L’aide au sous-développement by Patrick Gillard Friday, Mar. 12, 2004 at 11:04 AM |
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Dans une “opinion” publiée dans “La Libre Belgique” (1), l’ambassadeur de Belgique honoraire plaide pour une meilleure gestion de la coopération parce que «le “développement” que l’on “aide” depuis une cinquantaine d’années n’a pas lieu». «Alors que les colonies étaient florissantes», se rappelle Léon Doyen, l’indépendance «a précipité presque partout un déclin qu’une aide relativement énorme n’a pas réussi à arrêter». Bref, pour notre ancien diplomate, «ces pays “pauvres” ne le sont que depuis l’”Indépendance”».
A qui Léon Doyen incrimine-t-il la responsabilité de cette décadence africaine ? Aux dirigeants européens ? Pas du tout. Aux autorités africaines et aussi aux peuples eux-mêmes qui «n’ont pas été capables d’exiger de leurs dirigeants un comportement responsable». Nostalgique, notre ambassadeur honoraire rêve même : «S’il y avait là-bas autant de Belges que d’Africains en Belgique, avec les mêmes droits et protections (sic), l’ensemble des populations s’y porteraient mieux.»
Bien qu’elle comporte quelques informations erronées et un certain nombre d’idées saugrenues, l’opinion de notre ancien diplomate mérite notre respect. Elle en est d’autant plus digne qu’elle exprime - je crois - un sentiment assez partagé au sein de la population. Cette marque de courtoisie n’empêche cependant pas l’expression d’une critique des propos publiés par ce connaisseur de l’Afrique centrale. Parmi les nombreuses questions que le lecteur se pose au terme de la lecture de cette “opinion”, il en est une fondamentale sur laquelle il est important de revenir ici : celle de la définition de l’aide au développement.
QU'EST-CE QUE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ?
Sous une expression des plus ambiguës, se dissimulent des opérations et des mécanismes financiers, allant du don pur et simple au prêt accordé à un tarif préférentiel, que l’on prétend destinés à soutenir des projets de développement dans le Tiers Monde. Négociés entre des pays donateurs “développés” et riches et des états bénéficiaires “sous-développés” ou appelés “en voie de développement”, ces transferts monétaires du Nord au Sud poursuivent l’objectif déclaré de soutenir la croissance économique et améliorer les conditions de vie des seconds à partir des critères de développement propres et avantageux aux premiers. Composante à part entière de la politique étrangère et de la stratégie du commerce extérieur des pays occidentaux (2), l’aide au développement peut aussi se concrétiser par des transferts de matériel, de technologies, de services et de personnel spécialisé, du Nord vers le Sud.
De nombreux pays industrialisés ont longtemps pratiqué aussi ce que l’on appelle l’«aide liée», c’est-à-dire le mécanisme par lequel un pays bénéficiaire de l’assistance est contractuellement tenu d’acheter, en contrepartie de celle-ci, des produits et services à l’État bailleur de fonds et, tous comptes faits, à un niveau presque équivalent à l’aide prétendument reçue. Il est par exemple de notoriété publique que «Le Canada bénéficie d’environ 70 cents de chaque dollar dépensé au titre de l’aide au développement, grâce notamment à l’achat de produits et de services canadiens.» (3) Le Canada ne figure pourtant pas en tête du classement des pays pratiquant l’«aide liée». Entre 1995 et 1999, la première place de ce palmarès protectionniste était conjointement occupée par la Suisse et la Suède. «Seuls trois pays donateurs de premier plan ont usé avec beaucoup de modération de cette méthode : les États-Unis, la Belgique et l’Espagne.» (4) D’une réelle transparence et ne pratiquant pas l’habituelle langue de bois diplomatique, l’Agence canadienne de développement internationale (ACDI) reconnaît entre autres - ce qui doit être valable pour tous les autres pays riches donateurs - que «Beaucoup de projets aident à créer de nouveaux marchés pour les produits et services canadiens.» L’ACDI ajoute : «Aujourd’hui, par l’entremise du programme d’aide, quelque 2 000 entreprises canadiennes établissent des contacts avec des marchés en pleine croissance.» (3)
En dépit de son appellation trompeuse, l’aide publique au développement est donc tout sauf une oeuvre philanthropique. L’ACDI admet même qu’«il en coûterait beaucoup plus de ne pas avoir de programme d’aide.» (3) En soutenant un minimum de développement à long terme dans les pays les plus pauvres, les riches pays donateurs contribuent donc surtout à éviter d’onéreuses crises qui, sans leurs “généreux” dons, ne manqueraient pas de se déclencher un peu partout dans le monde. Somme toute, il n’est pas faux de dire qu’en bonne logique capitaliste, l’aide au développement rapporte autant, si pas davantage, aux pays donateurs qu’aux bénéficiaires. Dans cette optique, est vaine et inutile la vieille discussion qui oppose les partisans d’une réduction, voire d’une suppression, de l’assistance aux pays pauvres, à ceux qui, au contraire, souhaitent qu’elle se maintienne à son niveau actuel ou qu’elle augmente en importance - les fameux inatteignables 0,70% du revenu national brut des pays occidentaux. De même qu’est sans objet le débat rouvert par Léon Doyen de savoir si l’aide au développement est «plus une question de gestion que d’argent». Car, comme l’a si bien montré François Partant, dépassant les clivages gauche/droite traditionnels, tous ces protagonistes «perd[ent] de vue que l’aide est une absolue nécessité pour les pays industrialisés. L’aide ne sert qu’au maintien de l’ordre économique indispensable à la croissance de ces derniers. Par conséquent, elle ne peut que favoriser le SOUS-développement.» (5)
Patrick Gillard
Bruxelles, le 10 mars 2004
Notes
(1) http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=156715 et Léon DOYEN, «Plus une question de gestion que d’argent», dans «La Libre Belgique», Sa 6 et Di 7/3/04, p. 25. Sauf indication contraire, les citations sont tirées de cet article.
(2) En Belgique, les ministères des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement - trois ministres et une secrétaire d’État - “se vendent” ensemble à travers le même service public fédéral. http://diplobel.fgov.be/fr/default.asp
(3) http://www.acdi-cida.gc.ca/cida_ind.nsf/0/93FCA3B153AAD349852568F0004D0300?OpenDocument#3
(4) http://www.rfi.fr/fichiers/MFI/EconomieDeveloppement/710.asp
(5) François PARTANT,«Que la crise s’aggrave !», L’Aventurine, 2002, p. 86. Les propos de François Partant, qui datent de 1979, reçoivent un écho régulier dans l’actualité récente. Avec Aminata Traoré, par exemple, qui écrit au sujet de son pays, le Mali, que l’«“aide” extérieure (...) ne cesse de diminuer et ne profite qu’aux pays “donateurs” et à une minorité de nationaux bien placés et initiés» (Aminata TRAORÉ, «Le viol de l’imaginaire», Fayard, Actes Sud, 2002, p. 86).