Hymne pour une terre plus humaine by Patrick Gillard Friday November 14, 2003 at 09:02 AM |
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Le concept de "décroissance soutenable" décolonise progressivement l'imaginaire. Revendication d'une partie des anti et/ou altermondialistes réunis au FSE, ce concept fait la Une du magazine Imagine et rassemble quelque 300 personnes à Ath.
Répondant à l’invitation de la commission “Qualité de Vie” de la Maison Culturelle d’Ath, l’écologiste Pierre Rabhi a donné, ce samedi 8 novembre 2003, une “conférence-débat” exceptionnelle, intitulée : “Hymne pour une terre plus humaine”. Comme son exposé remettait en question non seulement le fonctionnement de notre société, mais aussi et surtout notre comportement quotidien, j’ai choisi de vous partager son contenu.
Lorsque Pierre Rabhi entre en scène à 19h30, le petit homme qui apparaît - dont la physionomie générale, la consonance du nom et la nature des combats rappellent Gandhi - est visiblement mal à l’aise ; il parlera d’ailleurs lui-même de son trac, au début de sa “conférence”. Mais une fois qu’il prend la parole et qu’il s’adresse aux quelque 300 personnes venues l’écouter, tous les signes apparents de peur et de timidité disparaissent instantanément. Et c’est une parole, forte mais calme, lourde de sens mais non-violente, qui envahit progressivement tout l’espace de la salle et qui bouscule, l’une après l’autre, les certitudes d’un public attentif tout au long d’un discours, dont je vous livre, ici, un bref résumé.
Ouvrier agricole en Ardèche, Pierre Rabhi est amené à pulvériser personnellement des pêchers avec des produits toxiques. Les multiples effets nocifs de l’utilisation de ces pesticides, lui font prendre conscience des dangers de la logique productiviste de l’agriculture contemporaine, et lui ouvrent les portes de l’écologie. Après la découverte des bienfaits d’une agriculture biologique, ce fils de forgeron né dans le sud algérien, applique ses nouveaux principes respectueux de l’environnement, dans une petite ferme ardéchoise, où grandira sa famille, à partir de 1972.
Une dizaine d’années plus tard, Pierre Rabhi met les enseignements de son expérience agricole ardéchoise, au service de plusieurs projets africains. Soucieux d’apporter, aux populations du continent le plus pauvre, des solutions qui leur permettent de recouvrer une autosuffisance alimentaire, l’agriculteur biologique leur propose naturellement l’agroécologie. Cette “agriculture propre” peut résoudre, selon lui, à la fois les problèmes liés à la sécheresse endémique, qui frappe la région sahélienne, et ceux - non moins importants - qui résultent des effets négatifs de la mondialisation néo-libérale en cours. C’est en effet au nom de cette globalisation que les institutions financières internationales imposent à des gouvernements faibles, intéressés ou corrompus des plans d’ajustement structurel et/ou l’intensification de cultures d’exportation prisées au Nord, afin de leur faire engranger des devises qui ne serviront jamais qu’à rembourser la “dette” du Sud et ce, au détriment de la «sûreté de l’approvisionnement alimentaire» (1) des pays africains concernés.
Une fois reconnu comme expert international pour la sûreté de l’approvisionnement alimentaire et pour la lutte contre la désertification, Pierre Rabhi pose, sur la situation alimentaire mondiale et sur les problèmes de pauvreté à l’échelle planétaire, un diagnostic qui est écouté, même si celui-ci est très radical : pour lui, c’est en effet tout le système qui a faux. A la question de savoir, par exemple, si nous vivons et agissons conformément aux lois de la vie, notre spécialiste répond sans hésitation par la négative, parce qu’il constate que les rapports sur terre sont régis essentiellement par le principe de la dualité : dualité entre les nations, entre les êtres humains et entre ces derniers et la nature.
Malgré ses immenses capacités, l’homme, déplore Pierre Rabhi, adopte en général un comportement inintelligent, comme le prouve, de manière significative, son incapacité à éradiquer le fléau de la faim dans le monde ou à garantir l’octroi des droits essentiels à tous les terriens. Au contraire, constate-t-il, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de grandir, que ce soit dans son rapport classique Nord/Sud - auquel s’ajoute, depuis peu, celui d’Est/Ouest - mais aussi à l’intérieur même de chacune de ces entités géographiques. (2)
Poursuivant son exposé, l’orateur stigmatise également l’invraisemblance du “culte”, que vouent la plupart de nos dirigeants au principe de la prétendue croissance économique infinie. Cette aberration du toujours plus préside non seulement aux destinées du monde actuel, mais nous conduit aussi, à moyen terme, à l’épuisement inéluctable des ressources énergétiques fossiles, sur lesquelles repose de façon irresponsable - surtout au regard des générations à venir - presque tout le fonctionnement de notre société polluante. Comme quasi tous les voyants écologiques de notre planète sont passés au rouge, Pierre Rabhi préconise avec sagesse l’adoption d’un mode de vie plus sobre, permettant l’harmonisation de la relation fondamentale entre l’humanité et la nature. (3)
Pour faire connaître ses idées à un plus large public, Pierre Rabhi a même investi la scène politique. En 2002, il s’est lancé dans la bataille de la campagne des présidentielles françaises, où il n’a toutefois pas recueilli suffisamment de parrainages officiels pour pouvoir se présenter au premier tour de scrutin. Partie remise ? Grâce à son réseau de comités de soutien, qui a vu le jour lors de ces élections, et grâce à ses actions et prises de parole en public, l’expert international qu’il est devenu ne cesse de divulguer un message radical, qui pourrait un jour se fondre dans un programme politique, et qui comprend des règles de “déconsommation” ainsi que des mesures de “simplicité volontaire” et de “sobriété heureuse”. Bref, des revendications de changement fondamental dont certaines suivent ci-après et qui rejoignent parfaitement celles défendues par Serge Latouche, un autre grand «objecteur de croissance». (4)
1) Marchant dans les pas d’Ivan Illich (5), Pierre Rabhi préconise tout d’abord un enseignement “écologique” qui abolirait la notion de compétitivité en milieu scolaire, en replaçant les élèves et les étudiants dans un contexte basé sur l’entraide et la générosité, et qui laisserait à l’intelligence des mains une place aussi importante que celle occupée par les activités intellectuelles.
2) A contre courant de toutes les formes d’agriculture et d’élevage intensifs et industriels, l’ancien ouvrier agricole propose aujourd’hui de "relocaliser" l’économie, en favorisant partout dans le monde, la multiplication de petites structures agricoles écologiques à taille humaine, parce qu’elles permettraient de garantir non seulement l’autosuffisance alimentaire des populations locales, mais aussi la production de cultures vivrières respectueuses de la biodiversité.
3) Soucieux de conserver les progrès utiles réalisés par notre société technologique, l’ancien ouvrier spécialisé dans une entreprise parisienne reconnaît en outre que l’industrie jouerait un rôle dans la société de la décroissance, telle qu’il l’imagine. La mission industrielle devrait toutefois, précise-t-il, se cantonner à la fabrication de biens indispensables que l’industrie est la seule à pouvoir réaliser, laissant ainsi un véritable espace de liberté pour le développement d’activités artisanales, davantage pourvoyeuses d’emplois et faisant appel à une plus grande capacité créatrice individuelle.
4) Une autre revendication importante de Pierre Rabhi réside dans la revalorisation du “féminin” - tant la partie féminine qui vit en chaque homme, que la présence des femmes aux postes décisionnels de la société - parce que ce rééquilibrage devrait amener, selon lui, la dose de douceur dont notre monde violent a grand besoin.
5) Citant la légende du colibri qui essaye d’éteindre un incendie goutte après goutte, le conférencier place enfin chaque citoyen devant ses responsabilités. Pour Pierre Rabhi, nous avons tous le devoir et le pouvoir de contribuer au changement de la société. Au-delà de la satisfaction qu’on peut en tirer, la simple mise en culture d’un bout de terre - aussi petit soit-il - participe, selon lui, non seulement à la reconstruction de l’autonomie de l’individu mais aussi au changement sociétal, parce que cet acte de jardinage, conscient et volontaire, constitue aujourd’hui un acte politique, voire un acte de résistance par rapport au développement de la surconsommation.
Pierre Rabhi n’est pas un rêveur. Même si elles sont nécessaires, il sait que les alternatives présentes et à venir ne suffiront pas ; elles risquent même d’être récupérées par le système, comme le prouve, entre autres, la transformation actuelle des denrées issues de l’agriculture biologique en produits de grande consommation.
Adepte de la non-violence, Pierre Rabhi croit fermement en l’insurrection des consciences, cette révolution des esprits qui semble gagner la planète entière au fil des rassemblements et des initiatives anti et altermondialistes. Quand un nombre suffisant d’êtres humains auront pris conscience de l’importance et de l’urgence des défis écologiques actuels et futurs à relever, et qu’ils seront prêts à modifier fondamentalement leur mode d’existence pour y parvenir, Pierre Rabhi s’attend, sans pouvoir situer ce moment de façon précise, à un basculement général des consciences dans le camp de la mutation. Espérons que la pédagogie des catastrophes, sur l’impact de laquelle on peut compter dès aujourd’hui, décolonisera très rapidement l’imaginaire humain (6).
Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 12 novembre 2003
Notes
(1) Vandana SHIVA, Le terrorisme alimentaire. Comment les multinationales affament le tiers monde, Fayard, 2001, note p. 16.
(2) En ce qui concerne le développement de la pauvreté dans les pays riches, on apprenait, par exemple, récemment que « près de 1,7 million d’Américains sont passés sous le seuil de pauvreté en 2002, [...] le Bureau de recensement des États-Unis [...] évalue à 34,6 millions, soit 12,1 % de la population, le nombre de personnes qui se situaient sous ce seuil l’année dernière » (cf. 34 600 000 Américains et pauvres, dans La Libre Belgique, Lu 29/9/03, p. 10). D’autre part, « selon le rapport publié ... par la Sécurité sociale, 1 212 000 Israéliens (20% de la population du pays) vivaient en 2002 dans la pauvreté » (cf. Renée-Anne GUTTER, “La mère de toutes les grèves”, dans La Libre Belgique, Lu 03/11/03, p. 13), tandis qu’en Belgique, «les écarts de richesse se creusent» (cf. Bernard DEMONTY, Les Belges sont plus riches mais moins égaux, et Revenus et inégalités en hausse, dans Le Soir, Je 9/10/03, p. 1 et 3).
(3) Pour un développement des arguments de Pierre Rabhi en faveur de la “décroissance soutenable”, lire par exemple : Pierre RABHI, Pour une sobriété heureuse, dans Silence, n° 287, septembre 2002, p. 8-9.
(4) Pour connaître l’opinion récente du président de La ligne d’horizon, lire : Serge LATOUCHE, Pour une société de décroissance, dans Le Monde diplomatique, novembre 2003, p. 18-19.
(5) Ivan ILLICH, Une société sans école, Éditions du Seuil, 1971 (coll. Points Essais n° 117), 223 p.
(6) Serge LATOUCHE, loc. cit., p.19.
fin de l'homme? by Julie Friday November 14, 2003 at 04:44 PM |
J'ai entendu à la radio la phrase suivante: "Notre espèce est trop dangereuse. J'espère que l'homme va vite disparaître et faire place à une autre forme de vie qui sera plus soucieuse de sa propre survie"
A méditer...