Autre chose: ce jeudi le 7 mai l'on commémore la
victoire historique qu'a remporté le peuple vietnamien il y
a tout juste 50 ans à Dien Bien Phu. Le 7 mai 1954, après
un siège de 170 jours et 57 "jours d'enfer" dans
"la plus furieuse, la plus longue bataille du Corps
expéditionnaire français en Extrême-Orient
(cit. les anciens-combattants français sur leur site-web
officiel), la Légion a du se rendre à l'armée
vietnamienne sous la conduite du général Giap. Dans
les années qui suivent, la colonie française est
reprise par les Etats-Unis comme un receleur reprend d'un
cambrioleur une radio volée. Or, le 7 mai 2004 le
président Jacques Chirac se rend aux Invalides à
Paris pour une cérémonie avec les anciens
combattants français de Dien Bien Phu.
Héroisme
Et
voilà que le magazine du Figaro du 9 avril 2004 réécrit
un peu l'histoire de Dien Bien Phu sous le titre '57 jours
d'héroisme'. Faut le lire, ça vaut la peine. En mai
1953, écrit le FigMag, le général français
Navarre est nommé en Indochine "pour créér
les conditions militaires qui favorisent un règlement
politique". Un règlement de quoi? Du Vietnam "accédé
à l'indépendance en 1949" mais devenu trop
indépendant puisque trop proche de la Chine. Navarre adopte
"une stratégie défensive", tandis que "le
Vietminh lance une offensive vers le Laos qui vient de signer un
accord de défense avec la France". La France, à
quelques milliers de kilomètres de chez elle, se sent
menacé et, le 20 novembre 1953, fait parachuter six
bataillons. Qui disait défensive?
Pour le FigMag
d'aujourd'hui, il est clair que le president Ho Chi Minh à
l'époque menait "aussi une guerre des Vietnamiens du
Nord contre ceux du Sud". Or, après la bataille -
pendant laquelle ce même Ho Chi Minh "refusait
l'intervention de la Croix-Rouge qui demandait l'évacuation
des blessés" - une armistice est signé le 21
juillet 1954, puis "les dernières troupes françaises
quitteront en 1956 un pays coupé en deux. Pour les
Vietnamiens du Sud, la guerre continuera aux côtés
des Américains et se terminera en 1975 par la chute de
Saigon". Vous avez bien lu: aux côtés, donc, des
Américains. "Depuis, le Vietnam est communiste".
C'est-à-dire, Washington n'a pas pu empêcher que les
Rouges prennent le pouvoir dans tout le Vietnam.
A la
mode
Dien Bien Phu figure, façon FigMag, dans un
dossier (En Couverture) intitulé Le Temps Retrouvé
des Colonies. Un dossier d'une vingtaine de pages, amplement
illustré, puisque: "le colonial est devenu
furieusement tendance". Et oui, l'époque colonial est
fort à la mode. A voir l'article Esprit Colonial sur tout
ce qu'on vend maintenant style "malle des Indes",
"bureau du gouverneur", "habit tropical" etc.
etc.
Pour le côté ideologique, le Figaro
Magazine ouvre ses colonnes à quelques porte-paroles de la
nostalgie coloniale.
Selon le réalisateur
Jean-Jacques Annaud, "la colonisation répondait à
un souci missionnaire". Auteur du "film d'aventure Deux
Frères" (sur des colons qui vont à la chasse de
tigre, mais "du point de vue des tigres"!!), Annaud ne
veut pas "noircir à l'extrême". Il dit:
"Quand la Grande-Bretagne ne songeait qu'à bâtir
des manufactures et des lignes de chemin de fer pour exporter des
matières premières locales, les autorités
francaises, elles, s'appliquaient à construire des routes,
des hôpitaux et des écoles".
L'écrivain
Max Gallo ajoute que les "colonies ont coûté
beaucoup plus d'argent à la France qu'elle n'en ont
rapporté". Gallo vient de publier L'Empire-Tome I,
dans lequel il essaye "de faire surgir les multiples aspects
de cette conquête coloniale". Et il continue: "Il
faut dire les horreurs - par exemple les constructions de chemins
de fer qui n'ont pas été une chose humaniste".
Annaud doit donc refaire ses devoirs.
Pour Gallo, tout
commence lorsque l'Alsace-Lorraine est "amputé"
de la France par les Prussiens. La France doit alors chercher une
compensation. Elle est aussi, dit Gallo, animée par une
"vocation universelle qui voulait élever tout le monde
dans le même moule républicain (...) Il faut imaginer
le choc des colons qui arrivaient dans un village. Ces hommes
violents, brutaux, souvent alcooliques, ont été
confrontés à une civilisation qui leur est apparue
complètement monstrueuse: le cannibalisme, les meurtres
rituels". Puis, les colons vivent dans des conditions rudes:
pas de climatisation, pas de réfrigérateur, "on
meurt beaucoup".
Faut pas, dit le FigMag via ces
personnalités culturels, continuer à se
culpabiliser. Gallo: "ça n'a pas de sens de faire de
la France le seul pays qui serait en état de péché
historique.
Objection!
Puisque Jean-Jacques Annaud
nous éduque par son cinéma sur les grandes mérites
de la France coloniale, on se sent obligé de répondre
aux Nostalgiques de la Colonisation par quelques films africains
basés sur l'histoire des luttes anti-coloniales.
Le
Mauritanien Med Hondo tourne dans les années '80 le film
"Sarraounia", bio épique de la reine des Aznas du
même nom qui à la fin du 19-ème siècle
se lance dans une guerre de guerilla contre le capitaine français
Voulet et ses collaborateurs. Le film a été censuré
par périodes par les institutions culturelles françaises,
et pour cause.
Le Sénégalais Sembène
Ousmane réalise "Camp de Thiaroye". Lorsqu'en
1944 des tirailleurs sénégalais et autres de
l'Afrique de l'Ouest sont démobilisés, la France les
enferme dans un camp à une vingtaine de kilomètres
de Dakar et refuse de les payer leurs soldes. Leur mutinerie,
pourtant justifiée, est étouffé dans le sang.
Sembène n'a jamais pu réaliser son film sur
cet autre figure emblématique de la résistance
anti-coloniale, Samory Touré.
Le Malgache Raymond
Rajaonarivelo tourne en 1987 "Tabataba" sur
l'insurrection de 1947 au Madagaskar contre l'occupant français.
En 1948, l'état-major français estime qu'il y a
89.000 morts.
Une question réthorique pour conclure:
Où donc est passé la "vocation universelle de
la France d'élever tout le monde"? Puis une question
pratique: pourquoi la nostalgie du colonialisme apparaît-elle
maintenant?
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