Après une introduction de Francois
Houtart, le président de la commission, la parole est allée
à Jean Bricqmont, professeur de physique théorique à
l’ULB, et tenant ici le rôle de procureur. Il
établit d’abord un parallèle avec la guerre du
Vietnam. En effet, lors de cette dernière, les experts qui
avaient exprimé leur soutien à la déclaration
de guerre contre le Vietnam ne voulaient pas à l’époque
revenir sur leur décision, parce que, pour eux, un expert
ne peut pas se tromper. Reconnaitre qu’on a eu tort, c’est
se discréditer. La position des experts sur le cas de
l’Irak est la même. Le problème est que si
cette guerre ne peut être gagnée, c’est
terrible pour les Irakiens. Ils continueront de subir de lourdes
pertes, car les USA n’admettront jamais qu’ils avaient
tort. Autre parallèle posé entre ces deux
guerres: le nombre de soldats US tués en Irak jusqu’à
aujourd’hui excède déjà celui de
soldats US morts pendant les trois premières années
de la guerre du Vietnam!
Il
rappelle aussi que l’on a déclaré la guerre à
l’Irak au nom de la démocratie. Le problème
est que les personnes ayant pris la décision de cette
guerre n’étaient pas en prise avec la réalité
du terrain. La plupart n’étaient jamais allés
en Irak, et il n’y a pas de rapport établissable
entre la vie aux Etats-Unis et celle en Irak. Le problème
est que les USA usent du militaire pour propager leurs idéologies
à travers le monde. Le gouvernement américain
agite la démocratie comme un bel étendard,
cependant, dans les rapports nord-sud, où est elle?Les flux
d’argent dirigés vers le nord pour appurer la dette
du tiers-monde sont faramineux, tandis que ceux dirigés
vers le sud pour payer main d’oeuvre et produits sont
dérisoires. Il attaque également les
néo-conservateurs (qui constituent une grande majorité
au sein du PNAC). Ces derniers seraient “néo”,
mais pas très conservateurs! En effet, dans le sens où
ils veulent changer l’ordre mondial actuel, on peut dire que
ce n’est pas une attitude très conservatrice! Après
la chute du communisme et des nationalismes, il y a eu une
restauration d’un certain ordre à l’échelle
mondiale, comme il y en eu à l’époque de la
chute de Napoléon en Europe. Seulement, l’ordre
mondial que les conservateurs veulent établir serait
exclusivement à l’avantage des USA. Monsieur
Bricqmont fini son argumentation en concluant que les personnes
qui sont pour cette guerre et pour l’établissement
d’un ordre mondial comme celui-là défendent
peut-être des intérêts financiers, mais qu’ils
ne montrent en rien des sentiments humains.
La
parole est ensuite donnée à la défense. Tom
Barry, directeur de l’”Interhemispheric Resource
Center” s’exprime en premier. La PNAC est accusée
par beaucoup de libéreaux et de progressistes de poser un
certain nombre de principes et de recommandations. Mais,
affirme-t-il, ces principes et recommandations sont basées
sur des valeurs universelles, et sur la réalité des
relations de pouvoir dans le monde d’après la guerre
froide. La Pax Americana est perçue comme un Empire par les
critiques, alors qu’elle serait aussi régie par des
valeurs morales. Certains gouvernements occidentaux condamnent
les néo-conservateurs, mais, dit-il, leur vision est
trompée par leur propre hypocrisie. Il cite la
non-intervention européenne lors du fratricide yougoslave.
Il indique aussi qu’en 1996 et 1997, les fondateurs de
la PNAC avaient averti qu’un manque de considération
des affaires internationales mettait en péril la stabilité
et la paix mondiale. Il admet qu’il est encore trop tôt
pour évaluer les conséquences de l’existence
de la PNAC et de la politique de Bush, mais il affirme que les
initiatives des néo-conservateurs (dont le slogan est “les
idées ont des conséquences”) ont permis des
réformes favorables aux droits de l’homme au
Moyen-Orient...
Intervention
ensuite de Jim Lobe (conseiller politique et analyste américain),
deuxième défenseur. Il prolonge ici l’idée
de Tom Barry qui citait l’avertissement des fondateurs de la
PNAC à propos du manque de considération pour les
affaires internationales. Il va plus loin en faisant un parallèle
avec l’isolationnisme américain lors de la seconde
guerre mondiale. Les néo conservatistes, qui dominent dans
le PNAC, considèrent que l’isolationnisme américain
est la cause de l’holocauste. Ils le considèrent
comme un grand danger, qui ne peut dès lors pas être
autorisé. Les USA seraient une force mondiale agissant pour
le bien. Il ajoute qu’il y a une grande confusion à
propos du PNAC. Il déclare donc que la PNAC publierait
tout, et qu’il n’y aurait pas de notion de
confidentialité.Il rappelle également que la PNAC
formait la base de la politique étrangère américaine
après le 11 septembre.
Enfin, seul “témoin” de la
matinée, Geoffrey Geuens, auteur du livre “Tous
pouvoirs confondus”, et assistant en information et
communication à l’Université de Liège.
Il nous fait ici un bref et laborieux inventaire des
principales personnes faisant partie du PNAC, ou ayant
régulièrement signé des documents du PNAC
ainsi que leurs activités. On y constate des liens
flagrants entre ces derniers et les industries du pétrole
et de l’armement. Quelques exemples: -Bruce P.Jackson :
Un des quatre directeurs exécutifs du PNAC, directeur du
comité amércain du think tank de l’OTAN,
ex-officier en charge de l’intelligence militaire pour
l’armée américaine, ex-membre du cabinet du
secrétariat de la défense, ex-directeur du
développement global, et ex-vice-président exécutif
de Lockheed Martin (entreprise d’armement), il est dans le
noyau de création du comité pour la libération
de l’Irak, etc -Randy Scheunemann : Fondateur et
président du comité pour la libération de
l’Irak, consultant pour la politique irakienne au cabinet du
secrétaire de la défense, membre du comité
américain à l’OTAN, ex-président de
Mercury Group, une firme de lobbying qui avait comme clients,
entre autres, BP america et Lokheed Martin. -Lewis E.Lehrman
et Jeb Bush, qui sont partenaires dans Arbusto Energy,
l’entreprise pétrolière des Bush. -Thomas
Donnelly, Dick Ceney, Norman Mineta, Edward C.Aldridge et Joseph
W. Ralston, qui ont tous, de près ou de loin, un lien avec
l’entreprise d’armement Lockheed Martin. Après
maints exemples comme ceux ci, Geoffrey Geuens a appuyé sa
thèse selon laquelle les liens entre états et
capitaux ont augmenté qualitativement et quantitativement
au cours du temps.
Questions
au témoin:
Jean Bricqmont: Dans quelle mesure les
liens que vous avez démontré peuvent avoir une
influence au niveau des décisions du PNAC? Excluez vous les
facteurs idéologiques? Geoffrey Geuens répond
que mettre l’accent sur les liens économiques et sur
ceux entre le monde politique et le monde des affaires n’exclut
pas la prise en compte des facteurs idéolgiques. L’histoire
personnelle des individus a bien sûr une influence,
cependant, on constate juste qu’il y a un dénominateur
commun entre l’appareil politique américain et le
complexe militaro-industriel.
Tom Barry et Jim Lobe
interviennent alors en faisant remarquer que lors de l’énumération
de personnes, la différence entre les directeurs du PNAC et
les signataires occasionnels n’avait pas été
établie. Ils avancent même que ce sont surtout les
signataires plutôt que les membres qui auraient été
mis en avant.
G. Geuens répond qu’il a
insisté sur les signataires parce que la structure des
think tank est souvent la même. Il conçoit que c’est
une instance de réflexion avant tout, et que dès
lors, il est logique d’y retrouver du personnel intellectuel
à temps plein. Dans ces think tank, on met à l’avant
plan les enjeux idéologiques, pourtant, ce sont les
industriels qui les appuient...L’image que ces derniers
veulent donner de ces think tank est d’être seulement
des groupes de réflexion. C’est, dit-il, la division
du travail de domination. Il y a plein d’autres
organisations, mais le PNAC est un élément en plus
de cette recherche de monopole.
Samir Amin, un des membres
de la commission, s’interroge sur le danger de trop mettre
l’accent sur les relations spéciales entre les think
tanks qui élaborent toute les idéologies et les
stratégies américaines avec les complexes
militaro-industriels. Les intérêts qui dirigent le
capitalisme, ce n’est pas seulement le marché des
armes, comme ce n’est pas seulement l’intérêt
collectif, c’est les deux, avance -t-il.
G.Geuens
nie avoir porté une attention particulière à
l’armement, mais il s’est juste rendu compte que les
membres du PNAC avaient plus particulièrement eu des liens
avec le monde militaro-industriel. Il y a bien sûr d’autres
rapports, mais c’est surtout dans ces sociétés
que se retrouvent les membres du PNAC. Aussi puissante ait été
cette organisation, il n’y aurait jamais eu d’intervention
sans le monde financier derrière.
Une de dernières
questions est posée par Denis Halliday, autre membre de la
commission: Y a-t-il aussi des groupements semblables au PNAC en
Europe?
G.Geuens répond que, par exemple, il y
avait des intérêts français importants en
Irak, notament avec Etienne d’Avignon. Il existe des
groupements semblable au PNAC en Europe, avec des conseils
d’administration où se retrouvent les mêmes
personnes, quelques figures intellectuelles, et parfois même
syndicales.
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