arch/ive/ief (2000 - 2005)

LUCIDITE OU FOLIE?
by NICOLAS FENOUIL Friday November 21, 2003 at 09:07 AM
n_fenouil@yahoo.fr

Si nous ressentons une certaine injustice en tant qu’européens en voyant les décisions unilatérales prises par les Etats-Unis tant sur le plan politique qu’économique (la récente guerre en Irak ou la volonté affichée d’imposer a l’Union Européenne la consommation des OGM) il n’est pas difficile de comprendre que ces actions (la plupart indirectement hostiles aux pays en voie de développement et en particulier au monde musulman) soient ressenties par les populations des nations arabes comme une dictature. Quelle est la réponse normale de tout humain lorsqu’il se sent écrasé par le joug d’une dictature ? La guerre pour la liberté, c’est à dire purement et simplement la revendication d’un droit d’exister.

Il me semble qu’aujourd’hui, le principal problème du monde arabe est de ne pas exister autrement que comme une source de conflits aux yeux de la communauté internationale. Il est du reste probable que si certains pays arabes ne possédaient pas une grande partie des ressources actuelles de pétrole, le Moyen Orient ne compterait pas plus que l’Afrique dans le concert des nations, c'est-à-dire pour presque rien. C’est d’ailleurs pour cela qu’étrangement beaucoup d’africains musulmans mais aussi non musulmans, et plus généralement un grand nombre de personnes vivant dans les pays en voie de développement, se sentent spontanément du côté des terroristes islamistes même s’ils ne cautionnent pas leur mode d’action. L’ancien dirigeant d’un pays d’Afrique australe déclarait récemment lors d’une interview, mi ironique, mi perplexe, qu’il avait constaté après les évènements du 11 septembre qu’un nombre impressionnant de nouveaux nés avaient reçu comme prénom Usama et même Ben Laden…

C’est triste à dire, mais il semble que la multitude de miséreux qui vivent sur notre planète pensent, sans pouvoir l’exprimer : « Si le terrorisme est l’unique solution pour remettre rapidement en cause l’ordre économique mondiale et attirer soudain le regard des habitants des pays riches sur notre misère quotidienne, alors c’est une bonne chose ».
En effet, la communauté internationale semble vouloir oublier un peu vite que les tours jumelles qui sont tombées le 11 septembre 2001 symbolisaient bien sur l’hypertrophie de la puissance américaine mais aussi et surtout, l’imperturbable joug économique qui laisse 2,7 milliards de personnes vivre avec moins de 2 dollars par jour dans le plus profond silence, puisqu’elles étaient le siège de l’Organisation Mondiale du Commerce…

Il est facile de penser que l’O.MC et la clique d’entreprises géantes qui se cachent derrière comme une meute de loups à l’abri d’un paravent ne sont pour rien dans le statut quo qu’a connu le monde en matière de développement et d’eradication de la misère depuis les accords de Bretton Woods, mais c’est se méprendre. Cette organisation, comme le F.M.I (Front Monétaire International) ou l’O.N.U. ne sont pas des acteurs débonnaires chargés de veiller au bien de l’humanité et à l’équilibre des pouvoirs dans le monde, comme ils aimeraient bien continuer à nous le faire croire : elles sont graduellement réduites a l’état des marionnettes, brandies ou laissées au placard par des gouvernements a la solde des grandes entreprises.

Pour savoir qui commande dans n’importe quelle type d’organisation, aussi complexe soit-elle, il suffit de savoir qui paie qui. Cela peut parfaitement s’appliquer au monde dans lequel nous vivons : ce sont les grands groupes industriels et financiers qui font vivre les gouvernements par les impôts qu’ils paient et les emplois qu’ils génèrent et ce sont a leur tour les gouvernements qui font vivre les grandes organisations internationales par les subventions qu’ils leur versent. C’est dramatiquement simple et c’est particulièrement évident lorsque la France se sert de son pouvoir de veto à l’O.N.U. pour obliger la Libye à payer une somme descente aux familles des victimes de l’attentat de l’avion d’UTA en 1989 : officiellement le Quai d’Orsay et le gouvernement libyen ne sont pas impliqués dans les négociations mais tout le monde sait que si la Libye ne paie pas la somme exigée, l’embargo de l’O.N.U. ne sera pas levé.

Grâce a cet exemple transparent, nous pouvons constater que le mécanisme de pression "gouvernement d’un pays riche/institution internationale/gouvernement d’un pays pauvre" est utilisé à bon escient mais que se passerait-il si ce n’était pas toujours le cas ?
Rien. Les gouvernements des pays en développement n’ont qu’une très étroite marge de manœuvre : s’ils ne "coopèrent" pas comme l’entendent les gouvernements des pays industrialisés, ils sont sanctionnés et ne reçoivent pas d’aide de la communauté internationale. Que font les dirigeants de pays en voix de développement quand ils ne peuvent pas détourner pour leur compte une partie de l’aide internationale destinée au développement de leur pays ? Ils instaurent un régime de terreur et pillent directement les réserves naturelles du pays, laissant les populations s’autodétruirent tranquillement. L’exemple de Charles Taylor au Liberia est frappant. La population est extenuée, la crise humanitaire atteint des proportions gigantesques. L’analphabétisme, le sida et la guerre font des ravages depuis plus de 14 ans et cependant, en 2002, le gouvernement de Monravia disposait de 3,8 milliards de dollars sur des comptes en Suisse, soit 25% des fonds en provenance de l’Afrique déposés dans les banques de ce pays, selon les estimations de la Banque nationale Suisse.

Encore un fois, il serait facile (mais illusoire) de penser que les gouvernements des pays industrialisés et les grandes organisations internationales ne savent pas ce qu’il advient d’une grande partie de l’aide allouée aux pays en développement : Peter Eigen, un des cadres de la Banque Mondiale, lassé de devoir couvrir continuellement ce genre de malversations, quitte en 1999 son poste de Directeur pour l’Afrique de l’Est afin de fonder Transparency, une O.N.G. dont le but est de lutter contre la corruption…

Dans ces conditions, quelle alternative reste-t-il aux habitants des pays pauvres, (musulmans ou non) pour faire entendre leur voix contre le joug de dirigeants peu scrupuleux et les ambitions démesurées de conglomérats industriels et financiers protégés par les organisations internationales ?
Aucune. C’est une double dictature. Ajoutez a cela l’impossibilité d’accéder a l’éducation et vous avez le silence. Un silence lourd de sens. Un silence qui gronde plus fort que les prémisses d’un tremblement de terre. Un silence qui transforme la terreur en haine sourde :"Ma famille meurt de faim depuis des générations sans aucune possibilité de sortir de ce cercle infernal, la tienne mourra sous les bombes et ni ton opulence, ni ta police, ni ton armée pourront te protéger."
Ainsi commencent à penser les plus désespérés des laissés pour compte.

Qui pourra l’empêcher ?