Changer les règles du jeu by Nicolas Fenouil Wednesday November 19, 2003 at 10:48 AM |
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Petites idees benevoles sur "l'altermondialisation"...
CHANGER LES REGLES DU JEU
« Si une société devient meilleure, ce n'est pas que les hommes s'aiment davantage, c'est qu'elle a su se doter d'organisations plus justes. »
Francesco Alberoni, 1929
Il est facile de se rendre compte aujourd’hui que la plupart des gens vivant dans les pays développés (mais aussi ceux vivant dans les pays en développement), perdent progressivement confiance dans leurs décideurs, qu’ils appartiennent au monde politique ou au monde des entreprises... La presque totale impunité de ces dirigeants n’arrange rien : qu’ils soient chef de gouvernement (Charles Taylor) ou cadres de multinationales (dirigeants d’Elf), il semble presque impossible à la justice de condamner de façon adéquate la criminalité des sommets de la société.
Les inventeurs de la première des démocraties, celle d’Athènes, avaient bien compris ce danger et ils avaient même créé une loi pour s’en prémunir : l’Ostracisme. Tout citoyen soupçonné d’utiliser le système démocratique afin d’accumuler trop de pouvoir (et de richesses) passait devant une assemblée formée de 10 citoyens connus pour leur sagesse dans la Cité. Si les faits étaient reconnus, l’individu incriminé était démis de ses fonctions, exproprié et banni pendant 10 ans de la Cité-rauyome. C’était la sanction la plus grave qui pouvait être prise contre un citoyen, à part la peine de mort.
Malheureusement cette loi a été oubliée par les démocratie modernes et il apparaît de façon de plus en plus évidente aux yeux de tous que le profit rapide et les intérêts personnels sont les principales motivations qui poussent les gens à évoluer dans les hautes sphères du pouvoir politique et économique. Si l’on y pense bien, il est plutôt normale d’utiliser son influence pour préserver ses propres intérêts (si l’on se trouve dans une situation qui le permet) et ce n’est pas vraiment nouveau.
Ce qui est nouveau, c’est que du fait de la mondialisation, cette façon obsolète de penser et de se comporter devient une barrière de plus en plus visible au bien être et au développement de tous. C’est là un paradoxe exquis : en voulant étendre leur pouvoir à l’ensemble de la planète par les dures lois du marché qu’ils contrôlent parfaitement, les promoteurs du libéralisme économique ont mis en place des moyens de plus en plus pertinents pour se rendre compte des conséquences désastreuses de leurs activités... En effet, Internet est la nouvelle Agora qui manquait au système démocratique moderne : un espace d’expression libre, difficilement contrôlable, qui sert de moyen de liaison à tous les mouvements de contestation de la société actuelle.
L’ensemble de la planète se réveille donc doucement du long sommeil de la "Belle au bois dormant" et commence à percevoir les limites d’un certain modèle de développement basé sur la démocratie et une libéralisation acharnée du commerce, qui prend pour seule mesure de son succès la croissance économique d’un pays. Ce type de système, même s’il semble ouvert au succès de tous, bénéficie presque uniquement à une sorte d’élite aux contours diffus composée d’un nombre indéterminé d’hommes d’affaires et d’hommes politiques corrompus et cyniques ainsi que leur cohorte de serviteurs directs (cabinets d’avocats, agences de publicité, banques, etc.) Ceci est particulièrement évident lorsque l’on voit le sort des populations écrasées par des pseudo-democraties produisant du pétrole, des diamants ou ayant d’autres ressources naturelles (comme les pays de l’ex URSS ou certains pays d’Afrique). Malheureusement, cette concentration des richesses affecte aussi les pays développés : ils suffit de passer cinq minutes dans le métro parisien pour se rendre compte que l’exclusion économique n’est plus seulement l’apanage des pays en voie de développement.
Il faut comprendre que cela constitue une réelle différence avec le contexte qui a fait surgir le communisme : il s’agissait d’une lutte de classe mais tous, ceux qui luttaient pour et ceux qui luttaient contre, pensaient que la solution serait une solution politique. Jusque là, nous pensions avoir les outils nécessaires au développement de l’humanité.
Hors aujourd’hui, il semble que ce n’est plus le cas puisque apparemment ni les gouvernements, ni les syndicats, ni les institutions internationales, ni les grands groupes industriels et financiers sont capable de trouver des solutions pertinentes aux problèmes actuels. Ces piliers de notre société perdent peu à peu leur légitimité et leur crédibilité en démontrant chaque jour un peu plus qu’ils sont incapables de se mettre d’accord et de travailler ensemble pour endiguer la destruction massive de l’environnement et une injustice économique de plus en plus vive entre pays du Nord et du Sud mais aussi au sein même des pays développés.
Cette sensations d’impuissance globale face à ce que nous réserve l’avenir provoque un sentiment d’insécurité permanent parmi les différentes populations du globe, magnifiquement reflété par la production cinématographique américaine : l’imminence d’une catastrophe universelle du type météorite géant, invasion d’extraterrestres, ou monstre préhistorique, fait recette. De même le terrorisme, sorte d’épée de Damoclès suspendue au dessus des Etats-Unis (et par extension de toutes les nations développées), est devenu le thème préféré des discours sécuritaires de politiques de tous bords dont les idées de rejoignent sur un seul point : une incroyable absence de vision d’avenir et un manque terrible de courage face aux défis actuels …
Vous avez la désagréable sensation en vous contemplant dans la glace le matin d’être inutile, de ne pas faire ce qui devrait être fait en tant qu’individu mais aussi et surtout de faire partie d’une société qui n’ose pas regarder le futur en face ?
C’est normal, le développement humain est une notion complexe : nous sommes dans un monde qui semble avoir de plus en plus conscience de ce qui devrait être fait mais dont les outils sont obsolètes. Il faut urgemment changer "les règles du jeu" et créer de nouvelles Organisations Internationales, réellement adaptées aux enjeux d’aujourd’hui, qui pourraient être résumés par les deux points suivants.
Stopper la destruction massive de l’environnement à l’échelle de la planète, ce qui veut dire :
• Mettre en place un contexte juridique avantageant les entreprises qui se développent en prenant pleinement en compte les aspects sociaux et environnementaux de leurs activités. (En obligeant par exemple les entreprises cotées à publier en plus de leur rapport financier annuel, un rapport sur les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités)
• Investir massivement dans la recherche afin de trouver de nouvelles sources d’énergies efficaces et non polluantes dont nous allons avoir un grand besoin d’ici les 40 prochaines années (sans laisser les grands groupes pétroliers racheter les brevets).
• Institutionnaliser la coopération des entreprises avec les ONG pour travailler au niveau de la gouvernance, de la transparence, de l’environnement et des normes sociales (Cf. Unilever et WWF pour la pêche durable).
• Intégrer de façon obligatoire les la notation sociale et environnementale (Rating) des entreprises composant les fonds d’investissement.
• Développer les pays du Sud en leur permettant de ne pas faire les mêmes erreurs écologiques que les pays du Nord. (Transfert de technologies, en particulier dans le cas de l’énergie solaire et du bio gaz produit par les déjections animales.)
Eradiquer la pauvreté par le développement des pays du Sud, ce qui veut dire :
• Eliminer les subventions versées par les USA et l’UE a leurs agricultures respectives.
• Diminuer et échelonner la dette des pays en voie de développement.
• Stopper la corruption au niveau des élites et des gouvernements en contrôlant les flux financiers en provenance des pays en développement vers la Suisse et les paradis fiscaux.
• Mettre dans le domaine public les brevets des médicaments permettant de lutter contre les pandémies de type VIH, malaria et tuberculose.
• Investir massivement dans l’éducation pendant les 50 prochaines années, permettant ainsi son accès a tous et surtout aux plus pauvres.
• Donner les moyens de s’autodévelopper économiquement et humainement a la population en institutionnalisant les initiatives du type microcrédit (système mis en place par la Grameen Bank au Bengladesh depuis 1976).
Dans les années à venir, les ONG devront jouer un rôle d’observateurs privilégiés et d’inspirateurs pour le monde politique et des grandes entreprises. En particulier, la transparence de leur gestion et leurs solutions innovantes en matière de protection de l’environnement, de lutte contre la corruption et de normes sociales devront être institutionnalisées. De plus, elles devront continuer leur travail primordial de "surveillance" et d’alerte de l’opinion publique sur les sujets sensibles grâce à leur travail sur le terrain.
A terme, l’idée est de créer suffisamment de changement pour qu’il soit possible de concevoir les institutions internationales suivantes, fonctionnant de manière rapide et efficace, (c’est a dire de manière très différente de l’actuelle ONU), sur l’ensemble du globe :
1) Une Cour de Justice Internationale capable de condamner des dirigeants d’entreprises multinationales et des dirigeants politiques pour « crimes écologiques contre l’humanité » et autres délits contre l’environnement. Par exemple, dans le cas d’un pétrolier déversant des tonnes de brut, l’armateur du navire ainsi que la société commanditaire du chargement devront être soumis a une amende d’un montant supérieur a celui du coût totale de nettoyage des cotes mais couvrant aussi le préjudice économique enduré par les populations vivant de la mer dans les régions affectées. (Dans le cas contraire, ce sont les citoyens des pays touchés qui paient les dégâts, comme c’est le cas pour l’Espagne avec la catastrophe du Prestige, puisque c’est l’état qui finance le nettoyage des cotes et le manque à gagner des pêcheurs.)
De plus, en se basant sur la jurisprudence produite par les cas jugés par cette cour, une institution complémentaire devrait être en mesure de proposer des textes de lois internationales permettant la prévention des "accidents" écologiques : dans le cas du transport de pétrole, il serait assez simple de d’obliger les armateurs a n’utiliser que des bateaux a double coque, puisque c’est déjà le cas aux Etats-Unis.
2) Une autre Cour de Justice Internationale spécialisée dans lutte contre la corruption devra être dédiée au contrôle des flux financiers en provenance des pays en développement : toute ouverture de compte en Suisse (mais aussi en Europe et aux Etats-Unis) devra être soumis a une enquête. Toute somme provenant d’un détournement de l’aide internationale ou d’une gestion abusive des ressources naturelles du pays en question (exemple: vente illégale de diamants provenant de Sierra Leone, coupe de bois illégale dans les forets du Liberia, etc.) sera immédiatement saisie et réinvestie dans des projets de développement au sein du pays en question.
A cet égard, l’exemple de Charles Taylor au Liberia est frappant : la population du Liberia est extenuée et la crise humanitaire atteint des proportions gigantesques. L’analphabétisme, le sida et la guerre font des ravages depuis plus de 14 ans et cependant, les dirigeants du gouvernement de Monravia disposaient en 2002 de 3,8 milliards de dollars sur des comptes en Suisse, soit 25% des fonds en provenance de l’Afrique déposés dans les banques de ce pays, selon les estimations de la Banque Nationale Suisse…
Il s’agira donc de juger les dirigeants (politiques et autres) pour « crime de corruption contre le développement de l’humanité ». Le travail de cette institution s’appuiera sur celui d’ONG en place sur le terrain et dénonçant ce genre d’abus depuis de longues années, du type Global Witness, Transparency, etc…
Comme au XVIIe et XVIIIe siècles il y eu une lutte acharnée pour la séparation des pouvoirs entre l’église et l’Etat (qui aboutit finalement en 1905), il est essentiel aujourd’hui de mettre fin a la collusion des dirigeants d’entreprises et de partis politiques et d’instaurer une séparation définitive entre le pouvoir politique et économique.
3) Une entité internationale sera chargée de faire le trait d’union entre la défense des milieux naturels et la défense des sociétés qui vivent en leur sein : En réconciliant la défense de l’environnement et le développement des ethnies, nous pourrons rendre aux indiens d’Amérique du Nord et du Sud, aux aborigènes d’Australie et aux tribus africaines comme les Masai la gestion de milieux naturels protégés. Ces populations ont en effet mis des milliers d’années à élaborer des modes de vies parfaitement en harmonie avec certains milieux très spécifiques et il serait sans doute très utile de protéger ce savoir ancestral en leur permettant de perpétuer ces modes de vie. Il ne fait aucun doute que dans un futur proche, ces exemples de co-existence pacifique et productive d’une communauté avec son environnement soit source d’innovations pour les entreprises les plus avancées dans le domaine du développement durable.
Comme le dit Jecinaldo Barbosa Cabral qui est à 24 ans le nouveau responsable de la Coordination des organisations indiennes de l’Amazonie brésilienne (COIAB): «Jusqu'à il y a peu de temps et parfois encore aujourd’hui, les défenseurs de l’environnement ne pensaient qu’à conserver les milieux naturels, sans se soucier des hommes qui les habitent. Aujourd’hui, l’écologie doit aussi se développer à partir des besoins et des activités des hommes. Il faut protéger la biodiversité mais aussi la sociodiversité. Toutes deux sont extrêmement riches en Amazonie »
Tout dirigeant d’entreprise (ou de parti politique) qui tenterait de déposer des brevets sur des plantes ou des animaux dont les vertus sont connues et utilisées traditionnellement par des ethnies, ou de déplacer des communautés indigènes de leur milieu de vie ancestral, devrait pouvoir être jugé pour « crimes de mises en danger de savoirs ancestraux contre l’humanité».
4) Une institution internationale axée sur le "Développement Humain grâce au Commerce " devrait être mise en place afin de remplacer l’actuelle Organisation Mondiale du Commerce. En effet, d’après Jean Ziegler, auteur du livre "les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent" : « Les inégalités se sont creusées. Les riches sont devenus de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres : aujourd’hui, 826 millions de personnes – dont 95 % vivent dans les pays en voie de développement sont chroniquement et gravement sous-alimentées. Toutes les sept secondes un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Chaque jour, 100 000 personnes meurent de la faim ou de ses suites immédiates. En décidant en quelques minutes où placer leurs capitaux en fonction de la maximisation des profits, les “maîtres du monde” décident chaque jour de la vie et de la mort de centaines de milliers de personnes. C’est pour ça que je dis que, aujourd’hui, quiconque meurt de faim est assassiné, parce que ce n’est plus une fatalité. Même si ces problèmes ont toujours existes, ce qui est radicalement nouveau, c’est le nombre des victimes : aujourd’hui, on connaît les chiffres et on a les moyens de combattre la faim. Aujourd’hui, la planète croule sous la richesse. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime qu’en l’état actuel des techniques de production, l’agriculture pourrait nourrir 12,5 milliards de personnes, c’est-à-dire donner à chaque individu chaque jour 2 700 calories. Or, il n’en est rien. Au contraire. D’ailleurs, l’ONU se rend bien compte que la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dans la conscience collective représente les valeurs minimales pour qu’une société puisse exister, est insuffisante dans sa formulation actuelle. Comme disait Bertold Brecht, le bulletin de vote ne nourrit pas l’affamé. L’ONU a donc décidé de fixer de nouveaux droits de la personne, et le premier de ces droits est le droit à l’alimentation. Il y a deux ans, le secrétaire général Kofi Annan m’a confié la mission de rédiger un rapport sur la possibilité de mettre sur place une convention internationale sur le droit à l’alimentation. »
5) Une Organisation Internationale chargée du "Développement humain grâce à l’éducation" devrait aussi voir le jour. Selon la légende, c’est Charlemagne qui eu le premier l’idée d’imposer l’école laïque et gratuite a tout ses sujets des le XIIIieme siècle. Onze siècles plus tard, le manque d’éducation est toujours la cause principale de tous les fléaux que connaît le monde : propagation du virus du Sida, famines, génocides, guerres ethniques, corruption, fuite des capitaux des pays en développement, etc…
C’est pour cela qu’il est primordial de doter cette nouvelle organisation de budgets astronomiques (c'est-à-dire à peu prêt aussi importants que ceux réservés aujourd’hui à l’armement) et irrévocables pour les 50 années a venir. Afin de poser les bases du développement humain, cette institution sera chargée de mettre en place des milliers de petites structures autonomes dans les banlieues, les favelas, les bidonvilles et les villages reculés du globe. Ce dispositif de "rapprochement de l’éducation des lieux de vie" permettra aux adultes et aux enfants les plus pauvres de consacrer deux ou trois heures par jour à l’apprentissage de l’écriture et du calcul mais surtout leur permettra de reprendre confiance dans leur capacité à monter des microentreprises et à trouver des moyens pour améliorer le quotidien … En effet, il ne faut pas oublier que pour les 2,8 milliards de personnes qui survivent avec moins de deux dollars par jour, la priorité reste de donner de quoi manger a leurs familles: comme l’a compris la Grameen Bank, l’éducation dans les pays en développement doit garder un coté très pragmatique et accompagner la mise en place de petits projets permettant un développement humain progressif des populations.
En conclusion, si un simple "citoyen du monde" est capable de trouver et de synthétiser les informations nécessaires pour faire une proposition de ce type, il devient clair que nos chers "décideurs" qui s’abritent habituellement derrière un « manque de volonté politique » (en oubliant le leur) sont bien contents de la situation actuelle et ne comptent en aucun cas améliorer le sort de notre petite planète puisqu’ils profitent ouvertement des failles du système en place. En d’autres termes, il serait aberrant de penser que des gens qui détiennent la poule aux œufs d’or veuillent soudainement lui couper le cou !
Ce n’est donc pas ceux qui jouissent le plus du système démocratico-libéral actuel (les décideurs politico-économiques) qui vont spontanément "changer les règles du jeu" et créer les institutions internationales qui pourraient enfin améliorer le sort des populations qui pâtissent aujourd’hui de leurs abus : c’est à notre société elle-même de forcer ses dirigeants à engager les reformes nécessaires au bien être de tous. Un certain intellectuel et homme d’Etat aurait dit un jour : « le vingtième siècle sera spirituel ou ne sera pas ». C’est sans aucun doute aujourd’hui à la société civile de " spiritualiser" l’économie en la remettant au service de l’humain et de poser ainsi les fondations d’une civilisation enfin tournée vers le futur.
Nicolas Fenouil, pour vous servir!