La bonne entente belgo-turque et la loi du silence by Nisse Friday August 29, 2003 at 06:29 PM |
Préambule. Une semaine après la grève de la faim menée par trois cents Afghans déboutés du droit d’asile dans l’église Ste. Croix à Bruxelles (grève qui aura duré vingt-deux jours et se sera soldée d’un succès relatif quant aux revendications de régularisation des Afghans), on apprend stupéfaits que six Kurdes qui ont fui la Turquie, sont depuis trente jours en grève de la faim dans un centre de la Croix-Rouge près de Liège. Ils demandent eux aussi de pouvoir rester en Belgique. Et ce n’est qu’après un mois qu’un journaliste en parle…
Première hypothèse.
La Turquie est un pays démocratique. Qui ne compte pas ses prisonniers politiques, kurdes ou autres. Quand ceux-ci entament une grève de la faim, phénomène fréquent, on les laisse simplement mourir. Mort physique qui intervient après quarante, cinquante, soixante jours de refus d’alimentation. On ne connaît sans doute pas le chiffre exact de morts, on suppose que des dizaines s’empilent sur d’autres dizaines. Ces victimes font l’objet de bien peu d’attention dans nos médias. L’Union Européenne flirte avec l’accueil de la Turquie en son sein. La Turquie est un important partenaire économique et stratégique qui mène une guerre « de basse intensité » dans sa partie kurde depuis des décennies et qui torture et assassine dans ses prisons.
Deuxième hypothèse.
La Belgique est un pays démocratique. Quant à l’octroi du droit d’asile, la Belgique se réfère à la Convention de Genève, prétend s’y référer en tout cas. Qu’en réalité, l’écrasante majorité des demandes d’asile est refusée, et ce après des procédures aussi opaques qu’arbitraires, est un fait établi (loué, il y a peu, par le Ministère de l’Intérieur). Que la philosophie qui anime les administrations en charge d’examiner les demandes d’asile (Office des Etrangers et Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides) est celle d’arriver à un maximum de refus à travers des pratiques mesquines et cyniques ; autre fait établi.
Alors : en Turquie, les grévistes de la faim meurent en prison ; en Belgique ils risquent de mourir parce qu’ils sont prisonniers des procédures.
La situation.
Mardi, le 26 août 2003, on apprend par un quotidien que six demandeurs d’asile kurdes sont en grève de la faim depuis un mois. Ils ont été jugés irrecevables par l’administration. Après un mois sans nourriture, la situation médicale devient très préoccupante. Pourquoi le silence pendant trente jours ? Qu’est-ce qui explique l’absence de toute médiatisation de la situation des Kurdes et de toute négociation entre le politique et eux ? Quoi qu’il en soit, ce n’est que très tardivement que des personnes ayant participé à l’expérience afghane rendent visite aux Kurdes et qu’une mobilisation semble germer.
Une issue ?
Tout le long de la grève de la faim des Afghans, l’attitude du Ministre de l’Intérieur Patrick Dewael se résumait à la déclaration qu’il ne céderait pas à ce « chantage ». Il faut ici rectifier la réalité politique et humaine. L’acte profondément désespéré qu’est une grève de la faim n’est jamais du chantage. Par contre, un arbitraire administratif qui aboutit, entre autres abus inacceptables, au fait de renvoyer des personnes vers des pays en guerre, ou d’en pousser d’autres dans de longues grèves de la faim, ne peut qu’être qualifié de crime d’Etat. Dans le passé déjà, le gouvernement belge a prouvé qu’en matière de politique ayant trait à l’accès au territoire, il est allègrement capable de ce genre de posture criminelle. Les centres fermés, qui sont en réalité des camps de déportation, et les expulsions forcées, qu’elles soient individuelles ou collectives, n’en sont que l’expression la plus flagrante. Le meurtre de Semira Adamu reste dans les mémoires. Quelles miettes d’issues dans un système politique qui méprise de la sorte les corps ?
Nisse (28-29 août 2003)