arch/ive/ief (2000 - 2005)

Andalouse harissa avec des oignons cuits
by Mehmet Koksal Thursday September 18, 2003 at 08:03 PM
koksal@visas.be

Derrière un petit présentoir de viandes à frire et son minuscule local de deux mètres sur deux, “Bilo” - le Belge d’origine vietnamienne - fait sauter les pommes de terre devant sa clientèle multiethnique. Son Snack sur le pouce - qui depuis 1982 officie sous la houlette de ce travailleur acharné et hautement cultivé jouit d’une renommée incomparable au sein de deux grandes communautés (marocaines et turques) de Bruxelles pour ses sandwiches aux oignons cuits et à la sauce piquante.

“Allô? Oui oglum (mon fils, en turc)... Frites simples, salade, tomates... Sogan bismis? (oignons cuits, en turc) Ok, 10 minutes”, sitôt le cornet raccroché, les couteaux s’agitent, les miettes de pain s’éparpillent et l’huile brûlante rejoint la symphonie dans ce concert de frietkot (baraque à frite, en "bruxellois bilingue") dans le plus petit snack de la plus petite commune de Belgique, Saint-Josse-ten-Noode.
Derrière un petit présentoir de viandes à frire et son minuscule local de deux mètres sur deux, “Bilo” - le Belge d’origine vietnamienne - fait sauter les pommes de terre devant sa clientèle multiethnique. Son Snack sur le pouce - qui depuis 1982 officie sous la houlette de ce travailleur acharné et hautement cultivé jouit d’une renommée incomparable au sein de deux grandes communautés (marocaines et turques) de Bruxelles pour ses sandwiches aux oignons cuits et à la sauce piquante. Plusieurs fois copié mais jamais égalé, le savoir-faire du cuisinier vietnamien n’a pas pris une seule ride (tout comme lui-même d’ailleurs) à travers les années avec une clientèle sans cesse grandissante. “En 1981, un an avant que je reprenne le snack, la population du quartier était très différente mais la commune a toujours connu les mélanges. Je me souviens des Italiens, des Espagnols, des Turcs déjà... Il y avait le magasin Fromage belge et le café turc en face s’appelait à l’époque Le Canari”, raconte avec passion mais sans nostalgie le tenancier.

Un surnom turc
Comment un vietnamien originaire de la province de Ha Nam, étudiant en mathématique à l’université puis officier dans l’armée du sud Vietnam engagé dans la guerre contre les communistes, se retrouve finalement à vendre des frites et des hamburgers en Belgique? C’est toute la magie des phénomènes migratoires. De plus, il porte un surnom turc “Bilo” en référence au nom de scène d’un célèbre acteur comique des années ‘80 (Ilyas Salman) et personne ne semble se soucier de son vrai nom! “Mon vrai nom est Tam Phan et le surnom m’a été donné en 1982 par mon voisin turc Kaya. Je me souviens très bien, c’était l’époque des premiers caméscopes dans le quartier et Kaya débarquait souvent en pouffant de rire car il venait de voir un des films avec ce Bilo. Du coup, le surnom est resté en tous cas pour les Turcs!”.

Né en 1947, Tam Phan quitte le Vietnam du nord à l’âge de 7 ans pour suivre son père officier dans la marine. Il interrompt ensuite ses études à l’université suite à l’appel à mobilisation des forces du sud vietnam contre les communistes du nord. Il prendra même part à des combats aux côtés de soldats Néo-zélandais durant l’année 1968-1969. Dès 1975, il décide finalement de quitter son pays. “Je me préparais à aller aux Etats-Unis car on avait plus de facilités du fait de l’engagement dans la guerre mais mon frère qui travaillait déjà à l’époque comme chef de l’informatique à l’Université Catholique de Louvain m’a convaincu de venir en Belgique”. Tam débarque donc en Belgique avec sa petite fille de 10 mois et commence à apprendre le français. Après quelques petits jobs au début, il décide finalement de reprendre ce commerce de sandwiches chauds à un Belge de Waterloo. Il se concentrera ensuite à l’éducation de sa fille, aujourd’hui juriste pour la firme Monsanto, et le bien-être de sa famille. Une ancienne commerçante turque du quartier qui se souvient du personnage raconte: “Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi honnête et méticuleux. Il venait par exemple prendre un sac d’oignons en vitesse et je le voyais courir pour revenir payer. Toujours très poli et très calme. C’est un homme qui a bien réussi. Avec son petit commerce, il arrivait à nourir une grande famille...”.

Malgré qu’il ait rapidement opté pour la naturalisation (Belge depuis près de 20 ans), Tam n’a jamais envisagé de faire de la politique. “Je suis trop franc pour faire de la politique. De plus j’estime ne pas être assez formé pour en faire. Les Turcs ou les Marocains en font car la masse le demande et je trouve cela très bien qu’ils s’engagent même si parfois je trouve le niveau intellectuel assez bas en général.” Le franc-parler de l’homme ne subit aucune ombre dans son analyse. “ Oui, j’ai combattu les communistes dans mon pays d’origine mais je suis un homme de gauche en réalité. Les communistes n’acceptent pas que les autres pensent différemment alors que les gens de gauche tolèrent sans nécessairement adhérer aux différents points de vue. Je n’aime pas la dictature qu’elle soit de gauche ou de droite ”, précise Tam Phan.

Un client amusé par l’entretien demande un hamburger “full-option” (toutes les crudités incluses) qui du coup ramène le cuisinier à son commerce. D’une main, il remplit le ravier de frites, de l’autre il met le sel tout en calculant l’addition d’un autre client. Il compte à voix haute mais en marmonant quelque chose d’à peine perceptible puis rapidement emballe la nourriture et... suivant! Un autre habitué des lieux l’interpelle sur l’état de ses finances: “Alors Bilo, et les affaires?”. Une question rituelle en réalité que le Vietnamien gère avec réserve: “Faillite, faillite”. La même réponse depuis plus de 10 ans: toujours deux fois le même mot qui déclenchent le sourire des habitués contemplant le défilé des billets. Bilo marquera sans doute l’histoire et la mémoire de l’immigration turco-marocaine par ses sandwiches oignons cuits et à la sauce piquante. Celui aussi que tant de nouveaux commerçants tentent d’imiter, mais quelqu’un pourra-t-il encore faire le lien avec Tam Phan?

Mehmet KOKSAL
koksal@visas.be

oignons génétiquement modifiés
by jové bozé Thursday September 18, 2003 at 11:45 PM

dommage pour sa fille ...