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Conspirations estivales ?
by Richard Greeman, internationaliste new-yorkai Saturday August 30, 2003 at 11:53 AM
rgreeman@laposte.net

Chaud août 2003 : une panne généralisée prive cinquante millions d’Américains d’électricité alors que 10,000 Français crèvent de chaleur. A qui la faute ?

Au moment où au Nord-est des Etats-Unis ont cessé de fonctionner lumières, métros, ordinateurs, distributeurs de billets, ascenseurs, téléphones, réfrigérateurs, systèmes sécuritaires et coetera beaucoup de gens ont cru à une attaque terrorist. En fait, le New York Times (18/08) a cité un spécialiste qui a déclaré qu’il aurait été « ridiculement facile » pour un terroriste de paralyser le réseau. « Il suffirait d’acheter légalement un lance-grenade au Texas. Vous roulez devant un central électrique, vous le pointez dans le bon sens et boum ! »

Mais la conspiration derrière les désastres d’août est autrement plus puissante que celle d’Osama et ses petits amis kamikazes. Elle comprend la famille Bush, le lobby de l’industrie d’énergie électrique, et la société Enron qui ont donné des millions pour financer leurs campagnes présidentielles.

Les médias américains, complices ou endormis, passent sous silence toute hypothèse politique/économique pour expliquer cette catastrophe prévisible. A la télé des « experts » parlent en termes incompréhensibles de la « fragilité » de la technique moderne et de la vulnérabilité des grands réseaux comme d’une mystérieuse fatalité. Mais la véritable cause économique n’en est pas moins évidente. Elle s’appelle la privatisation.[1]

Longtemps revendiquée par Enron et le lobby énergique, cette privatisation (« dérégulation » en termes américains) permet aux vendeurs d’électricité de spéculer sur des pénuries qu’ils provoquent eux-mêmes. Depuis la dérégulation du marché, les propriétaires de compagnies d’électricité ont le droit d’économiser en fermant des centrales, en licenciant des personnels, et en négligeant la sécurité et une infrastructure surchargée et vieille de cinquante ans. En effet pourquoi investir quand la dérégulation donne une licence pour faire chanter le consommateur en lui coupant le courant ? Or, à mesure que les patrons limite l’offre, la demande et les prix montent. Et tant pis si le réseau s’écroule de temps à autre, c’est le « marché » qui le veut !

Le dérégulation débute en 1992, à la fin du mandat de Bush I qui fait un beau cadeau au PDG d’Enron Ken Lay en enlevant toutes les restrictions mises en place en 1933 par le Président Roosevelt pour protéger le consommateur et assurer la suffisance d’énergie électrique du pays. Bush I annule aussi l’interdiction qui empêche les compagnies électriques de faire des contributions financières aux campagnes politiques. Enron en profite pour contribuer $16 millions (environ 112.000.000 F) à la campagne républicaine de 2000 et $76 millions (environ 532.000.000 F) pour faire voter le dérèglement en Californie, où les consommateurs sont bientôt privés d’électricité plusieurs heures par jour pendant que Enron en tire des profits énormes.

Un an après la semi-élection de Bush, Enron s’effondre en ruinant ses employés et investisseurs alors que Ken Lay et Cie, protégés par Bush, s’échappent avec des milliards dans des banques antillaises. Rappelons que Ken Lay est considéré comme le « meilleur ami » et sponsor numéro un de George W. Bush, alors que son Vice-Président Dick Cheney siégeait sur son Conseil d’administration.

Sur ses entrefaites, la dérégulation gagne New York avec l’élection du républicain de droite Pataki. Une société britannique notoirement incompétante, The National Grid of England, achète le réseau, licencie 800 travailleurs, empoche leur salaire et distribue près de $90 millions (environ 630.000.000 F) aux actionnaires avec le résultat que nous venons de voir : 50 millions d’américains dans le noir.[2] On blâme, sans trop préciser, les faiblesses de la technique sous la pression de la canicule, mais comment explique-t-on que les réseaux du Sud-est, qui n’ont pas été déréglementés, ont résisté à ces mêmes pressions ?

Poser cette question équivaudrait à mettre en question la conspiration tacite entre le capital, les médias, et les gouvernements sponsorisés. Scandale ! Il vaudrait mieux parler de la « complexité » des systèmes, d’actes de solidarité entre individus et de catastrophes naturelles « inévitables. » Chercher un rapport entre la dérégulation et la panne aux Etats-Unis serait aussi parano que voir un rapport entre les coupures dans le budget des personnes âgées et la mort de dix mille de celles-ci en France sous la canicule.[3] Il faudrait être un alter-modialiste ou pire encore un méchant marxiste pour poser ces questions-là ! On trouvera même des insensés qui vous diraient que la chaleur mortifère de ce mois d’août résulte d’un soi-disant « réchauffement global » causé par l’avarice des sociétés énergiques telles qu’Enron et Exxon aux Etats-Unis et Elf-Total en France.

Heureusement nos Présidents Bush et Chirac, qui n’arrêtent pas de prodiguer leur sympathie sincère aux victimes des désastres incompréhensibles, sont au-dessus de la corruption.