arch/ive/ief (2000 - 2005)

Qui concocte les plans européens pour l’emploi ?
by Henri Houben Saturday, Mar. 06, 2004 at 3:46 PM

L’été pourrait être chaud en Belgique. Ce n’est pas l’avis d’un météorologue, mais d’un analyste politique. En effet, le gouvernement belge prépare une série de mesures destinées en gros à accroître la flexibilité du marché de l’emploi, à entraver les possibilités de prendre une retraite anticipée et, de façon générale, à restreindre les dépenses de sécurité sociale. Déjà, les dispositions d’ “ activation ” des chômeurs visent à forcer les salariés à accepter n’importe quel emploi. On pourrait voir se développer dans notre pays des “ working poors ”, c’est-à-dire des gens qui travaillent, mais dont la rémunération demeure trop faible pour vivre décemment. Un modèle à l’américaine.

Les chevaliers de la compétitivité
La question qui nous préoccupe ici est celle de savoir : d’où vient cette orientation ? qui l’a propulsée ?
Pour y répondre, il faut remonter en 1983. A ce moment se crée une organisation qui aura une importance capitale dans la construction européenne actuelle : la Table ronde des industriels européens (ERT, selon le sigle anglais). C’est la réunion d’une petite cinquantaine de présidents de grandes multinationales européennes, dont celui de Renault, de Philips, de Shell, de BP, de Bayer, de Siemens.

L’ERT aura une influence décisive. C’est elle qui promeut la création d’un marché unique au niveau européen, puis celle d’une monnaie commune. Et la Commission européenne reprendra ces idées presque telles quelles.

Il est intéressant de noter que le premier argument avancé par l’ERT pour ses projets est l’emploi. Mais, lorsque l’on regarde les propositions, il est clair que ce que veulent les présidents de multinationales, ce sont des mesures en faveur des entreprises. La Commission n’adoptera cette logique de raisonnement qu’en 1993, avec le livre blanc de Jacques Delors (alors président de la Commission) sur la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Mais l’ERT poursuit son travail de lobbying. Il souffle dans l’oreille de Delors l’idée de créer un groupe sur la compétitivité, dépendant de la présidence de la Commission. Cela sera accepté au sommet d’Essen en décembre 1994, mais le groupe n’aura qu’un statut consultatif. Peu importe, il commence à produire des rapports, qui paraissent toujours peu avant la tenue d’un sommet européen.

Dans celui de 1997, ce groupe consultatif sur la compétitivité (GCC) présente sa philosophie de base : “ Le GCC considère qu’il n’est pas, pour les pays de l’Union européenne, de priorité plus élevée que la création d’emplois et la réduction du chômage. Il est convaincu que la seule voie qui permette d’atteindre effectivement et durablement cet objectif est celle de la compétitivité. Avoir l’ambition de jouer à nouveau les premiers rôles dans l’économie mondiale est pour l’Europe la recette du succès dans la lutte pour l’emploi ” (1). Autrement dit, l’emploi est la manière de présenter les choses. Ce qui importe, c’est la compétitivité des entreprises. Et pourquoi ? pour que celles-ci deviennent leaders au niveau mondial.

L’Europe de Lisbonne
C’est le raisonnement qu’on retrouvera au sommet européen de Lisbonne, en mars 2000. Là, les chefs d’Etat donnent une nouvelle orientation à l’Union européenne : celle de faire en 2010 de l’Europe “ l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ” (2).

Pour cela, ils définissent des objectifs. Ils se traduisent essentiellement en :

- diminution des charges pour les entreprises en matière fiscale, sociale et administrative ;

- flexibilisation du marché de l’emploi, avec comme conséquence précarisation des situations sociales, développement du temps partiel et des contrats temporaires ;

- développement des fonds de pension privés, non pour régler les problèmes de vieillesse, mais pour alimenter les marchés financiers sur lesquels ces fonds sont très actifs ;

- privatisation de services publics, en particulier dans les domaines des télécoms, du transport, de la poste et de l’énergie ;

- orientation de l’enseignement vers le marché...

Et pour exécuter ce programme, la Commission innove. Elle propose la méthode ouverte de coordination. Chaque année, sont définies des orientations générales pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Mais chaque Etat établit un plan d’action national (PAN), qui définit les mesures qui vont être adoptées en fonction des particularités du pays.

De cette façon, le processus est contraignant, car ce sont les Etats eux-mêmes qui fixent ce qu’ils vont faire. En même temps, les citoyens ont l’impression qu’il s’agit d’une disposition proprement nationale, alors qu’elle a été concoctée au niveau européen.

Reprendre le modèle US pour vaincre les USA
L’ERT est un fervent défenseur de cette stratégie dite de Lisbonne. Keith Richardson, secrétaire général de l’ERT de 1988 à 1998, fait du sommet de Lisbonne le point d’orgue de l’influence de l’ERT sur les instances européennes (3).

L’UNICE, la confédération patronale européenne, qui regroupe les fédérations patronales des pays européens (membres de l’Union et au-delà), est sans doute partie en retard sur ce projet. Aujourd’hui, elle en est également un partisan acharné. Ses reproches, comme ceux de l’ERT d’ailleurs, concernent la vitesse à laquelle les projets sont adoptés. Elle veut une accélération du processus et une prise en charge effective par les Etats membres des décisions à mettre en oeuvre dans ce cadre.

C’est donc pour cela que le gouvernement belge va prendre les mesures présentées en introduction. C’est pour cela que la France arrête de payer les allocations de chômage après une période. C’est pour cela que l’Allemagne s’en prend elle aussi à son modèle social.

Lisbonne, c’est le modèle américain pour battre les Américains. Voilà le projet majeur de l’Union européenne. Une Europe sous influence, un slogan gauchiste ?

(1) Groupe consultatif sur la compétitivité, La compétitivité pour l’emploi, premier rapport au président de la Commission et aux chefs d’Etat ou de gouvernement, novembre 1997.
(2) Conseil européen de Lisbonne, “ Conclusions de la présidence ”, Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, point 5.
(3) Keith Richardson, “ Big Business and the European Agenda ”, Sussex European Institute, Working Papers, n°35, septembre 2000, p.25.
http://www.sussex.ac.uk/Units/SEI/pdfs/wp35.pdf

Mr.
by Marbaix Tuesday, Mar. 09, 2004 at 12:20 PM

Les conclusions du Conseil Européen de Lisbonne (2000), un des principaux documents cités (No 2) sont disponibles ici :

http://ue.eu.int/newsroom/LoadDoc.asp?MAX=1&BID=76&DID=60917&LANG=1

Je n'y ai pas trouvé mention d'une privatisation de l'enseignement. De même, les fonds de pension n'y sont que très peu abordés (élimination des barrières à l'investissement).
Je pense que l'article noirci à dessein (anti-européen) le tableau.