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Appel aux sénateurs : l’antiterrorisme, pas à n’importe quel prix
by Jean-Marie DERMAGNE & Jan FERMON Thursday, Feb. 12, 2004 at 3:21 PM

Le 13 novembre dernier et dans l’indifférence quasi-générale, la Chambre des représentants a approuvé le projet de loi relatif aux infractions terroristes. Les débats ont été particulièrement brefs si l’on tient compte des enjeux inhérents à ce projet.

Selon le texte adopté par la chambre, est terroriste l’infraction qui, «de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d'intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale.» (article 137)

La personne qui commet une infraction reprise dans la liste du projet de loi avec cette intention particulière, pourra être considérée comme terroriste.

Outre, par exemple, le détournement d'avion, l'attentat à la bombe ou l’utilisation d'armes nucléaires, la liste mentionne les infractions suivantes: coups et blessures volontaires, destruction ou dégradation de bâtiments, d'écluses, de voies ferrées ou de monuments et autres sites d'utilité publique, destruction, dégradation ou inondation d'une infrastructure, d'un système de transport, d'un bien public ou privé lorsque des vies humaines sont mises en danger ou que l’infraction occasionne des dégâts économiques considérables.

Ainsi, une personne ayant dessiné des graffitis dans l’environnement urbain (dégradation d’objets destinés à l'utilité ou à la décoration publique, article 526 du Code pénal) pourra être considérée comme un terroriste ! Il suffit que le parquet et le juge considèrent, en toute subjectivité, que ces dégradations ont causé « des pertes économiques considérables » et ont été faites avec l’intention de « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales du pays ».

Tombe également sous le coup de ce projet de loi, la menace de commettre une telle infraction (même si elle n’est pas suivie d’effet) et le fait d'aider un «groupe terroriste». Toute forme de soutien à ces organisations peut entraîner une peine effective de dix ans de prison.

Cette qualification entraîne au mois trois graves conséquences. Tout d’abord, les peines encourues sont beaucoup plus lourdes. Deuxièmement, cette aggravation rend la détention préventive applicable à toutes les infractions terroristes, fait notable à l’heure ou tout le monde se plaint de la surpopulation des prisons. Troisièmement, des écoutes téléphoniques, et même des « pénétrations » de domicile l’insu des occupants (article 90 ter du Code d’instruction criminelle) peuvent être ordonnées sans flagrant délit.

Dans le mémoire explicatif accompagnant la décision-cadre européenne qui est à l’origine de l'actuel projet de loi, il est expressément indiqué que la «violence urbaine» est visée. Ce terme est utilisé par les services policiers pour les révoltes de jeunes dans les quartiers défavorisés ou pour les incidents qui peuvent émailler les manifestations des altermondialistes. Récemment, quatre altermondialistes originaires de Liège ont été mis sur écoute et leurs courriers électroniques ont été contrôlés sur base de la loi sur les organisations criminelles. Finalement, aucune charge n’a été retenue contre eux. Ce projet porte de telles dérives en germe.

Aucun député ne semble s’être demandé si cette loi était vraiment nécessaire. Le code pénal belge contient pourtant suffisamment de lois qui rendent le terrorisme punissable comme celle sur les associations de malfaiteurs, homicide,... et qui prévoient de sévères sanctions. Les lourdes condamnations prononcées à l’issue du procès « Trabelsi » le prouvent.

On peut également se demander si l’intention politique d’un acte criminel doit nécessairement aggraver la peine qui en découle. Ceci rompt avec la tradition législative qui confère une certaine forme de privilège au délit politique, comme au délit de presse, en les soumettant au jury populaire de la Cour d’Assise. La définition de la violence politique varie en fonction de celui qui en parle. Certains parlent de dommages collatéraux, d'autres de souffrance humaine, d'actes héroïques ou encore de vengeance. L'actuel projet de loi introduit un concept incontrôlable qui entraînera inévitablement des abus politiques. Quelques petits exemples. L'État turc voulait mettre l'association Médecins sans Frontières sur la liste des organisations terroristes, parce qu'elle soignait des Kurdes. Dans les années 80, Thatcher n’a pas hésité à utiliser en Grande Bretagne la loi anti-terroriste contre les mineurs grévistes. Pendant la deuxième guerre mondiale les Nazis ont utilisé le mot «terroriste » en parlant des prisonniers politiques enfermés à Breendonk.

Soyons clairs il faut combattre le terrorisme mais pas sans un débat au Sénat. En juin 2003 des experts de la Commission pour les droits de l’homme des N.U. à Genève ont déjà averti « que l’emploi extensif du mot terrorisme risque de mener à des violations des droits de l’homme ». Dans la forme actuelle, nous sommes convaincus que l’insertion du terrorisme dans le code pénal belge constitue un exemple de cet abus.

Les sénateurs ont jusqu’au 1er décembre pour évoquer la loi et en débattre sérieusement. Pourvu qu’ils le fassent de toute urgence !

Jean-Marie DERMAGNE
Jan FERMON

Avocats