiciaires envers les terroristes palestiniens, que le fait d'abattre des écoliers lanceurs de pierres, que le vol en masse de terres arabes afin d'y construire des maisons pour les Juifs, que tout cela est en quelque sorte mal ? Je vous ai peut-être mal comprise. Sûrement. Parce que votre réponse à ces ignobles calomnies, à ces insultes vis-à-vis de votre droit à la liberté de parole, à ces attaques diffamatoires sur votre intégrité, a été semblable au gémissement d'un chaton. Vous avez été « très blessée et consternée ». C'est, avez-vous dit au Irish Times, « affligeant que des allégations soient faites qui sont complètement infondées ».

Vous auriez dû menacer vos accusateurs d'une action juridique. Quand j'ai prévenu ceux qui ont écrit dans leurs cartes postales haineuses que ma mère était la fille d'Eichmann, qu'ils allaient recevoir une lettre de mon avocat - Peggy Fisk était dans la RAF pendant la deuxième guerre mondiale, mais qu'importe -, ils sont devenus tout à coup silencieux.

Mais non, vous êtes « blessée ». Vous êtes « consternée ». Et vous permettez au Professeur Kenneth Stein de l'Université Emory d'annoncer qu'il est « troublé par l'apparente absence de vigilance requise de la part des décideurs qui ont invité [Mary Robinson] à prendre la parole ». J'adore ces mots : « vigilance requise ». Mais sérieusement, comment pouvez-vous permettre que cette version tordue de votre intégrité reste impunie ?

Consternée. Ah, Mary, poor diddums* (pauvre petite).

J'ai essayé de vérifier l'orthographe de « diddums » dans le Webster's, le dictionnaire américain le plus stimulant et le plus important. Pas de chance. Mais alors, à quoi bon, quand la troisième édition internationale du Webster's définit « antisémitisme » comme l'« opposition au sionisme : sympathie avec les opposants de l'État d'Israël » ?

Alors quoi ? Si vous ou moi suggérons - ou en effet si la pauvre petite Mary suggère - que les Palestiniens en voient des dures sous l'occupation israélienne, alors nous sommes « antisémites ». Ce n'est que justice, bien entendu, de citer la réponse minable de l'agent officiel du Webster's, M. Arthur Bicknell, à qui on a demandé une explication au sujet de cette grotesque définition.

« Notre travail », a-t-il répondu, « consiste à refléter de façon précise l'anglais tel qu'il est utilisé aujourd'hui. Nous n'émettons aucun jugement personnel, nous ne sommes pas politisés. » Ce qui encore plus hystériquement drôle et révoltant, c'est qu'il dise que les éditeurs du dictionnaire compilent des « citations manifestes » sur l'antisémitisme, publiées dans « des livres en prose et des magasines soigneusement écrits ». Aussi absurde que cela soit, cette remarque dans le style de Janus mérite les rires les plus jaunes.

Même les impropriétés de langage de l'anglais américain sont maintenant au service de ceux qui censureront hors antenne les critiques de la politique proche-orientale d'Israël.

Et je précise bien « hors antenne ». Je viens de recevoir une note légitimement scandalisée de Bathsheba Ratskoff, un producteur et éditeur de l'American Media Education Foundation (MEF), qui dit que leur nouveau documentaire sur « la fermeture des débats autour du conflit israélo-palestinien » - en réalité un film sur les équipes de relations publiques israéliennes en Amérique - a été la cible de la « Jewish Action (sic) Task Force » (JAT). Le film « Peace, Propaganda and the Promised Land » devait être montré au Musée des Beaux-Arts de Boston.

Alors, qu'est-il arrivé ? La « JAT » a demandé des excuses envers la communauté juive et la « promesse d'une plus grande sensibilité (sic) dans le futur quand il s'agit de s'attaquer au conflit du Proche-Orient et à Israël ». Les membres de la JAT « pourraient envisager de menacer d'annuler leur adhésion et de différer leurs contributions ».

En temps utile, une certaine Susan Longhenry du Musée des Beaux-Arts a écrit une lettre nauséeuse à Sut Jhally du MEF, dans laquelle elle faisait référence aux préoccupations de « beaucoup de membres de la communauté de Boston » - bien entendu, non identifiés - suggérant une projection à une autre date (parce que la projection originale devait avoir lieu le jour du sabbat) et une discussion qui permettrait aux critiques de condamner le film. La lettre se terminait par ces mots - et ici je vous recommande vivement de prendre connaissance des paroles ambiguës du pouvoir - « nous avons fait beaucoup d'efforts pour éviter d'annuler totalement les projections de ce film ; néanmoins, si vous n'êtes pas en mesure d'approuver notre approche révisée, alors j'ai bien peur que nous n'ayons pas d'autre choix que de les faire annuler. »

Mme Longhenry a-t-elle envie d'être une souris ? Ou voudrait-elle voir le verbe « to longhenry » apparaître dans le Webster's ? Ou au moins dans le dictionnaire d'Oxford ? Ne craignez rien, le patron de Mme Longhenry a annulé sa lettre pusillanime. Du moins, pour le moment.

Mais quelle est la motivation finale de tout cela ? Dimanche dernier, j'ai été invité à parler à la télévision irlandaise TV3, au cours d'un programme diffusé à l'heure du déjeuner, à propos de l'Irak et du soutien du président Bush au nouveau Mur de Sharon en Cisjordanie. Vers la fin de l'émission, Tom Cooney, un professeur de droit à l'University College de Dublin (UCD), a tout à coup déclaré que j'avais traité une unité de l'armée israélienne de « canaille » - et c'est absolument vrai, c'est ce qu'ils sont - et que j'avais rapporté qu'ils avaient commis un massacre à Jénine en 2002.

Je n'ai pas dit qu'ils avaient commis un massacre. Mais j'aurais dû. Une enquête ultérieure a démontré que les troupes israéliennes avaient en toute connaissance de cause tué des civils innocents, tué une infirmière et roulé avec leur véhicule sur un paraplégique en chaise roulante. « Diffamation ! », a hurlé Cooney. TV3 s'est immédiatement - et avec justesse - dissociée de cette diffamation. Une fois de plus, j'ai noté l'implication d'une université éminente dans cette calomnie - l'UCD est l'une des meilleures institutions universitaires en Irlande, et je ne peux qu'espérer que Cooney fasse preuve d'une plus grande discipline académique avec ses jeunes étudiants qu'il ne l'a fait sur TV3. J'ai bien sûr reçu le message. Boucle-la. Ne critique pas Israël.

Alors, laissez-moi terminer sur une note positive. Tout comme Bathsheba est un Juif américain, des Juifs britanniques sont également en pointe avec une organisation appelée Deir Yassin Remembered, qui commémore le massacre d'Arabes palestiniens par des milices juives près de Jérusalem en 1948. Ils se sont souvenus cette année des victimes arabes de ce massacre (le 9 avril), le même jour où les chrétiens commémorent le Vendredi Saint.

La journée a également été marquée par le quatrième des huit jours de la pâque juive. C'est aussi tombé le jour anniversaire de l'exécution en 1945 du pasteur Dietrich Bonhoeffer par les nazis dans le camp de concentration de Flossenburg. Le même jour : la libération des Juifs il y a 3000 ans, la mort d'un Juif palestinien il y a 2000 ans, la mort d'un chrétien allemand il y a 59 ans, et le massacre de plus de 100 hommes, femmes et enfants palestiniens il y a 56 ans. Hélas, Deir Yassin Remembered n'a pas la publicité qu'elle mérite.

Le dictionnaire Webster's stigmatiserait fallacieusement les sympathisants de Deir Yassin Remembered d'« antisémites », et de « nombreux membres de la communauté de Boston » contesteraient sans aucun doute cette organisation. L'éminent professeur de droit de l'UCD crierait « Diffamation ! » Nous devons attendre pour savoir ce qu'en pense l'UCD. Mais ne soyons pas « blessés » ni « consternés ». Continuons juste à raconter les choses telles qu'elles sont. N'est-ce pas cela que l'école du journalisme américain était supposée nous apprendre ?

Source :
http://www.robert-fisk.com/articles397.htm