Deuxième journée du procès des gendarmes by Par Griet (traduction Joëlle) Monday September 15, 2003 at 05:59 PM |
Ceci est un résumé de la deuxième journée du procès. J’ai essayé de faire un compte-rendu le plus exact de ce qui a été dit, sans commentaire ou analyse. Il est inévitable que des passages m’aient échappé : la salle d’audience n’est pas une salle de cours : les inculpés nous tournent le dos.
Les interrogatoires des inculpés : les questions sont posées par le juge Félix Vernimmen, sauf mention contraire (questions des parties civiles)
1er inculpé, gendarme Cornelis
Je fais partie de la section de contrôle de la frontière et de la section rapatriement forcé. Nous faisons ça à tour de rôle, nous sommes des gendarmes volontaires. À partir de 1995 j'ai fait entre 15 et 20 expulsions; il y a eu quelques incidents, par ex avec ceux qui cachaient des rasoirs. Avant le rapatriement de Semira, d'autres m'ont dit, attention c'est sa sixième fois. Nous sommes d'abord allés dans sa cellule pour lui expliquer qu'elle n'avait aucune raison de résister. Je lui ai dit ça en français et en anglais, elle n'a pas réagi, ne m'a même pas regardé. On l'a ligotée parce qu’il y en a qui essaient de sauter pendant le transport. Elle était passive, ne réagissait pas. Dans l'avion, si on a laissé les accoudoirs baissés c'est parce que le siège était cassé. J'ai mentionné ce problème, mais on m'a dit de les laisser baissés.
Elle a essayé d'enlever sa ceinture de sécurité et de se lever, elle n'a pas réussi à l'ouvrir, je l'ai bien refermée. Monsieur Heylen, le caméraman, m'a dit: elle a crié, mais je ne sais pas combien de temps. Nous étions à l'arrière de l'avion, les passagers rentraient par l'avant, nous ne voulions pas lui laisser le temps d'alerter les passagers parce que la dernière fois elle avait crié et les passagers s'étaient révoltés. Elle criait, et cette fois nous sommes tout de suite intervenus pour empêcher que les passagers soient au courant. Je l'ai tirée vers moi et Pippeleers a fait la « patte de canard ». Je l'ai plaquée quelques minutes contre le coussin, sans presser sur le nez, la pression que j'exerçais n'était pas constante, quand elle se révoltait j'augmentais la pression, et quand sa résistance diminuait je diminuais la pression et le « houdgreep ». Elle a tourné la tête de sa propre initiative.
Est-ce que Pippeleers poussait fort? Je ne sais pas, il faut lui demander. Mais lui aussi poussait plus fort quand elle résistait et moins quand elle restait immobile. Mon chef m'a donné le coussin. Il y a des gens qui se tiennent calmes pour récupérer leurs forces et tout à coup recommencent. On ne voulait pas lui laisser la possibilité de se redresser sur son siège et de retrouver ses forces. Mon collègue a demandé deux ou trois fois si elle pouvait encore respirer. C'est une question traditionnelle pour garder le contrôle, parce qu'on a tellement de choses à faire à ce moment là. À un moment très important je l'ai entendu renifler ou haleter (snikken), j'ai cru qu'elle pleurait alors on a continué. (…)
Je n'ai pas regardé ses yeux (…). Je n'étais pas à la journée d'études de 1996 sur les expulsions.
- Aviez-vous employé le coussin avant?
Une fois.
- Avez-vous eu des accidents avec ce coussin?
Non.
- Vous avez mis votre bras contre son épaule?
Peut-être que j'ai appuyé à nouveau.
Quelques jours avant l'expulsion, je prenais un café avec des collègues et nous avons parlé du cas de Semira, en disant que c'était un cas difficile.
- Y avait-il des pressions pour que ce rapatriement aboutisse?
Non, mais dans les couloirs on parlait et on disait "les trente expulsions doivent réussir ou nous aurons des misères". Une pression certaine venait d'en haut.
J'ai une carrière sans tache. J'ai été malade pendant trois ans à cause de cette affaire, je suis resté un an sans travailler, et maintenant je suis de nouveau à la maison.
- Vous avez constaté que cet accoudoir ne fonctionnait pas. N'y a-t-il eu personne pour penser à la changer de place?
À ce moment nous ne savions pas que cet accoudoir pouvait avoir pour conséquence de l'empêcher de respirer.
- Dans vos déclarations précédentes vous avez dit que quand les passagers sont entrés elle a essayé de crier. Maintenant vous dites qu'elle a crié. Ca fait une grande différence. Quelle est la réalité?
Il y a eu un début de cri, pendant une fraction de seconde.
Questions des avocats de la partie civile :
1- On voit sur la vidéo trois grands adultes peser de tout leur poids sur Semira. Est-ce que toutes les expulsions se passent toujours avec une telle démonstration de force physique et de pouvoir?
Oui, c'est normal, mais d'habitude il y a moins de policiers. Dans ce cas-ci nous n'étions que deux à pousser.
2- Vous dites que le coussin ne touchait pas son nez, comment pouvez-vous être sûr, la distance entre la bouche et le nez est minuscule?
Ca je ne sais pas, vous devez demander à ceux qui ont rédigé cette circulaire.
3- Vous dites que quand vous avez vu les spasmes vous ne saviez pas que c'était un élément de l'étouffement. Personne d'entre vous n'a eu l'idée de regarder si tout se passait bien? Pourquoi avez-vous continué?
Parce que j'ai entendu qu'elle respirait, j'ai contrôlé ce que je devais contrôler.
2ème Inculpé, gendarme Pippeleers.
J'ai commencé en 1994, après un an j'ai pu procéder à des rapatriements, j'en ai fait plus de 20.
J'ai vu Semira dans la cellule, je lui ai dit qu'elle chantait joliment bien, mais elle ne voulait pas me répondre.
- Pendant que vous étiez occupés avec le coussin, il y avait du personnel de la Sabena autour de vous. Ces personnes disent qu'elles n'ont pas entendu Semira crier.
La musique s’était mise en route.
- Pourquoi avez-vous décidé de la plier en deux?
C'était notre devoir / obligation quand elle a essayé de crier fort.
- Combien de minutes avez-vous appuyé?
Sept, huit ou peut-être dix minutes, j'étais plein de sueur, parce qu'il y avait une forte résistance. J'étais trempé de sueur.
- Qui était autour de vous?
Il y avait beaucoup de monde, entre autres le capitaine Vandenbroek, une dizaine de personnes, des gens de la Sabena et des gens du service des Etrangers
Personne parmi eux n'est intervenu, tout était normal dans la procédure, j'ai confiance en mes collègues, qui ont contrôlé qu'elle respirait.
Semira m'a attrapé les couilles, Dany a vu ça et il m'a aidé.
- Quand a-t-elle déféqué?
C'était tout au début, après environ 5 minutes.
- Vous savez que cela peut être le signe du début du coma?
Il y en a qui utilisent ça comme tactique pour rester ici. L'odeur était là depuis le début, pour nous c'était le signe que, comme beaucoup d'autres, elle faisait cela pour ne pas partir.
J'ai déjà employé le coussin deux fois. Et je connais une expulsion où on a appuyé sur la personne pendant six heures.
- En 1997 il y a eu un incident très grave. Vous avez perdu votre calme. Un de vos collègues (qui faisait pour la première fois une expulsion) a porté plainte contre vous pour avoir frappé dans le ventre un homme expulsé vers Casablanca. Vous lui avez tapé dans le ventre et votre collègue a dit que vous aviez déclaré: "comme gendarmes, nous devons montrer qui est le chef".
Je n'ai jamais frappé, j'ignore pourquoi mon collègue déclare cela. J'ai dit ces mots mais je n'ai pas frappé.
Le parquet a classé cette plainte, mais j'ai été suspendu pendant un mois de la gendarmerie.
Après cette suspension je n'ai plus pu faire de rapatriement pendant deux ans, puis j'ai demandé de pouvoir de nouveau en faire au capitaine Vandenbroek. Il a accepté à condition que je remette un rapport après chaque expulsion. J'en avais déjà fait trois avant Semira. Après cette affaire on a voulu nous déplacer sur Louvain, mais Tobback, qui était bourgmestre de Louvain, a dit : " je ne veux pas de criminel dans ma ville". A cause de cela nous avons été mutés ailleurs. Je suis longtemps resté à la maison, j'ai eu besoin d'aide psychologique, j'ai eu beaucoup de difficultés et j'ai beaucoup souffert.
(Il pleure)
- Le rapport psychiatrique vous décrit comme une personnalité douce, non violente, positive, vous aimez le football, vous êtres sociable, jovial, sans peur, vous avez une certaine autorité et vous pouvez montrer une force impulsive en situation de conflit.
Nous avons été menottés pour une nuit, enfermés dans une cellule glacée. Ca nous a cassés. J'ai assez souffert. Nous avons fait notre travail, comme il faut. Je n'oublierai jamais ce qu'on nous a fait.
Questions des avocats de la partie civile :
1 - On est volontaires pour les rapatriements. Vous aviez déjà connu une situation difficile. Pourquoi vous êtes vous porté volontaire pour en faire à nouveau?
C'est quelque chose qu'on fait ou qu'on ne fait pas. Je suis amoureux de l'Afrique. J'ai des très bonnes relations avec des gens qui ont une autre couleur de peau, j'aime connaître les autres cultures. Les expulsions ne nous donnaient pas d'avantages financiers, mais on pouvait voyager et on recevait de l'argent pour se loger là-bas.
2 - Ce collègue qui a porté plainte contre vous, c'était sa première expulsion. Quel était son avantage à tout à coup vous accuser sans raison?
Je me le demande.
3ème inculpé, gendarme Colemonts
(…) Pendant l'expulsion, Semira a essayé d'attraper mon collègue par les couilles. Je suis intervenu pour l'aider. Dès mon arrivées à bord, j'ai senti la mauvaise odeur. J'ai été chercher de l'eau de Cologne et en ai jeté quelques gouttes sur le fauteuil.
J'ai senti à un moment que ses mains étaient flasques mais j'ai cru que c'était de la stratégie. Je ne sais pas si son nez ou sa gorge étaient dégagés ou pas. J'ai de l'expérience, depuis 1981 j'ai procédé à une cinquantaine d'expulsions. Parmi les déportés il y en a des malins qui essaient d'attendre jusqu'à ce que l'avion soit plein pour faire du bruit. Je n'ai pas reçu de formation, j'ai tout appris avec mes collègues. Dans les cellules j'ai parfois vu des gens dont j'ai eu pitié, leur situation est tellement inhumaine. Ils sont envoyés ici par leur famille, et en Afrique la famille espère qu'ils vont envoyer un peu d'argent.
- Il y avait une dizaine de personnes autour de vous, personne n'a réagi?
Tout le monde était convaincu que tout se passait selon les règles.
- Le psychiatre dit que vous avez une intelligence au-dessus de la moyenne et que vous avez du respect pour les autres et le sens de la responsabilité.
J'ai encore travaillé jusqu'au 26 octobre à l'aéroport, avant d'être muté. J'ai trouvé cela très grave. L'aéroport, c'était ma deuxième vie, j'aimais tellement le monde de l'aéroport, je ne comprends pas pourquoi j'ai dû le quitter. Je suis resté deux ans à la maison. Tobback ne voulait pas de "criminels dans sa ville". Le chef (état-major ?) de la gendarmerie nous a reçu 4 fois. Je ne voulais pas aller compter des boîtes vides dans une cave, parce que je n'ai commis aucune faute. Après ils m'ont muté vers la caserne d'Etterbeek. (…)
4ème inculpé Capitaine Vandenbroek, responsable des rapatriements
Durant ces deux semaines, on a reçu l'ordre d'absolument déporter 23 personnes, parce que les centres étaient pleins. Le Ministère de l'Intérieur nous a dit que les déportations n'allaient pas assez vite et que nous devions produire un effet choc. Normalement l'équipe de sécurité de la Sabena procède à des expulsions, mais d'une part ça coûtait trop cher et d'autre part les gens résistaient trop. C'est pour cela que la Sabena a demandé à la gendarmerie de procéder aux expulsions.
Le dossier de Adamu était l'un parmi les 3500 expulsions qui ont lieu chaque année. Il y avait peut-être un peu plus d'attention à cause des media et parce qu'on avait un quota de 23 personnes à expulser dans une procédure d'urgence.
Le 21 juillet, pendant la 4ème tentative, je suis allé dans l'avion. Les passagers se sont révoltés, il y avait même tellement de tumulte que l'avion bougeait. La résistance a été générale. Un passager nous a attaqués et on l'a arrêté.
Il y a un tableau de pourcentage de réussite des rapatriements qui était affiché chaque jour. Si le chiffre était trop bas, le colonel Tempels nous réprimandait. Via les membres du cabinet des affaires intérieures nous avons senti la pression. La pression pour faire partir Semira après tous ces essais. Semira était soutenue par le Collectif contre les expulsions. Si cette expulsion ne réussissait pas, cela pouvait faire croire que le Collectif était capable de saper la politique des étrangers. Vande Lanotte a dit que les longues périodes d'enfermement avaient un effet négatif sur les expulsions. Je savais qu'on ne pouvait plus garder Semira bien longtemps.
À 10h35 on a senti la mauvaise odeur. Autour de 10h54 j'ai senti que son cœur ne battait plus.
Question de l’avocat de la partie civile :
1 - Avez-vous donné des ordres au cameraman sur ce qu'il devait ou non filmer?
Non, mais malheureusement il ne lui restait plus que quelques minutes de films, et c'était difficile de tout filmer.
2 - Vous avez dit qu'un des moments les plus difficiles d'une expulsion est celui où les passagers entrent. Ce moment n'est justement pas filmé?
Il n'y avait pas assez de film.
3 - Selon votre analyse, il y avait pression politique d'en haut, pression d'en bas (pas assez de personnel) et vous avez dit que vous n'aviez pas eu de formation sur les circulaires et la façon de les appliquer. Dans votre position, trouvez-vous raisonnable d'avoir décidé de continuer les expulsions, dans un contexte qui d'après vos propres propos était difficile et inacceptable?
Tout le monde connaissait la technique du coussin, personne n'a jamais dit que c'était dangereux, ma confiance était grande.
4 - Il ne faut pas être médecin pour imaginer, quand on plaque très fort quelqu'un sur un accoudoir et un coussin, que ça peut tuer. Vous n'avez pas réfléchi à cela?
Non, par le passé nous avions employé le coussin pendant plusieurs heures d'affilée et rien d'anormal n'a eu lieu.
5 - Vous avez laissé procéder à cette expulsion par Pippeleers, qui avait des antécédents. Pourquoi avez-vous accepté cela, et aviez-vous quelqu'un pour le contrôler?
Quelqu'un devait contrôler qu'il ne la frappe pas, et effectivement il n'a pas frappé.
5ème inculpé, gendarme Welkhuysen ( ?) :
Griet est sortie pendant quelques minutes
1er témoin: Heylen, le gendarme cameraman
À un certain moment elle a commencé à crier mais je ne sais plus rien de ces moments-là. La mauvaise odeur, c'était dès le début.
Quelques semaines avant les faits la pression émanant du Ministère de l'Intérieur était très forte. Nous sentions cette pression.
Questions de l’avocat de la partie civile :
1 - Il y a une interruption dans la vidéo. Pouvez-vous jurer sur serment que vous n'en avez pas détruit une partie et que vous avez gardé toute la cassette? Vous avez décidé d'arrêter de filmer et de recommencer à certains moments. On a vu discuter Pippeleers et Cornelis à propos des accoudoirs, et on les a entendu dire qu'une fois, à cause de ces accoudoirs, une personne a eu deux côtes fêlées. Pendant que Semira chantait vous avez arrêté de filmer. Pourquoi?
Je n'avais que deux ou trois minutes de batterie, et au début tout le monde quittait l'avion pour le nettoyage. Je voulais économiser la cassette et la batterie.
2 - Vous décidez d'arrêter de filmer pendant 8 minutes, et quand vous recommencez on entend tout de suite dire "elle commence à puer". Selon vous, pendant ces 8 minutes, beaucoup de choses se sont passées :
- Semira a essayé d'enlever sa ceinture
- elle a crié
- elle a agité ses bras
- vous avez appuyé sa tête sur le coussin et vous avez fait la "patte de canard"?
De tout ça, il n'y a pas de trace filmée. Pourquoi, de toutes ces éléments essentiels n'avez vous rien filmé?
Je le regrette beaucoup, ce n'était pas toujours facile de filmer, je n'étais pas toujours dans la bonne position.
3 - On a un témoignage de quelqu’un de la Sabena , An Maeyen,, qui dit qu'à un moment elle vous a vu tirer Semira par les cheveux.
Cela m'étonne.
4 - Dans votre déclaration au juge d'instruction Callewaert vous avez dit: "je pense que tous nous avons eu l'impression que ces gens devaient quitter le pays coûte que coûte" et que "nous devions employer pour cela tous les moyens." Que veut dire "tous les moyens" et "coûte que coûte"?
Silence.
5 – Même question
(Silence…) Tous les moyens autorisés par la loi.
Deuxième témoignage : Lise Thiry
Les personnes présentes ont pu comprendre ce témoignage en français. Ci-dessous, en voici la version écrite, que Lise Thiry avait rédigée avant le procès. Pendant l’audience, le juge l’a plusieurs fois interrompue, elle n’a pas eu l’occasion de développer complètement son propos.
Témoignage de Lise Thiry, marraine de Semira Adamu, à propos du procès des gendarmes, le 10 septembre 2003.
En juin 1998, je reçois un coup de téléphone d'un membre du Collectif contre les expulsions, Serge Thiry, qu'alors je ne le connaissais pas encore. Il me demande si je ne voudrais pas jouer le rôle de marraine auprès de la Nigériane Semira Adamu. L'affiche appliquée à l'entrée des centres fermés indique que les visites sont strictement réservées aux membres de la famille, ce qui est un peu surréaliste parce que les étrangers enfermés à cette époque étaient sans attache ici. Peut-être qu'une sorte de reconnaissance officielle du statut de marraine pourrait aider à leur faire apercevoir le pays où ils veulent entrer. En 1998, des autorisations spéciales à des personnalités furent tout à fait exceptionnellement accordées. Pour ma part, j'essuyai de nombreux refus, malgré des demandes officielles venant de la Faculté de médecine de l'ULB, et de la DG Santé de la Communauté française... Mais je pus apporter des cartes de téléphone, des vêtements jugés "nécessaires" et des livres en anglais. Ces cadeaux, Semira les partageait avec ses compagnes. Elle aurait voulu du thé et du riz pour s'alimenter un peu comme chez elle ; mais cela, et les cosmétiques, et les journaux, fut interdit. Les conversations entre nous furent nombreuses, notamment sur les lectures de Semira. Elle s'occupait de petits enfants albanais dont les parents étaient en mauvaise santé. Après un révolte au Centre, selon le désir même de Semira, nos conversations s'espacèrent, car elle était écoutée, et " did not want to excite them."
L'après-midi du 22 septembre 1998, Serge me téléphone : il y a environ une heure, Semira a été emportée en ambulance depuis Zaventhem jusqu'à l'hôpital Saint Luc. Je téléphone aux urgences où ce nom ne figure pas sur la liste. Je dis que je suis médecin et insiste pour que l'on me passe un médecin de garde. Celui-ci me reconnaît, mais a déjà reçu des consignes de la Direction pour ne pas ébruiter l'affaire "qui pourrait avoir des retombées politiques graves". Je prends ma voiture et, à l'hôpital, insiste pour parler au médecin. Il me propose d'aller voir Semira, en réanimation. " Comme elle connaît votre voix, cela pourra peut-être nous renseigner sur la profondeur de son inconscience". Elle est là, longue et frêle sur le lit, avec aux pieds les baskets que je lui avais offerts. Mais elle ne répond par aucun signe à mes appels. Arrive dans la chambre le directeur de l'hôpital. Il soulève la cotonnade africaine dont Semira est revêtue et me dit : Voulez-vous constater qu'il n'y a pas trace de coups ? Interloquée, je réponds que ce n'est pas mon rôle. La face de la jeune femme est très tuméfiée... A ce moment, nul ne sait encore comment a été traitée Semira. Dans le couloir, certains membres du collectif sont maintenant arrivés et pleurent. Mais on nous refoule. Le comportement de la Direction changera lors de l'arrivée du Président de la Ligue des Droits de l'homme, qui demande la réunion d'une petite cellule de crise.
Puis la foule arrive. Je fuis les interviews des journalistes et rentre chez moi pour attendre la nouvelle du décès de Semira. ( Mais qui avait empêché que le nom de Semira soit inscrit sur la liste des admis aux urgences ? Quelles instructions avaient reçues les gendarmes qui l'accompagnaient ? Distincts certes de ceux qui s'étaient unis pour commettre l'acte).
Le 9 septembre 1999, je réponds à une convocation de l'Inspecteur de police Grellet, au13 rue des Quatre Bras. Il m'accueille presque cérémonieusement, me rappelant que je suis venue donner un cours sur le sida, concernant, selon lui, les "dangers qu'encourent les forces de l'ordre à manipuler un blessé". Et il enchaîne : vos arguments ne m'ont pas convaincu ; avant de toucher un blessé, j'y regarde toujours à deux fois. J'amène le sujet sur l'étouffement de Semira. Il balaie mes commentaires en affirmant que la question est réglée. Ce qu'il veut, c'est mon témoignage sur " la responsabilité" du Collectif contre les expulsions dans ce décès. Responsable comment ? En induisant à la rébellion.
Mais j'insiste pour revenir à Semira, pour parler de l'usage précédent de l'oreiller qui avait déjà failli l'étouffer, et lui a suscité cette réflexion : à l'aéroport, certains seraient capables de tuer. (Voir l'interview de Semira dans Les barbelés de la honte). Dès lors, ne peut-on avancer que, le 22 septembre 1998, il y eut une forme de préméditation ? Oh ! non, répond calmement mon interlocuteur : ce n'était pas les mêmes gendarmes.
Voici un extrait de l'article que j'écrivis dans le journal Le matin, le 1er octobre 1999. Poli et même courtois, l'inspecteur se mit à évoquer la "violence" de Semira. Je ne pus que répondre : "? !?!?", comme si cela sortait de ma bouche dans une bulle de BD. Mon ébahissement permit à l'inspecteur d'expliciter la violence de Semira : crier et se démener dans l'avion pour alerter le pilote. Après un échange de vue sur les échelles de brutalité entre crier et étouffer avec acharnement, l'inspecteur, scrupuleux, nota sur l'ordinateur : selon la déclarante, " ce n'est pas être violent que de se démener pour attirer l'attention des passagers". Mon opinion, originale à ses yeux, fut citée entre guillemets.
Ensuite, toujours sur le ton d'un homme du monde, l'inspecteur murmura, gêné : mais savez vous que Semira alla jusqu'à déféquer sous elle, souillant ainsi ses vêtements, ce qui "rendit la tâche plus pénible aux gendarmes." Cette fois, c'est moi qui mets les guillemets. Or, ce relâchement des sphincters s'opéra au moment où Semira, étouffée, perdit conscience. En révélant ainsi son entrée dans la mort, Semira commit un acte contre la bienséance.
Mais l'inspecteur poursuit son idée : la convocation a pour but d'enquêter sur ma complicité avec le Collectif contre les expulsions.
Reconnaissez-vous en faire partie ?
Oui.
Ce Serge Thiry est-il de votre famille ?
Non, mais j'aimerais qu'il le soit.
Au moment de signer ma déposition, je m'aperçois que la deuxième partie de cette phrase a été omise, de même que certaines autres remarques. En marge, on inscrit des rajouts, que je paraphe.
Cette expérience suffit à montrer la manière dont a été menée l'instruction, lors de la mort de Semira : à charge de la victime et, au delà d'elle, de ceux et de celles qui l'ont soutenue et dont il s'agissait de faire les véritables responsables du crime. Leur comparution a d'ailleurs précédé celle des gendarmes. Les forces de l'ordre ont la mémoire longue, sauf lorsqu'il s'agit d'eux-mêmes : les expulsions disons, brutales, continuent.
Dans les Centres fermés également, le drame de Semira ne servit même pas de leçon au cours des années 99 et 2000. Tout au plus joua-t-on à jusqu'où ne plus aller trop loin : coups et blessures, coup du lapin sur la nuque, coups de botte dans le ventre d'une femme enceinte entraînant son avortement, non assistance à tentative de suicide... et tant d'autres fautes impunies. Et je ne parle que de cas auxquels je fus personnellement mêlée.
Getuigenis van Lise Thiry, meter van Semira Adamu, naar aanleiding van het proces van de rijkswachters op 10 september.
In juni 1998 ontvang ik een telefoontje van Serge Thiry, iemand van het Collectief tegen de uitzettingen die ik toen nog niet kende.
Hij vraagt me of ik meter wil worden van de Nigeriaanse Semira Adamu. Het uithangbord opgesteld aan de gesloten centra vermeldt dat de bezoeken strikt beperkt zijn tot familieleden, hetgeen een beetje surrealistisch is omdat de op dat moment opgesloten vreemdelingen hier geen familiebanden hadden.
Misschien dat een soort officiële erkenning van het statuut van meter zou helpen
het land waar zij toegang toe willen, beter te leren kennen. In 1998 werden uitzonderlijk speciale toelatingen gegeven aan personaliteiten. Ik van mijn kant kreeg talrijke weigeringen ondanks officiële verzoeken vanuit de Medische Faculteit van de ULB en van ‘DG Santé’ van de Franse Gemeenschap. Maar ik mocht wel telefoonkaarten, “noodzakelijk” geachte kledingstukken en Engelstalige boeken afgeven. Semira deelde deze geschenken met haar lotgenoten in het gesloten centrum. Zij zou thee en rijst gewild hebben om een beetje te kunnen eten zoals bij haar thuis; maar dat, samen met cosmetica en kranten, werd verboden. Wij hadden talrijke gesprekken, vooral over de lectuur die Semira las. Zij zorgde voor de kleine Albanese kinderen waarvan de ouders in slechte gezondheid waren. Na een revolte in het Centrum werden, op vraag van Semira zelf, de periodes tussen onze gesprekken in langer, vermits ze afgeluisterd werd en “ did not want to excite them”.
In de namiddag van 22 september 1998 belde Serge me op : ongeveer een uur geleden is Semira met de ziekenwagen vanuit Zaventem naar het Sint-Lucas hospitaal gebracht. Ik bel naar de spoedopname waar haar naam niet op de lijst staat. Ik zeg dat ik dokter ben en dring er op aan dat men mij doorverbindt met een dokter van wacht. Deze laatste herkent me, maar had al opdracht gekregen van de Directie om geen ruchtbaarheid aan de zaak te geven, een zaak “die zware politieke gevolgen zou kunnen hebben”. Ik neem mijn wagen en dring er in het hospitaal op aan om de dokter te spreken. Hij stelt me voor naar Semira te gaan die in reanimatie was. “Daar zij uw stem kent, kan dat ons misschien iets wijzer maken over hoe diep zij buiten bewustzijn is.” Daar ligt zij, lang en kwetsbaar op het bed, aan haar voeten de sportschoenen die ik haar cadeau gedaan had. Maar zij reageert niet op mijn vragen. De directeur van het hospitaal komt aan in de kamer. Hij licht de Afrikaanse katoenen shirt die Semira droeg op en zegt mij : Wilt U vaststellen dat er geen sporen van slagen te zien zijn ? Verbijsterd antwoord ik dat dit mijn rol niet is. Het gezicht van de jonge vrouw is fel opgezwollen… Op dat moment weet nog niemand hoe Semira behandeld werd. In de gang zijn sommige leden van het collectief aangekomen en wenen. Maar we worden weggeduwd.
Het gedrag van de directie verandert als de Voorzitter van de Liga voor Mensenrechten aankomt en een kleine crisiscel bijeen roept.
Daarna komt een massa mensen aan. Ik vlucht voor de interviews van de journalisten en ga naar huis om het bericht van de dood van Semira af te wachten. (Maar wie verhinderde dat Semira’s naam genoteerd werd op de opnamelijst de spoedopname ? Welke instructies hadden de rijkswachter gekregen die haar begeleidden ? Diegene die haar begeleidden waren zeker niet dezelfde als diegenen die de daad pleegden.)
Op 9 september 1999 roept inspecteur Grellet van de politie (Quatre Bras 13) mij op voor een verhoor. Hij ontvangt me bijna al was het een ceremonie, mij eraan herinnerend dat ik een cursus was komen geven over Aids, die, volgens hem, ging over de « gevaren die de ordestrijdkrachten lopen bij het omgaan met een gekwetste”. En hij gaat verder: uw argumenten hebben mij niet overtuigd; alvorens ik een gekwetste aanraak, kijk ik altijd (twee keer) goed uit. Ik begin over de verstikking van Semira. Hij wuift mijn commentaren weg door te zeggen dat de zaak geregeld is. Wat hij verlangt, is mijn getuigenis over « de verantwoordelijkheid » van het Collectief tegen de uitzettingen in dit overlijden. Hoe verantwoordelijk ? Door aan te zetten tot rebellie. Maar ik dring aan om het terug te hebben over Semira, om te spreken over het eerder gebruik van het kussen waarbij zij bijna stikte, wat haar de gedachte ontlokte : op de luchthaven zijn er die in staat zijn iemand te doden. (Zie het interview met Semira in “Les barbelés de la honte). Dus, kan men niet stellen dat er op 22 september 1998 een vorm van voorbedachtheid bestond ? Oh ! neen, antwoordt mijn gesprekspartner rustig: het waren niet dezelfde rijkswachters.
Hierbij een uittreksel uit een artikel dat ik schreef in het dagblad Le matin van 1 oktober 1999. Beleefd en zelfs hoffelijk, begint de inspecteur het « geweld » van Semira aan te halen. Ik kon slechts antwoorden : “?!?!?”, alsof dat uit mijn mond kwam zoals in een tekening van een stripverhaal. Mijn verstomming laat de inspecteur toe het nog uitdrukkelijker te hebben over het geweld van Semira. Na een uitwisseling van opvattingen over de schaal van brutaliteit tussen, roepen en met hardnekkigheid iemand verstikken, noteert de inspecteur, zorgvuldig, op de computer : volgens de persoon die declareert “het is niet gewelddadig tekeer te gaan om de aandacht van de passagier te trekken ». Mijn mening, in zijn ogen origineel, werd tussen haakjes geciteerd.
Nadien, nog altijd op de toon van een man van de wereld, murmelt de inspecteur, gegeneerd: maar wist gij dat Semira zover ging dat zij zich ontlastte, zo haar kleren vuil makend, iets wat “de taak nog moeilijker maakte voor de rijkswachters”. Deze keer ben ik het die de haakjes plaatst.
Terwijl die ontspanning van de sluitspieren gebeurt op het ogenblik dat Semira, stikkend, het bewustzijn verliest. Zo haar intrede in de dood tonend, begaat Semira een inbreuk tegen de welvoeglijkheid.
Maar de inspecteur gaat door met zijn idee: ik werd opgeroepen met het doel mijn medeplichtigheid met het Collectief tegen de uitzettingen te onderzoeken.
Erkent gij er deel van uit te maken ?
Ja
Die Serge Thiry, is die familie van u?
Neen, maar ik zou willen dat dit het geval was.
Op het ogenblik dat ik mijn verklaring ondertekende, merk ik op dat het tweede deel van die zin weggelaten was, net als sommige andere opmerkingen. In de kantlijn, worden toevoegingen geschreven, die ik parafeer.
Deze ervaring volstaat om de manier aan te tonen waarop het onderzoek naar de dood van Semira gevoerd werd: ten koste van het slachtoffer, en daardoor ook ten koste van hen die haar gesteund hebben. Ze wilden van hen de ware verantwoordelijken van de misdaad te maken. Hun verschijning voor de rechtbank ging trouwens deze van de rijkswachters vooraf.
De ordestrijdkrachten hebben een goed geheugen, tenzij het over henzelf gaat, de - brutale- uitzettingen gaan verder.
Ook in de gesloten centra dient het drama van Semira zelfs niet tot les in de loop van de jaren 1999 en 2000. Men beperkte zich dan tot: slagen en verwondingen, de konijnenslag in de nek, schoppen in de buik van een zwangere vrouw waardoor een miskraam veroorzaakt werd, weigeren van hulp aan iemand na een zelfmoordpoging… en zovele andere onbestrafte fouten. En ik spreek slechts over die gevallen waar ik zelf persoonlijk bij betrokken was.