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Une lueur de rien du tout
by Azmi Bishara Tuesday October 28, 2003 at 03:07 PM

Une lueur de rien du tout
Par Azmi Bishara

Al-Ahram Weekly
23 - 29 octobre 2003 - N° 661

A glimmer of nothing
http://weekly.ahram.org.eg/2003/661/op10.htm





En ce qui concerne Israël, la Déclaration de Genève n'est guère plus qu'un message adressé au public israélien. Les Israéliens qui soutiennent la Déclaration sont ceux qui favorisaient la poursuite des pourparlers de Taba après l'échec des négociations de Camp David, malgré les doutes émis alors par Barak. Faisant face à des élections imminentes en 2001, Barak avait permis aux échanges de se poursuivre à Taba, mais seulement en tant que dialogue intellectuel sans engagement. Ce n'est pas une surprise si ceux qui ont aidé à la rédaction de la Déclaration sont les mêmes gens qui ont pris part aux pourparlers de Taba, dans l'espoir de trouver une formule à présenter au public israélien pour les élections. La déclaration n'est pas un accord qui lie la partie israélienne, mais un message qu'ont envoyé les forces favorables à un règlement pour discréditer Barak bien plus que Sharon.

À ce moment-là, Barak ne cessait de répéter qu'il n'y a pas de partenaire palestinien pour signer un accord acceptable pour Israël. Cela, a-t-il dit, est causé par l'insistance des Palestiniens à l'égard du droit au retour. Ses prétentions ont été acceptées tant en Israël qu'à l'étranger, particulièrement par le président Clinton, qui - déçu de voir s'évaporer ses espoirs d'un Prix Nobel de la paix - a dirigé toute sa colère contre Yasser Arafat. Clinton a alors menti, comme il l'a fait en d'autres occasions: il a blâmé les Palestiniens de ne pas avoir bougé assez rapidement pour atteindre l'accord qui lui aurait assuré un Nobel avant la fin de son terme. Pendant ce temps, Barak a donné aux Palestiniens un ultimatum à prendre tel quel ou à laisser. Reniant les obligations des phases intérimaires d'Oslo et de Wye River, il a déposé un marché redéfinissant les conditions israéliennes et a menacé les Palestiniens d'être bannis à tout jamais des rangs des partisans de la paix et d'être marqués du sceau du terrorisme, s'ils devaient rejeter son marché.

La déclaration de Barak, faite immédiatement après que les Palestiniens aient refusé d'obéir à son diktat, à savoir qu'il n'y a pas de partenaire palestinien, était un coup porté dans le dos des partisans de la paix qui l'avaient porté au pouvoir et, en même temps, une stimulation pour le Likoud. Depuis, ces derniers sont résolus à tordre le bras aux Palestiniens jusqu'à ce qu'ils reconnaissent leur propre faiblesse, admettent leur défaite et soumettent un «partenaire» palestinien. À partir de ce moment, les pacifistes israéliens ont essayé de trouver un partenaire prêt à déboulonner la prétention de Barak voulant que les Palestiniens soient inflexibles sur le droit au retour et l'évacuation de toutes les colonies. Ces tentatives ont été réalisées sous parrainage européen. Se sentant coupables de leur impuissance face à Sharon, contrariés par le pur monopole exercé par Washington sur la politique régionale et attentifs au soutien exprimé par leur public envers la juste cause palestinienne, les Européens se sont consolés en arrangeant des sessions de dialogue, transformant des stations et hôtels à travers l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, la Belgique et la Grande-Bretagne en des terrains propices à d'hypothétiques accords réfutant les prétentions de Barak.

Si Barak avait signé un accord semblable à la Déclaration de Genève, il aurait été capable d'obtenir l'approbation du public israélien. C'est un fait. Immédiatement après que certains de ces détails ont été révélés par la presse, le texte de la Déclaration de Genève a obtenu le soutien de près de 40% de la société israélienne, malgré l'opposition de la direction centrale du Parti travailliste, des dirigeants du Shinoui et d'autres partis. C'est pourquoi la déclaration est si importante pour les forces pacifistes en Israël. Ils ont trouvé un partenaire palestinien, apparemment approuvé par l'Autorité palestinienne, béni par les pays arabes voisins et prêt, non seulement à renoncer au droit au retour, mais aussi à jeter au rebut les résolutions historiques adoptées par les Nations unies à cet égard - sans considération pour le trou béant que de telles concessions produisent dans la conscience et les droits des Palestiniens. La cerise sur le gâteau étant que ce nouveau partenaire palestinien est prêt a accepter l'existence continue des colonies dans le soi-disant «grand Jérusalem» et à Gush Etzion. Voilà l'étendue de l'aspect révolutionnaire de cette déclaration.

Barak a été le premier à attaquer la déclaration, suivi de l'ensemble du Likoud, des dirigeants du Shinoui et des faucons affaiblis du Parti travailliste. Les attaques de Barak contre la déclaration mettent en lumière ses propres mensonges et ceux de l'ancien président Clinton. Il attaque un accord hypothétique qui n'inclut pas le droit au retour. Cela veut donc dire que même si les Palestiniens avaient accepté d'abandonner le droit au retour à Camp David, Barak n'aurait pas été satisfait puisqu'il voulait d'autres concessions sur la terre et les colonies. Dans la mesure où cela est vrai, les Palestiniens peuvent utiliser la déclarations pour déboulonner Barak autant que Sharon.

Toutefois, et sans tomber dans les injures et les accusations de trahison, les Palestiniens ont le droit de se demander pourquoi ce serait correct de critiquer ceux qui commettent des opérations martyrs, sur la base qu'ils agissent en dehors d'une position palestinienne unie et coordonnée, alors qu'il n'est pas correct de critiquer les signataires de cette déclaration pour avoir abandonner le droit au retour sans le mandat d'aucune institution et encore moins des réfugiés eux-mêmes? Une question pertinente.

Certains diront qu'il y a une différence entre exprimer une opinion politique sans consulter les institutions palestiniennes et commettre des opérations qui ciblent des civils et qui affectent l'existence même du peuple palestinien. Effectivement, mais exprimer une opinion politique implique habituellement d'écrire un article, de participer à des manifestations, de soumettre une pétition et des actions de la sorte. Tous ceux qui ont une opinion ont le droit de l'exprimer, même si cette opinion implique la renonciation du droit au retour. C'est alors une opinion personnelle et la majorité des Palestiniens auraient le droit de le rejeter. Mais signer une déclaration qui porte le sceau semi-officiel de divers pays est plus que la simple expression d'une opinion. Une telle action confronte le peuple palestinien à un nouveau plafond pour des négociations ou pour être exact, un nouveau point de départ pour toute discussion future. Une fois qu'on a concédé la survie de colonies et qu'on a renoncé au droit au retour dans un accord, peu importe qu'il ne lie personne, signé avec les forces de l'opposition israélienne, il devient plus difficile pour les Palestiniens d'entamer de futures négociations sans prendre cela en compte.

Pour faire empirer les choses, le gouvernement israélien a attaqué la déclaration alors que l'Autorité palestinienne l'a considérée positive.

Soyons charitables. Tout Palestinien est dans son droit en publiant une telle déclaration avec un avertissement spécifiant que selon lui ou elle c'est une bonne base pour un accord entre l'OLP et Israël. Ce serait un geste légitime ouvert à discussion. Mais la signification de la déclaration va plus loin qu'une opinion ou une idée favorisée par certains. La déclaration a été présentée comme un accord. Elle a été rédigée à l'occasion de négociations formelles, comme si cela avait été un accord négocié entre États. Des pays l'ont parrainée officiellement. Elle sera signée au cours d'une cérémonie. Il n'y a pas de doute que c'est bien plus que la simple expression d'une opinion. C'est une tentative pour imposer de nouvelles réalités.

La déclaration va probablement diriger le dialogue inter-palestinien vers une discussion concentrée sur les pour et les contre de la déclaration - comme si c'était le seul sujet digne d'intérêt et l'unique règlement possible. Et c'est exactement ce que les signataires de la déclaration ont en tête, que c'est là l'unique solution et que tout le reste est contraire à la paix. Ainsi, la déclaration est plus qu'une opinion - elle transforme tout le reste en une opinion. En l'absence d'un système politique palestinien, il n'est guère surprenant de voir des Palestiniens négocier avec des membres de l'opposition israélienne, de façon semi-officielle, non pas au sujet d'un programme commun de lutte et de solidarité, mais au sujet d'un hypothétique accord de paix sans statut légal. C'est le même système politique palestinien au sein duquel des officiers de la sécurité jouent les porte-parole, s'adressant constamment aux médias - malgré le fait que même dans une dictature, on s'attend à ce que les services de sécurité demeurent silencieux, ou ne se mêlent pas de la politique, qu'ils prennent leurs ordres des politiciens et s'abstiennent de parler aux médias. C'est le même système politique palestinien au sein duquel des officiels discutent du sort de leur président avec les dirigeants d'autres pays, parfois sur le ton de la moquerie.

Il n'est guère surprenant de voir certains Palestiniens rejeter les règles du jeu qu'essaient d'imposer les parrains de la Déclaration de Genève et de la mer Morte, essayant à leur manière de faire respecter les règles d'autres jeux. À un moment où nous préconisons un dialogue inter-palestinien sur la base d'objectifs intérimaires communs et d'une stratégie de lutte commune, la dernière chose dont nous avons besoin est que chaque personne ayant une opinion politique essaie d'introduire ses propres règles du jeu.

La gauche sioniste israélienne n'a pas mérité le statut que la déclaration lui donne. On lui a accordé la possibilité de se poser en partenaire de paix, sans avoir eu à prendre une position crédible face à Sharon. Qu'ont fait les partenaires israéliens de cette déclaration, à part rencontrer des Palestiniens en Europe? Qu'a fait la gauche sioniste à propos des indéniables crimes du gouvernement de Sharon? Au cours des dernières années, la gauche sioniste à soutenu la construction du mur de séparation. Elle n'a pas montré la moindre solidarité digne de mention envers le peuple palestinien et sa lutte. Les Israéliens qui ont agi sur la base d'une position de solidarité avec les Palestiniens se sont opposés au mur et ont été ridiculisés par la gauche sioniste.

Somme toute, la déclaration rabaisse le plafond de l'Initiative arabe de paix, à laquelle elle ne fait qu'une brève référence. Elle fait aussi mention de la Feuille de route, qu'elle sape également. De manière générale, elle offre un parfait prétexte aux pays arabes qui souhaitent réduire les exigences de l'Initiative arabe de paix. Entre-temps, la déclaration n'a pas donné naissance à un accord de paix, ce qui semble peu probable, même si elle a obtenu le soutien de près de 40% des Israéliens, selon des sondages réalisés immédiatement après son dévoilement. Dès qu'a commencé la campagne officielle contre la déclaration, le soutien populaire est tombé à 27%. Donc, aucune percée n'a été réalisée et aucun revirement ne se matérialisera avant que les dirigeants israéliens commencent à la soutenir.

Alors, qu'avons-nous en bout de ligne? Nous avons une force politique palestinienne prête à renoncer au droit au retour, à accepter qu'Israël soit l'État du peuple juif, à appuyer l'existence continue des colonies israéliennes - mais pas d'accord de paix. Cela est indéfendable pour une nation sous occupation. Dans le futur, si quelqu'un devait parler contre les activités de colonisation et demander le démantèlement des colonies, y compris Gush Etzion, certains Palestiniens objecteront que Gush Etzion doit rester intacte, puisque tout Palestinien qui a signé la déclaration et est engagé envers ses principaux points la défendra probablement. Néanmoins, l'abdication du droit au retour et l'approbation de l'existence continue des colonies israéliennes sont indéfendables pour le peuple palestinien. Voilà le dilemme qui a fait surface sur la scène palestinienne, sans même qu'un accord de paix ait été conclu.

Azmi Bishara
Traduit de l'anglais par Olivier Roy
(Canada)