arch/ive/ief (2000 - 2005)

Difficile naissance d'un État au Venezuela
by Par Thierry Deronne Tuesday October 07, 2003 at 01:03 PM

La vérité comme pot de terre : sur le comportement des grands médias au vénézuela

L'Est de Caracas, l'île des quartiers riches, le 5 octobre 2003. Klaxons et pétards éclatent. L'employée de la boulangerie, qui vient de passer la tête par la porte pour jauger un ciel à la pluie, interroge les clients du regard. Les radios leur répondent, à l'unisson : "Chavez a pris Globovision !" Le monopole de la télévision au Venezuela - CMT, Televen, RCTV, Venevision et Globovision dominent sans partage le spectre hertzien mis à part une faible chaine publique - appelle "la population" à une nouvelle bataille contre le "dictateur Chavez".


Que s'est-il passé ? La puissante entreprise Globovision a décidé d'occuper sans permis légal des fréquences supplémentaires de celles qu'elle détient déjà. La Commission des Télécommunications (CONATEL), de par la Loi des Télécommunications de 2000, se trouve dans l'obligation de saisir des équipements ("micro-ondes") qui relaient sur ces fréquences illégales (1). Ceci ne signifie en rien interrompre la transmission quotidienne de la chaîne. Laquelle a par ailleurs, quinze jours pour exercer tous les recours légaux quant au matériel non-légal. Une démarche banale dans n'importe quel pays, France ou États-Unis, ou IFCC et CSA ont la même obligation de faire respecter la loi lorsque des entreprises commerciales émettent illégalement sur des fréquences qui appartiennent au patrimoine public et collectif.

Mais nous sommes au Venezuela, et le gouvernement de Hugo Chavez gêne les puissants de ce monde. L'occasion est trop belle. Prise d'un accès de surréalisme Globovision lance : "nous sommes fermés !". Et la chaîne "fermée" de démarrer fébrilement une séance non-stop d'information live sur fond de musique d'action, sur le thème de "l'atteinte à la liberté d'expression".


Cernés par les caméras, les quelques fonctionnaires de la CONATEL qui se sont présentés au siège de la chaîne pour faire appliquer la mesure, sont interrogés par les dirigeants de l'entreprise, secondés par leurs journalistes qui ne décolleront pas leur caméra de leurs supérieurs. Ceux-ci monologuent sur "la liberté d'expression" tandis que les fonctionnaires de la CONATEL, presque tout le temps hors champ, ne peuvent se défendre. Débarquent les caméras des autres chaînes de télévision. Apparaît alors le directeur de Globovision lui-même, Federico Ravell, qui entame son discours par un lapsus : "on voit bien que vous opérez une mesure technique, pardon, politique". Il se rattrape en apostrophant les fonctionnaires : "Que penseront vos enfants le jour où ils sauront que vous avez fermé un média ?" (sic) Les fonctionnaires de Conatel ressortent sous les huées, les partis de d'opposition accourus au siège de Globovision les lynchent de peu.


Pendant ce temps, devant le siège de la Commission Nationale des Télécommunications, les escouades de Primero Justicia (parti d'extrême-droite) sont déjà à l'oeuvre, brandissant des drapeaux nationaux et des mégaphones, appuyés par les caméras des mêmes télévisions commerciales. Ils insultent et agressent physiquement les fonctionnaires de la Commission. "Cu-bains ! cu-bains ! Chavez- dicta-teur" : les manifestants reprennent en choeur les slogans télévisés. En fin de journée, sous les phares plongeants des caméras, les fonctionnaires peuvent enfin sortir par une porte latérale. Huées, menacées, certaines fonctionnaires commencent á courir. Leurs collègues les rattrapent, tentent de les rassurer : "ne courez pas".


Cette haine et cette violence contre un État qui n'appartient plus, depuis l'élection de Hugo Chavez, aux propriétaires de télé, ne date pas d'aujourd'hui. Le 12 avril 2002, les mêmes chaînes privées lancent un coup d'État contre le nouveau président. Croyant un peu vite au succès, les télés appellent le spectateur à "dénoncer leur voisin chaviste" et accompagnent avec enthousiasme la police putschiste qui arrête les sympathisants du président renversé. Malgré cette participation directe, aux côtés de la CIA, à un coup d'État, aucune de ces chaînes n'a été sanctionnée. Elles ne se privent pas depuis de continuer à appeler ouvertement au renversement de Chavez sans qu'à aucun moment leur transmission n'ait été suspendue.


Sous la soi-disant "lutte pour la liberté d'expression", c'est donc la naissance d'un État non asservi au marché qui est visée directement par les grands groupes économiques auxquels appartient Globovision. Bien sûr, parmi ceux qui veulent lyncher les fonctionnaires, on ne trouve pas que les brigades d'extrême-droite mais aussi de nombreux membres de la classe moyenne, qui croient dur comme fer à ce que disent les médias commerciaux. Comment comprendraient-ils dès lors que la loi qui s'applique ici défend leur propre intérêt de citoyens, celui du pluralisme des fréquences ?

Globovision, RCTV, Televen, Venevision appellent à présent à relancer les manifestations pour chasser le président élu. Qui sait combien de médias mainstream parleront, ces jours-ci, dans le monde, des "atteintes à la liberté d'expression" au Venezuela ? A Washington, le Département d'État se dit "préoccupé face à la situation au Venezuela". Justement cette semaine, des sources officielles du même Département citées par USA News, évoquaient "les liens actifs du terroriste Chavez avec Al-Quaeda". Des "informations" reprises aussitôt en long et en large par les télés privées venezueliennes.

Catia Tve, la jeune télévision communautaire, associative de l'Ouest populaire de Caracas, a été fermée en juillet dernier par le maire de Caracas, opposant au président Chávez. Chassée de ses locaux elle n'a pu encore reprendre ses émissions. Sans voix, comme lors du coup d'État de 2002, devenue cible des putschistes. Mais de cela les grands médias ne se préoccupent pas. Pourquoi faudrait-il se préoccuper ?


(1) La Loi des Télécommunications, saluée lors de sa promulgation en 2000 par tous les médias dont Globovision, est disponible en espagnol sur <http://www.conatel.gov.ve/> http://www.conatel.gov.ve qui détaille aussi toutes les assises légales et les recours prévus dans le cas de l'infraction de Globovision. En termes de comparaison, le lecteur peut juger sur le site de la chaîne http://www.globovision.com/ , du traitement de l'information.



* Journaliste, cofondateur de la Télévision communautaire Teletambores, Maracay, Venezuela.

Et Indymedia ?
by François Tuesday October 07, 2003 at 01:48 PM

Thierry, est ce que tu sais pourquoi il n'y a pas encore d'Indymedia Vénézuéla ?

Info
by RISAL Tuesday October 07, 2003 at 07:23 PM
risal@collectifs.net

Premièrement, merci d'indiquer la source de l'article: http://risal.collectifs.net. Il s'agit d'une question de respect.

Indymedia n'est pas nécessaire à l'info alternative. Il existe un autre site qui remplit un peu ce rôle: http://www.aporrea.org. Très très visité.

Pour ceux qui veulent plus d'information sur le Venezuela en anglais, est né récemment un nouveau site: http://www.venezuelanalisis.com.

Et en français: http://risal.collectifs.net.

a conseiller aussi dans le dernier 'Diplo' (octobre 2003): un article de Maurice Lemoine sur la réforme agraire.

open publishing
by François Thursday October 09, 2003 at 09:49 AM

"Indymedia n'est pas nécessaire à l'info alternative. Il existe un autre site qui remplit un peu ce rôle: http://www.aporrea.org. Très très visité."

il semble que aporrea.org n'est pas un site open publishing

je réitère donc ma question, sous une autre forme :

il y a-t-il au vénézuela un médium web OPEN PUBLISHING, ayant une "visibilité" comparable à Indymedia et intégré dans un réseau international

reponse sur Indymedia
by thierry deronne Friday October 10, 2003 at 08:21 PM

Cher François, on en parle, et on espere bien le faire. Explications partielles de ce retard qui valent ce qu' elle valent : le contexte du Venezuela qui est en pleine transformation politique. Les qiçuelques jeunes qui disposent d' un ordinateur, ont cherche a creer des sites directement inscrits dans une lutte sociale et politique, comme antiescualidos et aporrea, qui font partie du mouvement progressistes, et d' autre sites de contre-information de l' opposition. Mais la grande majorite des habitants comme dans le reste de l' Amerique Latine ne disposent pas d' Internet. Ce qui reduit aussi le nombre des projets.