Elections / "Un peu plus de la même chose ne fera pas reculer l'extrême-droite" by raf Tuesday, Jun. 15, 2004 at 6:45 PM |
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Faut-il plus de proximité, comme le disent les politiques francophones? Ca ne servira qu'a créer plus de clientélisme, répond l'ancien député ECOLO Vincent Decroly. Pour lui le système ne se trouve pas dans une crise profonde mais réparable, il est en impasse totale. "Ce système a oublié qu'il a été crée pour proteger les gens, il crée des souffrances, c'est ça la raison pour les progrès de l'extrême droite".
Vincent Decroly. Ex-député indépendant, Membre de la commission d'enquête parlementaire
« Dutroux, Nihoul et consorts » d'octobre 1996 à février
1998. A passé au total 8 ans au parlement. Fait aujourd'hui partie
de l'Observatoire Citoyen, une association luttant contre la pédo-criminalité.
Auteur (avec Erik Rydberg) de Principes élémentaires de la
propagande arc-en-ciel
Vincent Decroly: Presque tout le monde redit ce qui a été
dit après les élections de 1991 et toutes les élections
depuis. Il faut une stratégie de proximité, une meilleure écoute
etc. Mais ça signifie encore plus de clientélisme, plus de
psychologisation.
Qu'entendez-vous par psychologisation?
Vincent Decroly: C'est rendre psychologiques des choses qui ne relèvent
pas de la psychologie. Je donne un exemple: le droit à l'intégration
sociale. Avec la loi initiale de 1974 on disait qu'on ne peut demander aux
pauvres d'être des citoyens à part entière sans qu'ils
aient un minimum de revenu. Mais en 2002 le parlement change totalement ces
données. Il dit qu'on ne peut avoir ce revenu que si on remplit les conditions.
On met à côté la politique et la conjoncture et on dit
que le fait d'être au chômage, de ne pas avoir de revenu dépend
de la responsabilité individuelle. On explique des faits sociaux par
des faits psychologiques.
On évite donc les vrais problèmes?
Vincent Decroly: En effet. Je vois 2-3 axes dont on n'ose pas parler.
Tout d'abord, dans le contexte politique, le suffrage presque'universel que
nous connaissons est de plus en plus vidé de son contenu par le transfert
des décisions vers des centres de pouvoirs qui ne rendent de compte
à personne, comme la Commission Européenne, l'Organisation
Mondiale du Commerce, le Fonds Monétaire International etc.).
Puis l'appareil d'état connaît des problèmes de bureaucratisation,
d'opacité, de violence même. Les appareils d'état deviennent
de plus en plus incompréhensibles. Les gens ont délégué
des pouvoirs à l'état, pour avoir un minimum de protection,
pour garder une solidarité, contre le caractère parfois très
brutal de la nature humaine. Mais l'état oublie cela, il est à
l'origine de certaines souffrances.
Prenez l'exemple des enfants disparus. Plusieurs de ces victimes auraient
pu être sauvées, si seulement l'état avait fonctionné
sur base de la délégation de responsabilité avec laquelle
travaille quand-même la police.
On assiste à ce que j'appelle la "chosification" ou la marchandisation.
Ce contexte économique manque dans l'analyse de l'extrême droite,
c'est-à-dire la "chosification" généralisée des
êtres humains et leur "marchandisation" par le néolibéralisme.
On voit les exemples de la prostitution, de la pédo-criminalité,
mais aussi lors de délocalisations, au travail, dans l'industrie les
gens ses entent comme des objets.
La politique de proximité dit pourtant que tout ira mieux?
Vincent Decroly: Je n'y crois pas, puisque nous ne sommes déja
plus en état de crise. Quand une crise devient structurelle, ce n'est
plus une crise, c'est une impasse, un cul-de-sac. A force d'ajustements structurels
et de plans d'austérité, une incroyable barbarie quotidienne
est imposée à de larges couches de la population, notamment
des enfants et des femmes, dans les pays en voie de développement
mais aussi chez nous. Ce système devient très insécurisant.
Regardez le taux de suicide parmi les jeunes. Ce n'est pas un phénomène
d'individus, c'est un signal de détresse, de manque qui doit être
interprêté et pris en compte comme tel par la politique. C'est
tout autre chose que de dire: "Laurette Onkelinx doit un peu plus visiter
les marchés".
En examinant les médias, on dirait qu'il n'y a plus d'opposition
de gauche. Qu'est-ce que vous pensez de cette thèse?
Vincent Decroly: Les pressions sur la presse écrite et les médias
audio-visuelles sont elles-aussi un signe de malaise. Il y a deux semaines
Gino et Carine Russo l'ont dit sur RTL-Tvi: nous avons des journalistes institutionnalisés,
alignés sur les autorités, de plus en plus conformistes et
de moins en moins libres pour des raisons économiques. Pour moi, il
y a aussi un manque de courage. Les Russos posent aussi la question du parlement:
les parlementaires ne font que presser des boutons, les partis disposent
à 100% des parlementaires. Or, après cette émission
c'était le tollé dans la presse francophone, "les Russos sont
allés trop loin, c'est le dérapage" etc., une réaction
très caractéristique. Lorsque des politologues disent dans
un cadre académique que le parlementarisme est malade, la presse les écoute avec déférence; mais lorsque les
Russos disent la même chose, on crie: "c'est du Poujadisme"!
Quelle est pour vous l'évolution politique depuis le premier
Dimanche Noir de 1991?
Vincent Decroly: La relation entre parlement et pouvoir exécutif
est-elle meilleure maintenant qu'en 1991? Le parlement a-t-il plus à
dire? Non. J'ai été au parlement pendant 8 ans. Et je constate
que le parlementarisme est malade, chez nous et en d'autres pays européens.
La malaise s'est accru depuis 1991. Le gouvernement impose la discipline
à ses parlementaires; je vois une caporalisation des députés.
Je prends un autre exemple: notre politique vis-à-vis des personnes
étrangères, par exemple, s’est-elle améliorée
avec la création de centres fermés ou des mineurs étangers
sont incarcérés, des expulsions violentes qui ont coûté
la vie à la jeune Sémira, ou des "ruses" pour déporter
des groupes de Roms, qui ont valu à la Belgique sa première
condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme depuis la
fin des années 80 ?
La conclusion est claire: nous sommes dans un pays moins démocratique
qu'en 1991. Faut-il plus de proximité? Oui, mais pour faire quoi?
On devrait parler un peu moins de la démocratie et un peu plus la
travailler dans la pratique.
Observatoire citoyen by raf Sunday, Jun. 20, 2004 at 8:47 AM |
raf@indymedia.be |
Vincent Decroly travaille actuellement avec l'Observatoire citoyen:
"une association qui fait la promotion des droits de l'enfant et des droits de la défense des victimes, qui se mobilise pour une politique cohérente et volontariste de luttre contre la (pédo-)criminalité organisée, et propose des outils citoyens et démocratiques pour faire progresser ces revendications dans tous les secteurs de la vie sociale".