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Extrême droite : «créer la situation qui y remédie» (1)
by Patrick Gillard Monday October 27, 2003 at 10:59 AM
patrickgillard@skynet.be

Le journal Le Soir (Lu 27/10/03, p. 13) ayant choisi de publier mon opinion moyennant un certain nombre de coupures, j'ai choisi de vous soumettre l'intégralité du texte.

Extrême droite :
«créer la situation qui y remédie» (1)

Des parlementaires de plusieurs partis dits “démocratiques” ont déposé une proposition de loi à la Chambre, avec l’objectif - louable à première vue - d’obtenir la suppression du financement des formations politiques dites “antidémocratiques”. (2)

Sont particulièrement visés par ce projet tout compte fait “antidémocratique”, les Vlaams Blok et Front national, c’est-à-dire les deux partis d’extrême droite belges (3) dont les parlementaires ont - qu’on le veuille ou non - été élus à la suite d’une procédure électorale “démocratique”, comme ceux des autres formations politiques du pays. Personne n’a par exemple obligé - que je sache - certains citoyens hennuyers, “dégoûtés” de la politique (allez savoir pourquoi !), à voter Vlaams Blok aux récentes élections législatives. Même s’ils nous dérangent, nous devons apprendre à lire et surtout à décoder ces nombreux votes extrémistes parce qu’ils nous en disent long sur le terrible malaise que ressent une fraction de plus en plus importante de notre population. Aussi n’est-il certainement pas erroné de mesurer la prétendue proximité qui existe entre le politique et les citoyens à l’aune des résultats électoraux des partis extrémistes.

Dans la gestion particulière du dossier du financement des partis liberticides, comme d’ailleurs sur d’autres points relatifs à l’extrême droite, nos dirigeants politiques font généralement preuve - me semble-t-il - d’une grande naïveté. Mais sont-ils vraiment aussi naïfs ? Avec la loi projetée, ils me donnent l’impression de vouloir vainement protéger leur enceinte démocratique du mal extrémiste en élevant des barrières législatives, pas toujours très étanches (pensons par exemple aussi au fameux cordon sanitaire), alors que le fléau extrême, qu’ils font mine de combattre, prolifère régulièrement et déjà depuis un certain nombre d’années, à l’intérieur même des parlements qu’ils souhaiteraient pouvoir préserver. Les barrières financières et les murs de béton - que ce soit ici ou en Israël - n’ont jamais rien résolus.

Seule une politique qui aurait notamment pour but de réduire, puis de combler assez rapidement le fossé financier qui ne cesse de se creuser entre les riches et les pauvres de chez nous (4), une politique qui serait par exemple combinée à une action d’éducation populaire visant à favoriser le respect de la culture des nombreuses populations qui habitent notre pays - et réciproquement -, bref, seule une politique radicalement “humaine” - pour reprendre un terme cher à Raoul Vaneigen - aurait une chance non seulement de freiner la montée de l’extrême droite mais aussi de réduire petit à petit son poids sur l’échiquier politique belge. Le problème de notre extrême droite ne se réduit malheureusement pas à une question de financement, il dépend davantage d’un choix de société et d’une volonté politique pour le réaliser.

Et ce n’est pas davantage en privant les Vlaams Blok et consorts de leur financement public que nos édiles politiques récupéreront un certain nombre d’électeurs aux partis extrémistes. Bien au contraire, se sentant injustement attaqués par les partis dits “démocratiques”, les électeurs de base de ces formations extrêmes - qui sont des citoyens-électeurs à part entière - resserreraient les rangs derrière leur chef, tandis que de nombreux autres citoyens pourraient même être tentés de voter extrême droite pour la première fois parce qu’ils reconnaîtraient dans ces formations politiques les victimes financières d’un grand jeu antidémocratique mené par et au profit des grands partis traditionnels.

Regardons les choses en face : l’extrême droite est un produit récurrent de notre démocratie. Certains prétendus démocrates ne flirtent-ils pas avec certains représentants des partis extrémistes ? Attaquons-nous donc aux véritables causes de la montée de l’extrême droite et créons, avec Vaneigem, la situation qui y remédie : une société plus juste et égalitaire.

Patrick Gillard, historien
Bruxelles, le 24 octobre 2003

Notes

(1) Raoul Vaneigen, Rien n’est sacré, tout peut se dire. Réflexions sur la liberté d’expression, Éditions La Découverte, 2003, p. 26.

(2) Martine Vandemeulebroucke, Proposition de loi à la Chambre. L’extrême droite privée d’argent public ? , dans Le Soir, Je 23/10/2003, p. 5 et Paul Piret, Partis extrémistes. Frapper au portefeuille, bientôt possible, dans La Libre Belgique, Ve 24/10/03, p. 2

(3) S’ils accédaient aux tribunes parlementaires, les partis d’extrême gauche seraient-ils frappés de la même discrimination ?

(4) Bernard Demonty, Les Belges sont plus riches mais moins égaux, Revenus et inégalités en hausse et «Les écarts de richesse se creusent», dans Le Soir, Je 9/10/03, p. 1 et 3.