arch/ive/ief (2000 - 2005)

Pour une chanson banale
by Nisse Sunday September 14, 2003 at 08:29 PM
nisse@tiscali.be

Deux petits pas. Encore deux petits pas. La jeune femme africaine a les mains attachées dans le dos. Deux petits pas. Elle est flanquée par deux flics. Un en pullover gris et veste en jeans, l’autre, celui sans moustache, en pullover bleu. Ils tiennent les bras de la jeune femme. Deux petits pas.

Ainsi ils avancent dans le couloir blanc latex du centre INADs, aéroport national, Zaventem. Deux petits pas et encore deux petits pas. La femme africaine porte un pullover aux jolies formes colorées et une petite jupe. L’escorte tourne un coin et passe la porte vitrée qui donne sur l’extérieur. Pour descendre l’escalier, vu les entraves à ses pieds, la femme baisse la tête. L’escorte arrive sur le tarmac, s’approche de la camionnette. Deux petits pas. Deux petits pas. Coupure.

L’escorte monte dans l’avion vide de passagers et avance vers le fond. La jeune femme africaine est installée sur un siège du milieu. Les deux flics s’assoient à ses côtés. Ils sont de bonne humeur. La jeune femme a le regard profond et fixe. Le bras d’un troisième flic jette un petit coussin à son collègue assis, qui le cale contre son bassin. La femme entame une chanson à voix très douce. Son regard s’approfondit davantage. Les deux flics relèvent les accoudoirs. Ils s’apprêtent. Coupure.

Le même siège d’avion. On ne voit plus la femme. On la devine. Le flic à moustache appuie son coude sur le dos de la femme, le deuxième maintient sa tête appuyée sur ses genoux et un troisième serre ses poignets. La femme a une convulsion soudaine. Le moustachu redouble d’efforts. La musique de fond et le sablier. Deuxième convulsion. Le moustachu grimace et appuie. Puis il regarde sa montre. Puis il plaisante. Troisième convulsion. Le sablier et la musique de fond. Les trois flics continuent à maintenir la femme et discutent. La femme est immobile. Le troisième flic se lève, part et revient avec un flacon dont il déverse le contenu contre le dos du siège du milieu puis il s’accroupit de nouveau en saisissant les poignets de la femme. Le moustachu se frotte le sourcil avec le pouce et appuie. Deux torses, costards gris et cravates, apparaissent et s’arrêtent près du siège. Le moustachu prend un air soumis et les salue. Un bref échange de paroles inaudibles. Les deux costards repartent. Le flic en pullover bleu sourit. La musique de fond. Le sablier. Coupure.

L’écran est bleu. Les lumières de la salle d’audience se rallument. Les camarades sont pâles, les journalistes silencieux. Les gendarmes, qui forment la majorité du public de la salle, ont l’air un peu moins fiers qu’avant la projection. La dizaine de robes noires habitées de volontés diverses commence à s’affairer. Exit.