arch/ive/ief (2000 - 2005)

De l'antisémitisme...
by antoine Wednesday November 26, 2003 at 08:32 PM

un nouveau texte de uri avnery qui dans le cheminement historique de ca pensée semble prouvé qu'il tend vers un antisionisme...Il a tout compris sauf l'idée de l'etat binationale...Cela viendra j'espere...


22 novembre 2003

À la place de mon article habituel, cette fois j'envoie mon discours de réception du prix Lev Kopelev qui m'a été décerné ainsi qu'à Sari Nusseibeh. La cérémonie a eu lieu la semaine dernière à Cologne (Allemagne).

Mesdames et Messieurs,

Monsieur l'Ambassadeur de Palestine et Monsieur l'ancien Ambassadeur d'Israël (je regrette de ne pas pouvoir saluer l'actuel ambassadeur d'Israël qui n'a pas jugé bon d'être présent.)

Chers amis,

Chaque fois que je me trouve sur le sol allemand, je me demande: Que serais-je et où serais-je maintenant si Adolf Hitler n'avait jamais existé?

Me trouverais-je ici avec Sari Nusseibeh? Serais-je seulement israélien?

Je suis né non loin d'ici, à Beckum, en Westphalie. Mon grand-père, Josef Ostermann, y était professeur au sein de la petite communauté juive.

Mais ma famille était originaire de Rhénanie. Ma mère m'a dit le nom du lieu, mais je l'ai oublié. Maintenant il n'y a plus personne à qui le demander.

Mon père, qui a fréquenté l'université «humaniste» où le latin était enseigné comme première langue, a toujours prétendu que nous étions venus en Allemagne avec Jules César. Cependant, on n'en a pas découvert la preuve archéologique.

La famille était imprégnée de culture germanique. Mon père, un mélomane enthousiaste, adorait Brahms et Beethoven. Son morceau favori était l'ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner. Aucune œuvre de littérature classique germanique ne manquait dans notre bibliothèque et je les avais presque toutes lues avant mon quinzième anniversaire.

Mon père connaissait par cœur les deux parties du Faust de Goethe. Quand il s'est fiancé avec ma mère en 1913, il a mis comme condition au mariage que ma mère apprenne par cœur la première partie de Faust. La condition mise par ma mère était que mon père apprenne à jouer au tennis. Tous deux ont rempli ce contrat, mais le lendemain du mariage ma mère avait oublié presque chaque mot de Faust et mon père n'a plus jamais joué au tennis.

Qu'est-ce qui a poussé cette famille, la famille Ostermann, à quitter l'Allemagne pour toujours en 1933 et à partir pour un lointain pays étranger, le pays de la famille Nusseibeh?
Cela se résume en un seul mot: l'antisémitisme.

Il est vrai que mon père avait toujours été sioniste. Il avait 9 ans quand le premier Congrès sioniste a eu lieu. L'idée le fascinait. Comme cadeau de mariage, il a reçu un document attestant qu'un arbre avait été planté en son nom en Palestine. Mais il n'avait jamais imaginé que lui-même s'y rendrait un jour.

(Une blague courante à l'époque: «Qu'est-ce qu'un sioniste? un Juif qui prend l'argent d'un deuxième Juif pour envoyer un troisième Juif en Palestine.»)

Les sionistes étaient alors une minuscule minorité dans les communautés juives d'Allemagne. Dans notre famille, on disait que mon père n'était devenu sioniste que par esprit de contradiction. (Cela semble un trait de famille).

Peu après l'arrivée des nazis au pouvoir, mon père a décidé d'émigrer. L'élément déclencheur de cette décision pouvait paraître dérisoire. Mon père était administrateur provisoire nommé par les tribunaux des entreprises en faillite. Son honnêteté était proverbiale. Il était «franc comme l'or». Un jour, pendant une audience du tribunal, un jeune avocat a crié: «Nous n'avons plus besoin de Juifs comme vous!» Mon père avait été profondément offensé, et à partir de ce moment-là, l'Allemagne c'était fini pour lui. Je continue à croire que le sentiment d'être insulté a joué un grand rôle dans le divorce entre les Juifs et l'Allemagne.

Où aller? Pendant une courte période, la Finlande et les Philippines avaient été envisagées. Mais le romantisme sioniste a réglé le problème. Nous sommes allés en Palestine et depuis lors, le destin de ma famille est inextricablement lié au destin de la famille Nusseibeh. J'avais alors 10 ans.

Quand mon père s'est rendu au quartier général de la police pour annoncer son départ, comme la loi l'exigeait, l'officier de police s'est exclamé: «Mais, Monsieur Ostermann, qu'est-ce qui vous prend? Après tout, vous êtes un Allemand comme moi!»

Je raconte souvent cette histoire, pour mettre en garde mes amis palestiniens pour qu'ils ne cèdent pas à la tentation de considérer les antisémites comme leurs alliés. À première vue, cela semble logique: les antisémites haïssent les Juifs, les Juifs sont majoritaires en Israël, Israël opprime les Palestiniens, donc les antisémites doivent être les amis des Palestiniens.

Rien n'est moins vrai.

Sans l'antisémitisme, le sionisme ne serait jamais né. Il est vrai que le mythe sioniste affirme qu'à chaque génération, les Juifs rêvent de la Palestine. Mais ce rêve se limitait aux prières. En fait, au cours des siècles, les Juifs n'ont pas fait le moindre effort pour se regrouper en Palestine.

Un petit exemple: il y a 511 ans, un demi-million de Juifs ont été expulsés de l'Espagne chrétienne. La plupart d'entre eux se sont installés quelque part dans l'Empire ottoman musulman qui les a accueillis avec bienveillance. Ils se sont installés dans des pays comme le Maroc, la Bulgarie, la Grèce et la Syrie. Mais seule une petite poignée de rabbins se sont installés en Palestine, qui était à l'époque un coin perdu des domaines du sultan turc.

Les musulmans se tournent pour prier vers La Mecque, les Juifs se tournent pour prier vers Jérusalem. Mais cela n'a rien à voir avec l'idée sioniste d'un État juif.

Le sionisme politique moderne était clairement une réaction à l'antisémitisme moderne des mouvements nationaux en Europe.

Ce n'est pas par hasard que le terme «antisémitisme», inventé en Allemagne en 1879, a été suivi, peu d'années après, par le mot «sionisme», utilisé la première fois par un Juif né à Vienne, Nathan Birnbaum.

Le sionisme était une réponse au défi de l'antisémitisme. Si les nouveaux mouvements nationaux en Europe, pratiquement sans exception, ne veulent rien avoir à faire avec les Juifs, alors les Juifs doivent se constituer eux-mêmes en nation au sens européen et fonder leur propre État.

Où? Sur la terre de la Bible, appelée alors Palestine.

C'est ainsi que commença le conflit historique entre nos deux peuples, le peuple de Sari Nusseibeh et mon peuple, un conflit qui est aujourd'hui - en 2003 - plus virulent que jamais. Il a commencé quand les sionistes ont voulu atteindre leur objectif, sauver les Juifs d'Europe, et les Arabes palestiniens ont voulu atteindre leur objectif, acquérir la liberté et l'indépendance dans leur patrie, dans le même petit pays, sans avoir la moindre connaissance l'un de l'autre.

Théodore Herzl, le fondateur du mouvement sioniste moderne, a écrit dans son journal, après le premier Congrès sioniste à Bâle en 1897: «À Bâle, j'ai fondé l'État juif.» À l'époque, il ne s'était jamais rendu en Palestine, il n'avait aucune idée de qui y vivait. Un brave militant a inventé l'expression mémorable: «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre.» Pour eux, la Palestine était vide, inhabitée.

Mais le grand-père de Sari Nusseibeh vivait en Palestine à l'époque, avec un demi-million d'autres Arabes. Ils n'avaient et ne pouvaient avoir aucune idée du fait que, quelque part en Suisse, dans une ville dont ils n'avaient probablement jamais entendu parler, se tenait une réunion dont les résultats changeraient pour toujours leur propre sort et celui de leurs enfants et de leurs petits-enfants, de leurs familles, de leur ville, de leur village et de leur pays.

L'antisémitisme a mis le sionisme en mouvement, l'Holocauste lui a apporté son extraordinaire pouvoir moral, même aujourd'hui il envoie des masses de Juifs de Russie, d'Argentine et de France vers Israël.

Les Palestiniens ont de nombreux ennemis - mais aucun n'est aussi dangereux que l'antisémitisme. Quand dans certains pays arabes on tente d'importer d'Europe cet antisémitisme étranger, c'est une erreur fatale.

Sari Nusseibeh et moi, deux Sémites qui parlent deux langues sémitiques très proches, devons être alliés dans la bataille contre cette vieille maladie mentale qui réapparaît. Je crois que nous le sommes.

Je veux tout de suite ajouter: il ne faut pas abuser du fléau de l'antisémitisme pour étouffer toute critique contre mon État. Nous Israéliens voulons être un peuple comme tous les autres, un État comme tous les autres, qui doit être jugé selon les mêmes critères moraux que les autres.

Oui, ici, en Allemagne, aussi.

Pas de Sonderbehandlung (traitement particulier), s'il vous plaît!

Le conflit dure maintenant depuis plus de 100 ans. De part et d'autre une cinquième génération est née dans ce conflit, une génération dont tout le monde mental a été formé par lui. Ce monde mental est rempli de peur, de haine, de préjugés, de stéréotypes et de méfiance.

Nous nous trouvons au bord d'un abîme et dans les deux peuples il y a des dirigeants qui commandent: en avant, marche!

Nous sommes ici parce que nous voulons sauver nos peuples de cet abîme, parce que nous voulons leur montrer une autre voie.

L'État d'Israël existe, personne ne peut nous jeter à la mer. Le peuple palestinien existe, personne ne peut les pousser dans le désert. Notre Premier ministre, Ariel Sharon, veut transformer l'ensemble de la Palestine en un État juif. Les fondamentalistes musulmans, comme les mouvements Hamas et Jihad, veulent inclure l'ensemble de la Palestine dans un État musulman. C'est la route directe vers la catastrophe.

Tous deux nous croyons dans la paix et la réconciliation entre nos deux peuples. Non seulement nous y croyons mais aussi nous travaillons et luttons dans ce sens, chacun à sa façon.

Ensemble nous avons pris part à de nombreuses actions. La veille du nouvel an 2001, nous avons marché ensemble, main dans la main, à travers les ruelles de la Vieille ville de Jérusalem, à la tête d'un important groupe de Musulmans, Chrétiens et Juifs. Mais notre tâche principale est de convaincre nos deux peuples que la paix et la réconciliation sont possibles, que des deux côtés on est prêt à payer le prix de la paix.

Ce ne sont pas des aspirations abstraites. Gush Shalom, le bloc pacifiste israélien auquel j'appartiens, a publié un accord de paix détaillé en 2001. Il y a peu, Sari Nusseibeh, avec l'ancien chef des services de sécurité israéliens, Ami Ayalon, a posé les principes d'une solution pacifique. Aujourd'hui un nouveau groupe d'hommes politiques palestiniens et israéliens ont travaillé à Genève à la rédaction d'un traité de paix. La confrontation sanglante qui a fait rage dans notre pays pendant trois ans maintenant est un symptôme de découragement, de frustration et de désespoir des deux côtés. Certes, il ne peut y avoir de symétrie entre les occupants et les occupés, les dominants et les dominés. La violence de l'occupation ne peut être comparée avec la violence de la résistance. Mais le découragement et la méfiance des deux côtés sont comparables, et notre tâche est de les vaincre.

Nous suivons l'antique sagesse: Ne vous plaignez pas de l'obscurité, allumez une bougie. Ensemble avec nos partenaires, les milliers de militants pacifistes des deux peuples, nous avons déjà allumé beaucoup de bougies.

Je suis optimiste. Je crois que la noirceur du désespoir cède le pas peu à peu à l'aube de l'espoir, qui devient plus brillante. En Israël, la conviction que répandre le sang ne mène nulle part est en train de gagner du terrain.

Trente de nos pilotes de combat refusent d'obéir aux ordres immoraux. Le nombre des objecteurs de conscience parmi nos soldats est en augmentation. Le chef d'état-major, jusqu'à présent un faucon des plus durs, a interpellé ses supérieurs en déclarant qu'il n'y avait pas de solution militaire. Les pourparlers de paix de Genève ont eu un impact, ils montrent qu'il y a vraiment des partenaires pour la paix. Des parents de soldats tombés protestent publiquement contre le sacrifice inutile de leurs enfants.

Un vent nouveau souffle. Un nouvel espoir apparaît. Nous ferons tout ce qui est possible pour faire grandir cet espoir, afin de susciter un changement historique.

En tant que membre de Gush Shalom, j'accepte cette récompense avec gratitude. Je suis particulièrement fier qu'il porte le nom de Lev Kopelev. Tous ceux qui combattent pour les droits humains en Israël, en Palestine et dans le monde entier appartiennent à une communauté internationale pour laquelle Lev Kopelev est un modèle.

Je vous remercie. Nous ne vous décevrons pas.

[ Traduit de l'anglais - RM/SW ]

Merci
by Jeroen Wednesday November 26, 2003 at 10:05 PM
jvanherstael@altern.org

Merci pour cet excellent texte. Ca fait chaud au coeur.

juste un détail :

"ca pensée semble prouvé qu'il tend vers un antisionisme"

Je l'afficherai au dessus de mon lit comme citation immortelle d'intelligence et de perspicacité, juste à côté de la phrase de T. Bernhard : "les meilleurs comédiens sont ceux qui ne comprennent strictement rien à l'auteur qu'ils déclament"

;-))

Jeroen

...
by antoine Wednesday November 26, 2003 at 11:39 PM

ah l'ironie...pour t'expliquer il se fait que le discour d'avnery comportait et comporte toujours dcertaines contradictions...Mais il est interessant de constater, que ces contradictions s'amenuise au fil du temps...

Qu'il en est arriver a renier l'histoire du sionisme qu'il defendait pour adopter une nouvelle posture...Etc...

Sur de nombreuxc points sa pensée évolue pour reprendre les theses de juifs antisioniste mais pas sur tous...

"...on ne peut jeter l'etat d'Israel à la mer..."on remarque d'ailleur que une de ses seuls apparence d'attache au sionisme dans ce texte est faite a partir d'un citation(jeté les juifs a la mer)détournée et amalgamante...Ce meme amalgame qui est fort utilisé en France actuellement...


moui
by Jeroen Thursday November 27, 2003 at 12:14 AM

J'aurais bien continué à discuter avec toi mais chut, on ne peut pas parce qu'ici ce n'est pas un forum, c'est les patrons qui me l'ont dit ;-)))