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Dien Bien Phu : La preuve par le peuple
by Laurent Duprès Friday, May. 07, 2004 at 3:53 AM
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Un cinquantième anniversaire qui vient à point. Se souvenir de la démonstration populaire de Dien Bien Phu contre le monstre capitaliste.

Le commandant colonial De Castries s'était sûrement dit, "des hauteurs de Dien Bien Phu, deux cent siècles me contemplent" croyant ainsi pouvoir imiter ses classiques de l'école de guerre, depuis Charlemagne jusque Napoléon et Pétain-De Gaulle.
Ce que Dien Bien Phu a brisé, ne se limite pas uniquement au vieu rêve colonial français. Cet événement alors inattendu a apporté une démonstration par le peuple, que les anciennes conceptions du monde pouvaient être brisées. Le colon maître, qui battait les indigènes - comme les contremaîtres en métropole battaient les ouvriers et violaient leurs enfants - avait perdu de sa superbe, de son invincibilité. Dien Bien Phu intervient à la suite d'un autre basculement : les troupes les plus puissantes au monde viennent de subir un échec cuisant en Corée, où les invincibles marines de Mac Arthur, Eisenhower et Bradley ont été repoussés au sud de Kaesong par une armée de volontaires chinois et coréens faiblement armés. La continuation du premier conflit chaud de la guerre froide va donc trouver une première issue temporaire dans cette cuvette haute de deux milles mètres.

A l'époque, nul ne mettait en doute la supériorité totale de l'armement colonial, ni son entraînement et il ne viendrait à personne l'idée de miser un copec sur le vietminh de Ho Chi-Minh et Vo Nguyen Giap. La question fondamentale que pose ce conflit, comme celui qui se posera partout comme en Irak aujourd'hui, est de bien cerner ce que les nouvelles technologies apportent dans un conflit militaire. L'armement fait-il tout ? décide-t-il irrémédiablement de l'issue de la bataille ? Non, évidemment. Les Français, ravitaillés par air et bien entraînés ont adopté des tactiques neuves : paracommandos, mortiers, nids de mitrailleuses mobiles, fumigènes et communication radio par faisceau hertziens codés. Cet état de fait n'a pas empêché la débacle.
En effet, ces éléments de modernité ont en réalité joué contre les Français. Considérant que leur supériorité en matériel et logistique leur fournirait une victoire facile, ils ont omis toute considération évidente au sujet du terrain et de l'adversaire. Au contraire, le front de libération vietnamien avait compris tout ce qu'il y avait à retirer comme substance conceptuelle des conflits antérieurs, tant en URSS, en Chine et en Corée.

Le choix du maréchal de Lattre de Tassigny de mener une guerre de tranchée et de blockhaus a été tout de suite mis en défaut par le génie populaire. Convaincu que même une logistique puissante ne pourrait pas amener sur les côtes élevées une artillerie lourde, le commandant colonial ne s'est pas prémuni face à cette menace. C'était sans compter sur le savoir faire ancestral des paysans de la forêt tropicale. Les tiges de bambous constituent en effet des structures tout à fait appropriées à supporter des charges lourdes - elles sont toujours utilisées par exemple par les entrepeneurs chinois de Hong Kong pour la construction de buildings !

Sous la mousson, le Vietnminh parvient dans le plus grand secret a hisser jusqu'aux sommets de Dien Bien Phu des vieux canons, que l'armée de Mao a pris aux Américains et aux Japonais pendant la guerre civile. Lorsque ces vieux coucous commencèrent à forcer le barrage en béton des troupes coloniale, le sort de l'empire était scellé. Le duel d'artillerie ne pouvait que tourner au profit du vietminh, vu que l'approvisionnement en munition ne pouvait pas durer éternellement dans le temps. Même par leurs rotations incessantes, les transports militaires français n'étaient pas en mesure de pouvoir envoyer sur chaque cote le matériel nécessaire, alors que le peuple tout entier à raison de marches dans la boue, se relayait pour acheminer depuis la frontière chinoise les précieuses munitions. Lorsque quelques semaines plus tard, le corps expéditionnaire français se rendra, on trouvera dans le dédale des blockhaus un butin militaire impressionnant que les hussards n'ont même pas eu l'idée de d'utiliser : qu'à cela ne tienne, on retrouvera sur la route Ho ChiMinh le matériel flambant neuf de l'armée française !

Somalie, Yougoslavie et Irak

Ce que nous pouvons retenir de Dien Bien Phu tient en quelques phrases. La supériorité de l'armement n'est jamais négligeable, mais elle ne définit en rien la victoire ou la défaite à priori. La guerre est en fin de compte menée par des hommes sur le terrain. Aucune armée ne possède pas de points faibles. Récemment, de bons exemple sont venus à nous. En 1991, la coalition américaine a littéralement atomisé une armée irakienne qui ne comprenait rien à la guerre dans le désert, et à ce que signifiait une bataille contre un ennemi beaucoup plus puissant. Sa défaite demeure avant tout politique, car elle n'a su exploiter aucun point faible de la coalition. Deux ans plus tard, les Somaliens de Mohamed Faraah Aideed montreront que, armés de machettes et de fusils semi-automatiques révolus, ils parviendront à chasser les marines de Bush Père.
Plus convaincant encore, le cas yougoslave a montré en 1999 la limite de l'armement moderne. Après quatre-vingt jours, les GI's de Clint et Blair n'auront détruit que treize blindés au sol, et auront tué plus de deux milles civils. Mal armés, sans véritable défense aérienne, les Yougoslaves ont montré en tout cas que la maîtrise d'un terrain arpenté mètre par mètre, suffisait à tenir en respect les plus puissantes armées du moment et c'est politiquement à nouveau que le problème se posera. Lui-même compromis par ses choix nationalistes, à la fois repliés et à la fois pro-occidental pendant des années, le clan Milosevic ne pouvait plus mobiliser son propre peuple derrière la défense du territoire, sans quoi le conflit aurait pu tourner différemment.

Aujourd'hui, nous voyons que l'Irak ressemble à une mosaïque de clans et de groupes politiques et militaires mais tous (en tout cas, ceux qui se battent aujourd'hui contre l'occupation) ont saisi l'importance de la tactique politique et militaire. L'Irak ne peut pas gagner de grandes batailles comme Austrlitz ou Sadowa, mais l'Irak peut infliger de lourdes pertes à un géant aveuglé, et par là, obtenir une première victoire politique qui pourrait amener des victoires plus importantes.
La supériorité à tout égard des anglo-saxons a à nouveau aveuglé ses possédants : une artillerie n'est utile que dans un champ ou contre un objectif lointain. Dans l'optique du combat rapproché, toute la dialectique sur les armes sophistiquée doit être revue, et comme par "magie" (en réalité, par déduction, nous deviosn nous attendre à pareille situation), nous voyons que la plus puissante armée du monde est à nouveau mise en échec par des hommes en guenilles, mal nourris et mal armés ! Et de là à comparer au Vietnam, les commentateurs les plus verreux n'hésitent plus non plus.

C'est conceptuellement que Bush perd pied. C'est idéologiquement que les capitalistes sont défaits. En 1999, les menteurs criaient victoire sur RTL et RTBf en affirmant qu'ils avaient la preuve que des avions suffisaient à la victoire, que leur armement était sans comparaison. Nous avons aujourd'hui la preuve du contraire. Même si le conflit est loin d'être terminé, ces quelques éléments devraient renforcer notre conviction dans le fait que l'étude de l'histoire et de la science demeure importante. leur mise en oeuvre dans la réalité constituera un aboutissement pour donner un sens à l'existance.

PhD Laurent Duprès
Harvard Medical School
Boston MA02114