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Sille Moens, coopérante de M3M, témoigne de Kinshasa
by Sille Moens Sunday, Jun. 06, 2004 at 4:12 PM
sille_moens@yahoo.fr

Bukavu, une ville importante au Sud-Kivu (dans l’Est du Congo) est de nouveau tombée dans les mains des “rebelles” soutenus par Rwanda. Sille Moens, coopérante de l'ong Médecine pour le Tiers Monde à Kinshasa, témoigne.

Mercredi 2 juin

Bukavu, une ville importante au Sud-Kivu (dans l’Est du Congo) est de nouveau tombée dans les mains des “rebelles” soutenus par Rwanda. Le Président Joseph Kabila, , fait référence a une nouvelle agression de la République Démocratique du Congo par le Rwanda. Il a confirmé que c’est depuis ce mercredi à 5 heures locale que les troupes de l’Armée patriotique rwandaise (APR), avec l’appui des insurgés du RCD, ont pris le contrôle de la ville de Bukavu. Kabila a annoncé des mesures prises pour défendre la patrie, notamment la mobilisation générale des ressources humaines, financières et de la logistique.

Jeudi 3 juin

De masses d’étudiants de l’Université, des hautes écoles et écoles secondaires marchent sur le centre ville et sur le quartier de Limete, contre l’occupation de Bukavu par l’armée rwandaise. Ils tiennent le mouvement rebelle RCD et la MONUC – les troupes de l’Onu au Congo – responsable lorsqu’elle n’entreprend rien pour empêcher l’avance des troupes rwandaises. Des bâtiments et des camions de la MONUC sont attaqués et mis au feu. C’est la foule dans les rues, j’estime les manifestants à être entre 1 et 2 millions de personnes (sur une population kinoise d’entre 8 et 10 millions). Les mamans avec leurs enfants suivent le mouvement, mais elles sont moins nombreuses. Les manifestants crient qu’ils ont le ras le bol de la guerre, que la MONUC doit quitter le Congo parce qu’elle ne fait rien contre l’agression. Et ceci malgré le « chapitre 7 » de la résulution des NU qui changeait le statut de la MONUC l’année passée de mission d’observation en mission d’intervention. Les étudiants brûlent plusieurs véhicules de la MONUC et aussi trois de ses bâtiments. Sur tous les grands rond points on brûle des pneus pour bloquer la circulation.
Huit personnes meurent dans les moments les plus violents, dont trois sont abattus par la MONUC. La police congolaise tire en l’air pour disperger la foule et éviter des pillages. Ils ont reçu les ordres de protégér personnes et biens. Les étudiants restent très disciplinés et les pillages sont limités. Les sièges de quelques partis politiques sont quand-même vidés. La ville est complètement paralysée, on ne travaille pas, les magasins sont fermés.
De la radio et de la télévision, je note les témoignages comme suivent :
« Le sang de nos frères et sœurs à Bukavu coule sur nos têtes. Et ceci avec la complicité de la MONUC. Nous allons prendre le sort dans nos mains et nous étudiants nous allons combattre les Rwandais avec l’armée congolaise et les policiers. »
« Notre pays n’est pas à vendre à n’importe qui! » « Américains go home! » « Ils veulent nos richesses, ils ne veulent que piller notre pays. »
« Nous voulons la paix, que la transition aboutisse, les élections sont la seule chose que nous avons. Laissez- nous organiser les élections. »
« Notre gouvernement doit mettre tout en œuvre pour protéger nos frères et sœurs, regagner notre territoire. Ceci est un appel de la population à notre gouvernement. »
« Il y a quatre vice-présidents, 56 ministres et plus de 600 parlementaires et députés dans cette transition, ils sont payés et nous avons faim chaque jour. Ils doivent prendre leur responsabilité pour ramener la paix à Bukavu et dans l’ensemble du Congo. »
Le président Kabila parle encore à 23h. Il dit qu’il comprend la colère de la population qui a été exprimée de façon spontanée et qui s’explique par l’attachement de la population à l’intégrité du territoire. Il affirme que la Mission des Nations Unies au Congo, MONUC en sigle, est une mission de paix qui opère de manière harmonieuse avec le Gouvernement de la République, pour permettre à la Transition d’atteindre ses objectifs. Il continue: « La solidarité que vous venez de manifester vis-à-vis de nos frères et sœurs de Bukavu ne peut nullement justifier les dégâts matériels causés aux biens d’autrui. »
Il déclare que le Rwanda veut mettre en péril la transition et le rétablissement de l’autorité de l’état sur l’ensemble du territoire. « La mobilisation dont vous avez fait montre, aujourd’hui, dans tous les coins et recoins du pays, constitue un signal fort que le Peuple n’acceptera pas qu’un autre pays, fut-il le Rwanda, prenne en otage son destin. »
Il demande à la population d’être calme et vigilant et d’avoir confiance dans les institutions de la transition, « afin qu’elles n’amènent le Peuple aux élections libres et démocratiques ». Il dit que les mésures adéquates ont été prises pour restaurer la paix à Bukavu. Il invite la MONUC a s’impliquer avec plus de détermination pour la libération de Bukavu.

Vendredi 4 juin

Ces mêmes étudiants qui ont organisé la manifestation d’hier, disent à la radio que la population doit rester à la maison, que ce n’est pas dans l’intérêt de la patrie de piller le peu d’installations qu’il y a. Les chaînes de télé émettent des chansons patriottiques pour la paix avec un message du gouvernement qui demande que la population se maîtrise, laisse tranquille les expatriés et les gens de la MONUC. Mais ils félicitent et remercient aussi les étudiants qui ont pris l’initiative d’hier pour l’amour de leur patrie et l’unité territoriale et qui ont pu maintenir une certaine discipline.
J’entends des coups de feu de la police congolaise jusque 13h. La manifestation d’aujourd’hui a pris un autre caractère, il y a eu menace de pillages généralisés par les enfants de la rue, les gangsters de la ville, etc. Mais les messages du président et de plusieurs ministres sont passés à la télé toute la journée pour appeler la population au calme. Maintenant ce calme s’est restauré à Kinshasa. Mais mes amis congolais me conseillent de ne pas sortir car les gens prennent tous les blancs pour des gens de la MONUC et ils sont vraiment en colère totale contre eux.
La ville est toujours paralysée. Les gens ne peuvent pas se déplacer au boulot parce qu'il n'y a pas de transport. Des médecins ne peuvent pas se rendre aux hôpitaux, avec des conséquences graves pour certains malades et blessés. Quelques jeunes ont été blessés et un jeune est mort parce qu'on a dû l'amener à l'hôpital à pied, faute de transport. SN Brussels Airlines a annulé déjà deux vols.
La police a barricadé plusieurs routes qui mènent au centre ville. C'est ça qui explique que la masse est restée bloquée dans les quartiers populaires. Les coups de feu étaient beaucoup plus nombreux aujourd'hui que hier. Les images du Boulevard du 30 Juin, au centre ville, montraient un Boulevard désert, le même Boulevard qui était encore noir de monde hier. La masse n'est donc plus arrivée là où elle a attaqué les bâtiments de la MONUC hier au centre ville.
Selon plusieurs représentants étudiants, les protestations d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec celles d'hier. Les étudiants se sont réunis aujourd'hui pour évaluer leurs actions d'hier. Ils avaient prévu hier leurs propre service de sécurité (des sportifs) pour éviter des pillages (en dehors des pillages bien sûr de la MONUC et des sièges de certains partis politiques). Les étudiants déclarent que ceux qui se sont montrés dans la rue aujourd'hui sont des enfants et bandes de la rue qui provoquent et veulent récupérer et discréditer le mouvement des étudiants.
Un représentant étudiant déclarait que la marche d'hier était un avertissement à la MONUC. Les étudiants apprennent que les rwandais continuent à déployer leurs troupes à travers le Sud-Kivu et qu'ils avancent vers le Nord-Kivu. On dit que les agresseurs continuent à avancer pendant que la MONUC est là.
Les réactions des étudiants envers Kabila semblent être positifs, ils veulent seulement que le gouvernement prenne sa responsabilité en faisant partir les Rwandais du territoire. « Le gouvernement doit rétablir l'unité territoriale », disent-ils. « Nous ne voulons pas que le gouvernement tombe, ni que le président part ou que la transition s'arrête, comme certains provocateurs qui veulent récupérer notre mouvement disent. »

Samedi 5 juin

Un contact à Bukavu me raconte que les soldats rwandais sont postés dans différents coins stratégiques. Les viols, pillages et tueries continuent, surtout pendant la nuit. La MONUC circule seulement sur les grandes routes. Leurs hélicoptères circulent pendant 30 min et attérissent de nouveau. Il dit sur Goma que la MONUC est en train d’évacuer son matériel et qu’apparaiment la MONUC veut quitter là-bas.
Un autre contact à Bukavu dit qu’il a vu neuf camions avec du matériel de construction Il pourrait s’agir du matériel pour construire de nouveaux camps pour les rwandais. Il ajoute qu’il n’y a plus de possibilité de transport à Goma depuis hier 21h. Il dit que les rwandais veulent prévenir que les gens puissent suivre leurs transports d’armes. Ils prennent aussi tous les GSM chez les gens pour prévenir que des informations passent à Kinshasa.
Un contact à Goma témoigne que l’armée rwandaise avance vers d’autres villes et il avertit le gouvernement à Kinshasa de ne pas se laisser distraire par les promesses que les rebelles font en disant qu’ils vont quitter la ville de Bukavu parce qu’il ne vont pas quitter.
J'ai appris que Verhofstadt avait relayé le discours de Kagame, selon lequel il n'y a aucun militaire rwandais à Bukavu. Les Congolais a qui j'en ai parlé étaient très choqués par cette prise de position, qui place la Belgique dans le camp du Rwanda et des Etats-Unis.

salut Sille
by antoine Tuesday, Jun. 08, 2004 at 10:18 PM

Je suis très content d'avoir une information alternative sur cette affaire, venant du Congo.
Fait attention à toi, que tout se passe bien !