arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le transfert de souveraineté en Irak est une boîte vide
by david pestieau Friday, Jun. 25, 2004 at 11:07 AM

Les Etats-Unis annoncent pour ce 30 juin le «transfert de la souveraineté» de l'Irak à un gouvernement intérimaire irakien. Cette souveraineté sera-t-elle réelle? Qui va composer le nouveau gouvernement? Va-t-on vers la fin de l'occupation? Réponses de Mohammed Hassan, spécialiste du Moyen Orient.

La date du 30 juin signifie-t-elle le retour de la souveraineté irakienne, comme l'annonce Bush?

Mohammed Hassan. Le 30 juin est surtout lié aux élections américaines. Bush veut pouvoir direaux électeurs: «Nous avons résolu le problème irakien, nous avons transmis le pouvoir aux Irakiens et si nous restons, c'est à leur demande.»

C'est la reproduction du scénario qu'a connu l'Irak en 1921 où le colonisateur britannique a nommé un Conseil arabe qui dirigeait formellement le pays. Alors que l'occupation par les forces de la Royal Army a continué jusqu'en 1932.

Après le 30 juin, l'administrateur civil Bremer sera remplacé par l'ambassadeur US Negroponte, qui a siégé jusqu'il y a peu à l'Onu et qui a été impliqué dans la mise sur pied des escadrons de la mort en Amérique centrale dans les années 80.

Le gouvernement irakien n'aura rien de souverain. Il n'a de contrôle sur rien d'essentiel. Le Wall Street Journal a écrit le 13 mai, je cite: «M. Bremer et les autres officiels américains ont discrètement mis en place des institutions qui fourniront aux Etats-Unis de puissants leviers permettant d'influencer de près toutes les décisions importantes que prendra le gouvernement intérimaire.»

Le journal boursier américain précise que «le nouveau gouvernement irakien aura un maigre contrôle sur ses forces armées, n'aura pas le pouvoir de faire ou de changer les lois et n'aura pas la possibilité d'adopter des décisions majeures dans les différents ministères sans l'approbation tacite des Etats-Unis.»

Des membres du Conseil de gouvernement se sont plaints aux Nations-Unies car ils n'ont pas accès aux contrats pétroliers signés par l'Autorité provisoire, ceux-ci restant secrets. Le fameux ordre 39 qui a privatisé toute l'économie irakienne ne peut être abrogé par le nouveau gouvernement.

Quatorze bases américaines militaires permanentes sont en train d'être construites. Et le gouvernement irakien n'aura aucun veto sur l'action de l'armée américaine tandis que la nouvelle armée irakienne est sous la coupe d'instructeurs américains. Dites-moi, où est le début d'une quelconque souveraineté?


Mais le gouvernement irakien peut renvoyer les troupes américaines?

Mohammed Hassan. Comment un gouvernement nommé directement par les Etats-Unis (l'envoyé de l'Onu a dû avouer qu'il n'avait rien eu à dire dans cette nomination), composé de huit ministres issus de mouvements financés par les Etats-Unis, de deux membres de nationalité américaine, demanderait-il le renvoi des troupes américaines? Ce gouvernement est tellement impopulaire qu'il demandera aux Etats-Unis de rester pour les protéger de la colère du peuple irakien.


Il y a quand même eu des changements dans la nomination d'un nouveau gouvernement. L'homme du Pentagone, Ahmed Chalabi, pressenti comme Premier ministre, semble être tombé en disgrâce?

Mohammed Hassan. Les Américains ont finalement préféré Iyad Allawi, un agent de la CIA dans les années 90 et plus proche du Département d'Etat de Powell. Là aussi, le changement n'a rien de bon pour le peuple irakien. Le New York Times du 9 juin doit même concéder que le groupe d'Allawi a organisé des attentats en Irak dans les années 90, notamment contre des cinémas et des bus en vue de déstabiliser le régime nationaliste.Mais la nomination d'Allawi est une reconnaissance indirecte que la résistance a porté des coups sérieux à l'occupant.


Une reconnaissance indirecte?

Mohammed Hassan. Oui, Allawi a été nommé car la tactique employée par Chalabi et Bremer a échoué. Ceux-ci ont forcé au démantèlement de l'ancienne armée irakienne. Et ont ordonné une répression contre tous les cadres de l'ancien régime baassiste. La bataille de Fallujah, où l'armée américaine a dû battre en retraite, a été un tournant: les Américains ont nommé un ancien général de l'armée de Saddam Hussein pour contrôler la ville insurgée. Le noyau de la résistance est effectivement composé de jeunes officiers de l'ancienne armée.

De la même manière, les Américains ont décidé de nommer Allawi, qui a été officier de l'armée irakienne dans les années 70, pour essayer de recruter d'anciens officiers baassistes. Ils espèrent ainsi affaiblir la résistance. Allawi propose déjà une amnistie aux résistants qui veulent rejoindre la vie civile ou intégrer la nouvelle armée. Mais il y a peu de chances que cela réussisse. Les experts américains reconnaissent que la résistance s'intensifie dans tout le pays.


Il y a aussi la nomination du président, le sheikh sunnite Ghazi Al-Yawer, issu de la plus grande tribu d'Irak, les Shummar

Mohammed Hassan. Là aussi, la nomination d'un sheikh provenant de Mossoul, un des bastions de la résistance, vise à s'accomoder une partie de la résistance. Al-Yawer a vécu fort longtemps aux Etats-Unis et en Arabie saoudite. Les Américains le désignent comme représentant sunnite, comme ils désignent Allawi comme représentant chiite, alors que la tribu des Shummar comme quasi toutes les tribus d'Irak sont composées à la fois de chiites et de sunnites.

Et alors que l'immense majorité des tribus irakiennes rejettent le gouvernement irakien actuel, y compris dans la propre tribu des Shummar. En réalité, la résistance irakienne entraîne des contradictions très profondes dans tous les partis dont les dirigeants collaborent à l'occupation.

Les partis pro-iraniens, comme le Dawa et le Conseil suprême de la Révolution islamique, voient leur influence se réduire au profit du mouvement nationaliste de Moqtada Al-Sadr, déjà interdit de participation aux prétendues élections. Les partis pro-US kurdes qui croyaient tirer les marrons du feu sont marginalisés. Des factions de ces partis rejoignent le front de la résistance.


Lire

L'Irak face à l'occupation (EPO), ouvrage de Mohammed Hassan et David Pestieau sur la résistance irakienne. En vente (15 euros) en librairie

Mohammed Hassan et David Pestieau présentent une formation (en anglais) à l'Université marxiste d'été: «Defeating the US. Resistance, Terrorism & Nationalism in the Middle East». Du 20 au 22 août. Infos: http://www.marx.be et 02/50.40.144.


Rassemblement le mercredi 30 juin, 16-18h, devant l'ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, pour exiger: pas de gouvernement fantoche en Irak, halte à l'occupation, aucune participation belge, souveraineté pour Irak. Organisation & infos: http://www.stop.usa.