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Coup d'Etat au Chili et Mapuches
by sub terra Monday September 22, 2003 at 02:16 PM
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Les Mapuches Chilien et le Coup d'Etat de 1973

LE PEUPLE MAPUCHE

ET

LE COUP D’ETAT MILITAIRE

Mauricio Buendía

La mémoire du peuple mapuche est ancienne, comme le chant du ñankucheu et les eaux indigo du lac Budi. Elle est fertile parce qu’elle porte la semence d’une vérité criée au vent depuis que l’occupation des arquebuses et des hallebardes a fait irruption dans les terres du sud. Irruption qui a souillé ses terres, ses femmes et ses rêves de liberté. Cinq siècles plus tard, les militaires ont fait de même, et c’est pour cela que le peuple mapuche n’oublie pas, car « pour nous, les droits de l’homme sont violés depuis qu’on a envahi notre territoire et nous n’avons pas oublié ce qu’on nous a fait ».

C’est ce que, tranquillement, mais de façon catégorique, déclare Francisco Calquipan, président de la Corporation de Communication mapuche Xeg-Xeg. Car le coup d’état militaire et la répression qui l’a suivi ont été particulièrement violents en territoire mapuche. En effet, les propriétaires terriens soutenus par les forces armées se sont vengés de la réforme agraire que le gouvernement de l’Unité Populaire avait menée à bien. Avec cette réforme, les paysans –dont beaucoup étaient mapuche- ont eu, pour la première fois, la possibilité réelle de posséder la terre qui leur appartenait mais qui leur avait été usurpée par les classes dominantes.

Le gouvernement d’Eduardo Frei, malgré ses promesses de remettre des terres à 10 000 familles paysannes, n’en avait remis qu’à 20 000 d’entre elles, grâce à un début de réforme agraire. Le gouvernement de l’Unité Populaire est allé beaucoup plus loin puisque, pendant les deux premières années de son administration, et malgré toutes les difficultés imposées par l’opposition –intérieure comme extérieure- il a réussi à exproprier 35 000 domaines, soit une surface totale de 5 millions d’hectares. Le niveau d’organisation qu’avait atteint le mouvement paysan lui a permis de contribuer au développement, et dans de nombreux cas, à l’accélération de la réforme agraire. De fait, une partie significative de ce mouvement était pour une révolution agraire, ce que prouvent les occupations de domaines au-delà de ce qui était stipulé dans le programme du gouvernement populaire.

Pour Pedro Cayuqueo, ancien dirigeant étudiant mapuche, « l’engagement de nombreux secteurs de communautés dans l’occupation effective de domaines en zone sud, la réorganisation étudiante dirigée par la Fédération des Etudiants Indigènes, la naissance à cette époque d’importantes organisations appelées de façon erronée « rurales », la tenue de grands Congrès Mapuche, la stratégie d’alliances avec les secteurs révolutionnaires chiliens par exemple, sont la preuve d’un processus revendicatif qui n’était pas le plus faible dans la lutte de notre peuple. Tout cela, c’est évident, appuyé par une série de mesures prises par le gouvernement de l’Unité Populaire, mesures qui reconnaissaient effectivement nos droits sur nos territoires usurpés, de même que notre droit à un meilleur respect de notre culture et de nos formes traditionnelles d’organisation ».

Toute cette activité a suscité la haine des propriétaires terriens et, à cause de cela, « la répression n’a pas été le seul fait des militaires, mais aussi des maîtres des domaines qui possédaient toute l’information. Ce sont aux qui dressaient les listes et qui prenaient la décision de qui devait être arrêté, torturé ou fusillé ». La vengeance des latifundistes a été féroce et, à certain moment, à cause de la répression généralisée de la part des civils et des militaires, « nous nous sommes retrouvés seuls, les Mapuche, ceux qui luttaient pour notre cause disparurent. Le mouvement social disparaît, de même que le mouvement étudiant et le Mouvement Paysan Révolutionnaire (MCR) qui était également très fort » (Rafael Millaman, anthropologue et professeur à l’Université Catholique de Temuco).

Cette solitude était liée au repli des forces de gauche et Millaman lui-même appartenait aux Jeunesses Communistes lorsqu’il était jeune étudiant à l’université de Concepción. « Je n’étais pas lié au mouvement mapuche. C’est le coup d’état qui m’y a amené. Le 11 Septembre, je suis parti tôt du foyer Emilio Recabarren où je vivais. En passant devant le siège des Jeunesses Communistes, je n’ai vu que la destruction. J’ai essayé de rencontrer d’autres camarades, mais tout le monde essayait de se cacher. A un moment, j’ai entendu des cris dans la colline, c’était un groupe de camarades qui se cachaient dans la forêt. D’autres essayaient d’organiser peu ou prou la résistance, jusqu’à ce que vint l’ordre de tout arrêter. J’ai alors quitté Concepción et je me suis rendu à Pitrufquen. Chez moi, on croyait que j’étais mort. Je suis parti à la campagne, à Villarica, et là, je me suis rendu compte que la torture était importante dans la communauté. Il y avait une forte présence communiste et socialiste, et des frères ont été suspendus aux hélicoptères ».

Répression des militaires et des latifundistes
Ce déclenchement de haine et de racisme ne s’est pas seulement produit dans la zone montagneuse de Villarica, mais dans beaucoup d’autres endroits du territoire mapuche. Carmen Curihuentro, de la communauté Francisco Curihuentro, près de Carahue, était une petite fille au moment du coup d’état, mais elle se rappelle très nettement qu’avec ses sœurs et ses frères, elle gardait « les cochons et les brebis près de la route principale qui reliait Carahue à Temuco par la vallée. Je voyais tout, comment les militaires passaient en camion, avec les armes pointées. Ils mettaient les maisons à sac et les gens avaient très peur et personne ne disait rien. Après, à l’école, on ne disait rien non plus. On ne pouvait rien dire. On nous faisait chanter l’hymne national. Avec des amis mapuche, on pouvait parler, discuter, et on écoutait les chansons de Silvio Rodriguez et de Pablo Milanés ».

Cette peur, on la retrouvait ailleurs, dit Calquipan, « à Panguipulli, à Ercilla, à Malipeuco. Les militaires, les flics, ceux de l’Aviation, les maîtres des domaines ont énormément réprimé. La répression contre notre peuple fut terrible. Il y en a qu’on a tué dans leur propre maison, et se trouvait là la femme ou la fillette qui avait tout vu. A Lautaro, par exemple, il y a des familles où quatre fils ont disparu. Ils se sont acharnés sur les Mapuche. Ils torturaient en présence de la famille. Juan Eleuterio Cheuquepan , qui n’avait que quinze ans, ils lui ont cassé les bras, et après, ils l’ont emmené ». Calquipan avait le même âge au moment du coup d’état, mais cela ne l’a pas empêché d’être arrêté et de subir « une forte torture malgré mon âge. Là on se rend compte, plus que jamais, que le racisme existe. Ils disaient : en plus d’être révolutionnaire, tu es indien. Et ils frappaient encore plus. Ils ne tenaient pas compte du fait que j’étais un enfant, même si, à cet âge, j’étais dirigeant de la Fédération des Etudiants Indigènes. Je travaillais le jour et j’étudiais le soir, parce que j’étais venu de la campagne avec les mêmes aspirations que tous les autres jeunes qui émigraient et qui savaient qu’il était important d’étudier. C’était en 70, c’était tout l’euphorie de l’Unité Populaire, et j’ai rejoins rapidement le mouvement étudiant. Depuis tout petit j’étais dans les organisations mapuche où j’accompagnais mon père, et j’écoutais toujours les vieux de la communauté ».

Il écoutait aussi son cœur qui lui disait que sa place était avec les plus pauvres, et c’est pour cela qu’il a travaillé aux Chiffonniers d’Emmaüs, « et là, nous avons fait des choses importantes à la campagne comme dans les quartiers pauvres. Nous avons tous étés emprisonnés et le seul qui soit resté ici, c’est moi, les autres sont tous partis en exil. Ce fut un choix personnel qui donnait la priorité à la famille. Nous avons vécu dans la pauvreté pendant des décennies. Tout ce que gagnais servait à nourrir mes frères. Mais c’était naturel, parce que la solidarité est quelque chose d’intrinsèque à notre peuple. En plus de la pauvreté, j’ai dû signer longtemps (au commissariat, NDT), sans pouvoir quitter la région. On m’a expulsé du lycée et on ne m’y a plus jamais repris. C’est seulement en 93, vingt plus tard, que j’ai pu terminer le secondaire ».

Rosamel Millaman a plus de chance, de ce point de vue, puisqu’il a pu retourner à Concepción et à l’université. Une fois là, « j’ai commencé à évoluer dans mon engagement politique et je me suis investi dans la question mapuche. Peu après, nous avons pu avoir un foyer d’étudiants mapuche. Cela est lié à la naissance des centres culturels mapuche ici, à Temuko, en 1979, après la promulgation de la loi indigène. A Concepción, nous avons réalisé les semaines culturelles mapuche, une des actions les plus importantes après le coup d’état. Nous avons pu réunir près de trois mille personnes dans le gymnase des curés, près de la caserne. Tout cela, malgré la forte répression. Un exemple ; la CNI a tué un camarade du MIR en le faisant exploser, comme avertissement en direction de nous tous. Mais le travail continuait ; à Arauco, par exemple, l’organisation mapuche se renforçait au point que le congrès des centres culturels mapuche a pu se tenir ici, à Temuko, en 1980 ».

C’est à cette époque que Millaman est élu à la direction nationale de AD-Mapu, une des principales organisations indigènes d’alors. Il est indéniable que c’est dans ces centres culturels mapuche que l’on trouve les germes de la réorganisation du mouvement mapuche et, pour la sphère mapuche, son détachement progressif de la façon traditionnelle de faire de la politique au Chili. La gauche, alors se liait au peuple et aux problèmes indigènes par le canal du militantisme politique et, dans de nombreux cas, en imposant ses politiques partisanes au mépris des intérêts réels des peuples autochtones.

C’est autour de ce thème que Cayuqueo réfléchit à propos du coup d’état, soulignant que « si le programme de Salvador Allende ne comportait pas le respect de nos droits fondamentaux en tant que peuple, comme l’autodétermination ou l’autonomie qui s’expriment aujourd’hui avec une force inusitée,, il prenait cependant en compte nos revendications à l’intérieur de la vision marxiste classique du « paysannat ». Cela a permis de plus grands espaces politiques de liberté et de manœuvre dont les organisations mapuche qui existaient à l’époque ont bien sûr profité. Pour les Mapuche, ce n’était pas un gouvernement idéal, mais c’était un gouvernement révolutionnaire et démocratique qui a su gagner l’estime et le respect de nombreux dirigeants traditionnels de communautés. Tout ce processus s’est violemment interrompu le 11 Septembre. Ce qui viendrait par la suite n’en serait que la conséquence. Comme pour ce qui s’est passé avec les secteurs populaires chiliens, les organisations mapuche ont été déclarées illégales, leurs dirigeants pourchassés et une grande partie d’entre eux assassinés jusqu’au retour de la soi-disant démocratie. Il existe aujourd’hui une liste de plus de deux cents militants mapuche assassinés, exécutés sommairement et/ou détenus-disparus qui témoigne de cette réalité cruelle ».

Un avant et un après le coup d’état
Cependant, affirme Pedro Cayuqueo, il faut considérer un élément important dans l’analyse du coup d’état militaire et de la conséquence dans le milieu mapuche ; « c’est, après le coup d’état, le passage d’une approche politique mapuche essentiellement rurale à une autre, identitaire, et qui traverse aujourd’hui une partie importante du mouvement mapuche depuis la fin des années 90..

A la différence de ce qui existait dans les années 60 ou 70, le processus politique a aujourd’hui une faible connotation rurale et la vision identitaire, indépendante, est beaucoup plus marquée, même quand elle reste liée au processus de reconstruction politico-sociale mené par la gauche chilienne. C’est dans son identité ethnique entièrement niée que s’alimente ce que, et ce n’est pas par hasard, certains frères osent appeler un processus de « libération nationale ». Je crois réellement que le coup d’état marque une frontière, un avant et un après, pour le mouvement mapuche. Un avant caractérisé par le lien avec la gauche et une vision « ruraliste » du conflit chilien-mapuche, et un après marqué par l’irruption des idées d’autonomie et d’autodétermination. C’est une conséquence, et pas la moindre sans doute, trente ans après ».

Des décennies de répression contre le peuple mapuche, mais aussi de résistance et de lutte car, comme l’indique Calquipan, « nous, les Mapuche, nous nous sommes affrontés à la dictature et maintenant, nous nous affrontons au modèle économique, aux grandes entreprises transnationales. Cela montre que quand les gens ont des principes solides, il n’est pas facile de les vaincre, et pas davantage de cacher les choses, comme le fait ce gouvernement. Une chose est ce que le gouvernement veut, et autre chose ce que le peuple décide. Je ne pense pas que l’ensemble des familles des détenus-disparus, des exécutés ou des torturés, avec les sentiments, les valeurs, les principes qu’elles ont toujours démontrés, acceptent d’effacer la mémoire historique par un décret-loi qui dise qu’ici il ne s’est rien passé. Les maîtres des domaines se sont chargés des massacres, et la classe politique avec les forces armées se charge de la mort de notre histoire, mais la mémoire mapuche est ancienne et a une vocation d’avenir. Elle ne permettra pas que l’oubli et l’impunité l’emportent dans notre territoire ».

(in Punto Final / Rebelión: 12/09/2003)

traduction::M.F.Ressouches

Comité Chili-Amérique-Latine d'Aix-en-Provence

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