arch/ive/ief (2000 - 2005)

"Pas de Justice pour Sémira Adamu"
by Collectif Contre Les Expulsions Friday December 19, 2003 at 11:09 AM

[ COMMUNIQUE ] « Il y a beaucoup de choses que je ne peux expliquer, mais je sais qu'ils ne veulent pas que nous soyons heureux, ils veulent nous frustrer jusqu'au dernier. Mais je crois qu'un jour, moi et les autres réfugiés, nous serons libres. » Semira Adamu, mercredi 12 août 1998.

« Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie »
Paul Eluard

Ce vendredi 12 décembre 2003, le verdict dans le procès des gendarmes qui ont assassiné Semira Adamu est tombé : sursis et acquittement.
Dégoût et lassitude…

Il aura suffit que le procureur du Roi, Hedwig Steppé, vulgaire salaud en robe noire, se permette, au début du procès, de revendiquer l’acquittement pour que la presse, dans un touchant concert d’unanimité, s’extasie devant la « sévérité » des peines prononcées. On n’hésite pas d’ailleurs à parler de « signal positif ».

Mais de quelle « sévérité » et de quel « signal positif » parle-t-on ?

Les faits ont été requalifiés en « coups et blessures involontaires », ramenant ainsi l’assassinat de Semira, comme le déclarait, triomphante, l’une des avocates des ex-gendarmes, à un simple « accident de la route ». Dès lors, les peines ne sont « lourdes » et « sévères » que dans cette perspective ; elles sont ignoblement vaines dans la perspective d’un crime d’Etat contre une jeune femme sans défense.

En fait de principal signal, il est venu de la gendarmerie. Celle-ci, tant les inculpés que sa hiérarchie, se sera distinguée tout au long de ce procès par son obstination à ne reconnaître aucune responsabilité et a n’éprouver ni regret ni remords. Les gendarmes n’avaient fait - certes avec zèle et toujours en plaisantant - « qu’obéir aux ordres ». Et tant pis si ses ordres étaient imbéciles et assassins !
Ce vendredi encore, ils étaient venus en masse soutenir leurs collègues et empêcher toute autre personne d’entrer dans la salle d’audience. Aujourd’hui, alors que les sans-papiers qui tentent de s'opposer à l'expulsion continuent d’être frappés, insultés et menacés « de subir le même sort que Semira Adamu » , les gendarmes vont jusqu’à protester qu’on ne les applaudisse pas pour leur travail et exigent des ordres claires comme le claquement de bottes d’un kapo et une immunité de général chilien.

On s'émerveille aussi de voir reconnue la responsabilité de l'Etat belge. Comment ? Où ça ? Ce serait oublier un peu vite que ses responsables politiques de l'époque ont été tout de suite blanchis. Que ni Tobback, ni Vande Lanotte n'ont eu à s'expliquer publiquement de leurs décisions ; que les peines requises (quelques milliers d'euros à la famille) relève plus de l'insulte envers la victime que de la sanction contre les assassins. M. Tobback trouve d'ailleurs dans ce jugement la légitimité de sa lâcheté. Ni regrets ni remords : lui comme Vande Lanotte continueront à parader. Leurs experts prépareront les nouvelles méthodes de torture sans trace et M. Vermeersh justifiera le tout d'un peu de sa funeste philosophie.

Une fois de plus, on s’est attaché à salir la mémoire de Semira Adamu. Le verdict est revenu sur la prétendue manipulation et instrumentalisation de Semira par le Collectif en mettant nos rapports avec elle sur le même plan que celui de l’Etat qui l’a tué. Que dire encore d’une vision raciste et machiste qui n’imagine à aucun moment qu’une jeune femme noire et sans-papier ait pu décider par elle-même de ce qu’elle devait faire ? Que penser de cette confusion ordurière ?
Semira n’aura jamais été pour nous un numéro, un « cas » ou un porte-drapeau. Avant d’être un symbole, elle est et restera la femme qui a jeté le plus d’ombre et de lumière sur la lutte des sans-papiers ; une femme qui ne demandait qu’à vivre et à qui on n’a laissé aucune chance ; une femme dont la mort nous aura fait pleurer comme des enfants.
Nous ne l’oublions pas. Nous n’oublions pas qui l’a tué et pourquoi. Et nous n’oublions pas les sourires et plaisanteries des gendarmes pendant qu’ils l’étouffaient de toute la force de leur haine policée.

On continue d’accuser tour à tour la fatalité, le manque d’informations ou de moyens, « l’extrémisme » du CCLE et la vaine rébellion de Semira pour renvoyer dos à dos tout le monde et n’avoir à juger personne. Pour, surtout, ne pas avoir à affronter cette vérité en face : c’est toute la politique d’expulsion qui est d’une imbécillité et d’une violence « inadéquates et disproportionnées » par rapport aux milliers d’hommes et de femmes qui franchissent, chaque année, les frontières de l’Europe-forteresse.

Le signal de ce jugement est, en effet, clair, complet et détaillé : il n’y a pas de mémoire, il n’y a pas de pardon, il n’y a pas de crime, il n’y a pas de coupable, il n’y a pas de Justice. Il n’y a rien que la barbarie disciplinée d’un Etat qui peut compter sur le dysfonctionnement normal de ses institutions pour appliquer la fatalité de sa bêtise et de son oppression.
Il n’y a, surtout, aucune solution en-dehors de la lutte contre cette politique.
La rébellion n’est pas un « faux espoir », elle est le seul espoir d’un monde sans espoir.

Semira Adamu a été assassinée le 22 septembre 1998, lors de sa sixième tentative d’expulsion, par le très démocratique Etat belge.

Collectif Contre Les Expulsions