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Cancun :des activistes au coeur de l'OMC
by Raoul-marc Jennar Thursday September 11, 2003 at 03:33 PM

Mercredi 10 septembre : Une trentaine d'activistes ont réussi à perturber la très officielle cérémonie d'ouverture de la conférence ministérielle de l'OMC. Ils ont réussi à s'approcher de la tribune munis d'affiches sur lesquelles on pouvait lire : "l'OMC est obsolete" "l'OMC est anti-démocratique" etc... Dans les coulisses, basses oeuvres et manipulations vont bon train. Le commissaire Pascal Lamy n'a pas tardé à donner la pleine mesure de son arrogance. Ci dessous le premier communiqué de raoul-marc Jennar, chercheur à l'URFIG.

Comme à Doha, en novembre 2001, je suis, cette année, à Cancun pour observer au plus près la 5e conférence ministérielle qui va réunir les ministres du commerce des 146 Etats membres de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Mais cette fois, j'ai un plagieur : Pascal Lamy, Commissaire européen, grand défenseur dans le domaine des médicaments comme dans celui du brevetage du vivant des droits de propriété intellectuelle qui n'hésite pas à me copier. Il envoie chaque jour sa "Lettre de Cancun" et raconte qu'il commence ses journées en faisant du jogging…

Cancun. Une cité balnéaire construite pour les riches dans la presqu'île de la pauvreté : "grâce" aux accords de l'ALENA (Accord de Libre Echange de l'Amérique du Nord - Canada, Etats-Unis, Mexique), des dizaines de milliers de paysans sont ruinés par ce que le socialiste Pascal Lamy appelle "des règles du jeu identiques pour tous" (Le Monde, 5 sept. 2003). Cancun : un "paradis" recomposé pour ceux qui achètent le bonheur comme on achète une voiture : des hôtels plus luxueux les uns que les autres alignés sur une bande de terre d'une vingtaine de kilomètres de long en forme de U qui enferme une lagune et est entourée par la mer. Un site facile à isoler. Tout un message de la part de l'OMC que le choix d'un tel endroit pour tenir sa conférence !

En avril, j'ai décrit dans le détail les "enjeux de Cancun" dans une brochure publiée par Oxfam Solidarité et par l'URFIG. Depuis lors, peu de choses ont changé sur le fond des dossiers. On retrouve pratiquement chaque fois une profonde division Nord/Sud. Les Etats-Unis et l'Union européenne, quand l'essentiel est en cause (un projet commun de société ultra-libérale) savent surmonter leurs différends occasionnels.

LE DADA

Cette 5e conférence de l'OMC intervient a mi-parcours du cycle de négociations décidé lors de la 4e conférence, à Doha, en novembre 2001. On y avait arrêté une liste de matières à négocier, liste mal à propos appelée "programme de Doha pour le développement". Deux ans après, le roi est nu. Il est manifeste qu'il s'agit d'un programme hostile au développement, ce que mon ami Martin Khor, directeur de Third World Network, appelle le DADA : Doha Anti-Development Agenda. Comme l'ont constaté les ministres du commerce d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique : "des échéances importantes fixées pour des questions présentant un intérêt particulier pour les pays en développement n'ont pas été respectées" (communique du 1 août 2003). Aucun progrès n'est intervenu sur les sujets essentiels pour un développement équilibré de la planète dans les négociations commencées il y a deux ans. Les pays riches n'ont fait aucune concession.

L'accord intervenu, tout juste dix jours avant Cancún, sur l'accès aux médicaments représente une énorme concession des pays en développement qui sont désormais confrontés aux contraintes, conditions et restrictions imposées par les pays industrialisés s'ils veulent importer des médicaments génériques (voir sur ce sujet ma note du 4 septembre qu'on retrouvera sur le site de l'URFIG : http://www.urfig.org sous le titre : "Un accord qui n'est pas une solution."

Quant aux autres dossiers prioritaires pour les pays en développement, ils sont tous bloqués :

a) la question de la mise en oeuvre des accords existants, c'est-à-dire un programme en vue de rectifier les déséquilibres contenus dans ces accords : la négociation est au point mort et la question a été ramenée à un niveau secondaire dans l'ordre du jour de Cancún.

b) les propositions visant à adopter, pour chaque accord, un traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement : sur les 88 propositions avancées, seulement 24 ont été retenues et aucune n'a un rapport réel avec le développement commercial.

c) l'agriculture : il s'agit d'un des trois grands enjeux de Cancun. L'Accord sur l'Agriculture de l'OMC impose à des centaines de millions de personnes des obligations dont, à travers une disposition baptisée « clause de paix, » les Etats-Unis et l'Union européenne se sont exonérés.

A Doha, les Americano-Européens s'étaient engagés à ouvrir leurs marches aux produits agricoles du Sud, à réduire toutes les formes de subventions à l'exportation en vue de leur élimination et à réduire les soutiens internes à la production agricole. En vue de Cancun, les USA et l'UE ont présenté un document commun. Il est devenu en quelques jours le document officiel présenté à la négociation (on voit qui fait la pluie et le beau temps à l'OMC). Ce document, présenté comme une mise en œuvre du programme de Doha, n'offre en fait que la répétition des promesses non tenues depuis deux ans. On y trouve des engagements sans substance : pas de calendrier, pas de données chiffrées sur le niveau des réductions à nouveau promises. Les mêmes promesses chaque fois formulées, chaque fois oubliées, mais chaque fois avancées en échange, de la part des pays du Sud, d'engagements précis. A l'OMC, les pays industrialisés excellent à faire payer plusieurs fois ce qu'ils ne donnent jamais.

Devant ce cynisme absolu, 22 pays, conduits par le Brésil, la Chine et l'Inde ont introduit leur propre proposition. Elle s'inscrit dans les engagements de Doha en vue de les concrétiser. Elle introduit un mécanisme de sauvegarde protégeant les productions agricoles du Sud contre la concurrence déloyale des USA et de l'UE. Cette proposition a provoqué la colère du représentant de l'Union européenne (« notre »représentant !) à l'OMC qui a été jusqu'à insulter les ambassadeurs des trois pays. Résister à l'Europe est devenu insupportable pour ces technocrates fascinés par l'arrogance américaine.

Le dossier agricole conditionne la survie de millions de paysans. Et aussi l'avenir de la petite paysannerie européenne que la reforme de la Politique Agricole Commune va faire disparaître définitivement.

J'ai appris que les diplomates européens ont été chargés d'entreprendre des contacts bilatéraux avec les représentants des 22 pays dans l'espoir de créer des divisions entre eux…C'est ça l'Europe humaniste, généreuse, solidaire !

d) le NAMA : dans le jargon anglo-saxon qui prévaut, il s'agit du « Non Agriculture Market Access » ou, en langage commun, la réduction des tarifs douaniers sur les produits non agricoles (c'est-à-dire surtout les produits industriels). C'est le deuxième gros enjeu de Cancun. La négociation va s'engager sur un texte imposé par le Canada, les Etats-Unis et l'Union européenne. Ce texte demande une réduction rapide des tarifs douaniers sur les produits industriels pratiqués par les pays en développement. Cette proposition, qui aurait pour effet de provoquer les désindustrialisation des PED et de mettre leurs marchés sous la coupe des entreprises du Nord, est combattue par une très large majorité des Etats membres de l'OMC. Dans une institution ayant un minimum de fonctionnement démocratique, elle n'aurait même pas été soumise à la conférence. Une importante bataille s'annonce sur cette proposition.

e) les « nouvelles matières » ou le retour de l'A.M.I. (Accord Multilatéral sur l'Investissement). C'est le troisième des grands enjeux de Cancun.

Depuis 1999, l'Union européenne est à la pointe mondiale d'une exigence : reprendre à l'OMC la négociation sur l'AMI stoppée en 1998 à l'OCDE. Pour faciliter la réintroduction de cette question, on l'a divisée en quatre matières : investissement, concurrence, marchés publics et facilitation des échanges. A Doha, la résistance vraiment héroïque de certains pays conduits par l'Inde a eu pour effet de reporter a Cancun une décision explicite de chaque Etat membre sur le démarrage des négociations à ce sujet. L'enjeu est considérable et l'Union européenne, pour obtenir une décision de commencer des négociations sans délai, engage tous les moyens à sa disposition - les avouables et les autres - avec le soutien du Japon et de Taiwan (le poisson pilote des USA, assez discrets sur le sujet).

OMC = OLIGARCHIE

Oligarchie, le pouvoir exercé par quelques-uns. L'OMC répond parfaitement à cette définition. La plus modeste association créé en Europe en vertu de nos lois (loi 1901 en France, loi sur les associations sans but lucratif en Belgique, par exemple) fonctionne plus démocratiquement que l'OMC où la règle, c'est l'absence de règle et la loi du plus fort. Aucune procédure spécifique adoptée en commun n'organise la préparation des conférences ministérielles. Celle-ci est laissée a la discrétion des plus puissants.

Ainsi, les textes soumis à la conférence ministérielle ne résultent pas d'un accord. Ils sont présentés sous la seule responsabilité du président du groupe de travail qui, à son gré, indique ou non les positions respectives des différents pays sur le sujet en question lors des discussions préparatoires qui se tiennent à Genève. Ces textes ignorent presque systématiquement les attentes des pays en développement. Ce qui ne surprendra personne quand on sait que chaque président de groupe de travail est choisi en fonction de son allégeance à la cause des pays industrialisés. Ces textes sont le plus souvent examinés a l'occasion de réunions restreintes d'où sont délibérément exclus certains représentants de pays réputés hostiles aux propositions américaines ou européennes.

Pour la conférence de Cancun, on annonce la création de 5 groupes de travail :

agriculture (présidé par le ministre de Singapour) ;

NAMA (présidé par le ministre de Hon Kong) ;

nouvelles matières (présidé par le ministre du Canada) ;

développement (à désigner) ;

toutes les autres matières (à désigner).

On le constate, pour les trois sujets les plus brûlants, le pilotage des négociations est confié à des ministres favorables aux propositions des pays industrialisés.

Des pays du Sud ont déposé, à plusieurs reprises, des propositions de réforme des procédures et méthodes de travail afin d'améliorer (le mot est faible) la transparence, la démocratie et, en un mot, la légitimité de l'OMC. Ces propositions ont été repoussées avec une rare brutalité par l'Europe, les USA et leurs alliés, phares de la démocratie dans le monde…Fixer les règles du jeu », chères à Pascal Lamy, c'est un droit exclusif des puissants.

Photos de l'action sur Indymedia Paris
by [ posted by red kitten ] Thursday September 11, 2003 at 03:56 PM
redkitten@indymedia.be

Quelques photos, mêmes si dans le fond ( et tant mieux ) l'article de Raoul-Marc Jennar se préoccupe plutôt du fond de l'affaire! ( très bon résumé, et pas trop long! => merci! )